En réponse à la situation économique catastrophique que vit notre pays et dont il a, en grande partie hérité, le gouvernement actuel, sous la houlette de son Premier ministre, Ousmane Sonko, a proposé aux Sénégalais, un Plan de redressement ambitieux et volontariste. Certes, comme en cela semblent insister les réprobateurs de la première heure, une telle situation n’est pas inédite. En effet, ce plan fait suite à plusieurs autres qui ont traversé les différents régimes qui se sont succédé, depuis notre accession à l’indépendance, sans jamais arriver à soulager véritablement le quotidien des Sénégalais. Cependant, nous demeurons convaincus que ce nouveau Plan de redressement économique et social (Pres), baptisé «Jubbanti Kom», et son soubassement souverainiste, pour relancer et redynamiser l’économie sénégalaise, malgré un contexte d’inflation élevée et surtout une pression inédite sur la dette publique, devraient nous porter résolument vers le succès.
En notre qualité de logisticien, nous souhaitons, dans cette perspective, préciser, en contribution pour le grand nombre, ce qui traverse, en filigrane, l’ensemble de ce plan, à savoir : la mise en œuvre d’un dispositif logistique nouveau, robuste et transversal.

Définie comme «l’art de gérer les flux de matières et d’informations, de l’approvisionnement à la distribution, pour satisfaire la demande de manière efficace et économique, englobant l’organisation des transports, du stockage, des conditionnements des approvisionnements, la production et la distribution afin de garantir que les produits soient disponibles au bon endroit, au bon moment et dans les meilleures conditions», la logistique est un outil de compétitivité, de création de valeur, favorable aussi bien aux entreprises qu’aux consommateurs. Elle est d’ailleurs considérée comme un avantage concurrentiel pour toute entreprise qui en use, avec efficacité, dans toute sa plénitude. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter à Bernard Hoekman,1 lorsqu’il affirme : «La réduction des obstacles aux chaînes logistiques peut augmenter le Pib mondial, six fois plus vite que l’élimination de tous les tarifs douaniers. Réduire ces obstacles va engendrer une baisse des coûts pour les entreprises et créer davantage d’emplois et de possibilités économiques.’’
Sous cet aspect, les premiers interpellés sont donc les opérateurs économiques, pour deux raisons :
le rôle qu’ils peuvent jouer, grâce à la logistique, dans la réduction des prix à la consommation, synonyme de l’amélioration des conditions de vie des populations, un des objectifs phares du plan. Et cela, parce qu’ils détiennent, en la logistique, un outil certain de compétitivité et de réduction des coûts ;
la prise de conscience que le levier de la baisse de certains coûts logistiques externes, tels que les droits de porte (les droits de douane, la redevance statistique, le prélèvement communautaire de solidarité, les redevances portuaire et aéroportuaire) dont ils se prévalent pour retrouver une compétitivité, a des limites à cause du rôle prépondérant de ces derniers dans le financement des politiques publiques du pays.

Cette dernière remarque peut être appréciée à travers l’expérience qui fait ressortir des discussions étendues et parfois très tendues avec les services étatiques sans aboutir à des résultats concrets.

Aussi, pour conforter l’affirmation de Bernard Hoekman, et espérer retenir l’attention de nos opérateurs économiques et autorités gouvernementales, il nous paraît nécessaire de décliner les vertus de la chaîne logistique à travers une présentation dans ses différents segments.

La logistique d’approvisionnement, clé de voûte de la chaîne logistique
La logistique d’approvisionnement a pour but de mettre à la disposition des entreprises et, cela à moindre coût, les matières premières, les produits, l’énergie et les pièces de rechange nécessaires pour leur fonctionnement. La détermination d’un prix de vente du produit repose sur une agrégation de toutes les dépenses effectuées pour sa réalisation (charges directes comme indirectes), corrélées au bénéfice. Dès lors, on peut comprendre aisément que toute réduction du coût de revient, particulièrement sur les charges directes, contribue à rendre compétitifs les prix de vente des produits mis sur le marché. Sous ce rapport, il importe de se focaliser plus sur les coûts des matières qui peuvent aller jusqu’à 60% du chiffre d’affaires des entreprises. Ainsi, toute réduction des coûts afférents aux dépenses d’achats devrait se traduire, d’une part, par un renforcement de la rentabilité des entreprises et, d’autre part, par une augmentation du Produit intérieur brut (Pib) d’un pays avec les conséquences en termes d’investissements et d’emplois.

L’optimisation de ces dépenses repose sur l’utilisation de deux outils : les méthodes de Wilson et de Pareto.

La méthode Wilson, à travers la détermination des quantités économiques et le nombre idéal de commandes relativement aux prévisions d’approvisionnement annuelles, permet de minimiser les coûts liés aux achats (coût de passation des commandes et coûts de stockage). En effet, il est démontré à travers la méthode Wilson que, quelle que soit la quantité à commander, l’achat à la quantité économique est de loin le moins cher. Toutefois, il importe que l’acheteur prenne garde aux propositions de remises des fournisseurs qui pourraient s’avérer n’être que d’artificiels subterfuges au final ; lesquelles remises portant sur des quantités importantes dont le coût de stockage pourrait remettre en question toute la stratégie de rationalité économique. L’acceptation d’une remise doit être subordonnée préalablement à un calcul qui prend en compte cette donne. A l’opposé, la méthode de Pareto vise l’optimisation des coûts liés au magasinage (stockage et entreposage) par une rationalisation des espaces, un rangement optimal des articles, une réduction des fréquences de déplacements et des temps de manœuvre dans les zones de stockage.

Le stockage et l’entreposage, étant indissociables des achats (leurs coûts sont souvent estimés entre 10 et 20% des charges supportées en la matière), il importe de les maîtriser au risque de grever les coûts d’achat des matières et produits. Les coûts de transport, étant corrélés aux opérations d’approvisionnement pour être optimisés, doivent être pris en charge à travers une utilisation judicieuse des incoterms. Par exemple, un achat Ex-work à l’international ne peut profiter à l’opérateur économique que s’il dispose d’antenne ou de représentant dans le pays d’importation. A contrario, les coûts de transport peuvent lui revenir très cher. Dans ce cas, il est plus indiqué pour lui d’user d’un incoterm comme Fob, qui laisse le soin à son fournisseur de se charger des opérations de préacheminement jusqu’à bord du bateau ; ce qui lui permet de minimiser ses coûts d’achat. C’est le lieu d’insister sur le fait que les centrales d’achat constituent des leviers d’optimisation des coûts d’approvisionnement. Les entreprises, même si parfois elles sont concurrentes dans leur domaine, devraient utiliser ce levier pour faire baisser les prix d’achat des matières premières et les coûts de transport par le biais du regroupement des achats. La contractualisation et la gestion des fournisseurs sont également deux leviers qui sécurisent les approvisionnements et prémunissent les entreprises contre d’éventuels chocs pouvant provenir des fluctuations du dollar. Le recours au  Vmi (Vendor Managed Inventory), un outil qui renvoie à la gestion des stocks par le fournisseur, participe à l’optimisation des coûts en ce qu’il permet à l’entreprise de transférer à son fournisseur la gestion de son approvisionnement et les coûts y afférents (stockage, entreposage, etc.) Loin d’être exhaustives, voilà des mesures qui peuvent beaucoup aider à la diminution des prix à la consommation.

«La logistique de production, le défi de la performance et de la qualité à moindre coût»
En tant que partie intégrante de la gestion globale de la chaîne logistique, la gestion de la production est le processus de transformation des matières premières ou des composants en produits finis. Il s’agit de la gestion des matériaux physiques, de l’utilisation des équipements, de la performance et de la main-d’œuvre, pour mettre en œuvre la stratégie de production de l’entreprise. Cette partie de la chaîne logistique, reposant sur la quête permanente de performance et de meilleure qualité, suppose :
une bonne allocation et une bonne utilisation des ressources (naturelles, matérielles et humaines) ; une utilisation d’indicateurs qui permettent de gérer les coûts, d’identifier les dysfonctionnements (performances des machines) et de déceler les écarts (surconsommation ou pertes de matières et d’énergie). Elle permet de réduire tout ce qui est non-qualité (produits non conformes aux standards et aux besoins de la clientèle). L’utilisation des indicateurs tels que les taux de charge, de disponibilité, d’utilisation des moyens (machines) et le Trs2, permet non seulement un suivi rigoureux de la production, mais également de situer les responsabilités en cas de défaillances ; une chasse aux gaspillages liés aux stocks excessifs, à la longueur des temps d’attente, aux mouvements inutiles, aux transports inopportuns, à la surproduction ; une bonne politique de maintenance industrielle préventive et curative ; une dotation de compteurs fiables sur les machines de production, pour un suivi des consommations, surtout spécifiques.

A titre illustratif, nous retenons l’exemple d’un réfrigérateur dont le moteur est devenu obsolète et les circuits intégrés détériorés. Il découle d’une telle situation, une surconsommation d’énergie, mais aussi une dégradation de la qualité des produits à conserver. Un tel phénomène entraîne lentement, mais sûrement, la ruine d’une entreprise.

«La logistique de distribution, le défi de la performance et de la qualité à moindre coût»
Cette dernière partie de la chaîne logistique a en charge la mise à disposition des produits finis auprès des consommateurs dans les meilleures conditions de qualité et le respect des délais de livraison. La maîtrise de ce volet suppose une gestion efficiente des entrepôts de produits finis et une préparation des commandes (groupage, emballage, étiquetage et expédition) ; toutes ces opérations induisant des coûts importants qui nécessitent d’être optimisés sous peine de grever les coûts de revient des produits finis. En réalité, la logistique a tendance à être négligée au profit de la mission traditionnelle de simple déplacement, qui colle à la chaîne de distribution, occultant les distances à parcourir, les itinéraires, la durée des voyages (délais de livraison), les consommations de carburant, etc. Aussi, l’utilisation de logiciels intégrés tels qu’Erp (la méthode des «écartements» et les entrepôts) ou spécialisés (Wms, Tms, etc.), est fortement recommandée dans la gestion de la distribution des produits.
La somme des valeurs créées au niveau de chacune des composantes de la chaîne logistique devrait se traduire par une mise à disposition des produits à des prix compétitifs, au grand bonheur des consommateurs sénégalais. Toutefois est-il besoin de réaffirmer que les modalités de mise en application et surtout d’approfondissement du dispositif logistique, comme décrit dans ce qui précède, ne se feront que de concert entre l’Etat et les opérateurs économiques.
En complément et pour plus de pertinence dans cette recherche de réhabilitation du pouvoir d’achat des ménages, l’Etat devrait étudier la possibilité d’extension de l’homologation des prix à certains autres produits manufacturés localement tels que les produits agroalimentaires (le lait liquide, le vinaigre, les condiments, etc.), les produits ménagers (savon, javel, Madar, etc.), les produits d’hygiène bucco-dentaire (pâte, brosses à dent, bains de bouche, etc.), sans compter les aliments de bétail et volaille.
En effet, ces produits, fabriqués localement, font l’objet de spéculations avec des variations de prix d’un point de vente à un autre, qui grèvent autant le coût des denrées de première nécessité et donc le pouvoir d’achat des ménages.
Pour conclure, nous pensons que le nouveau Plan de redressement économique et social (Pres) doit permettre, grâce à cette ferme prise de conscience de l’Etat et à la condition d’être résolument accompagné par les opérateurs économiques nationaux, de développer un dispositif logistique cohérent, véritable accélérateur de la transformation économique du Sénégal ; lequel dispositif doit se traduire, et le plus rapidement possible, par une consolidation continue des processus d’approvisionnement et une meilleure intégration de nos terroirs.
La présente contribution vaut également pour la logistique hospitalière. Elle permet d’assurer, avec efficacité et efficience, l’administration de soins de qualité aux patients, tout en contribuant à la préservation de leur pouvoir d’achat.
Mamadou FAYE
Logisticien
Grand-Yoff
1 Bemard HOEKMAN, Directeur du Département du Commerce International de la Banque Mondiale.
2 Le Taux de Rendement Synthétique (Trs) est un indicateur clé de performance dans l’industrie, qui mesure l’efficacité globale d’un équipement ou d’une ligne de production en combinant trois facteurs : la disponibilité, la performance et la qualité.