Il est de fait admis depuis Balandier, que les mécanismes du pouvoir portent entre autres sur une grande part de dramatisation qu’ont contribué à renforcer de nos jours l’avènement et surtout la multiplication des médias.
En effet, avec les moyens audiovisuels, particulièrement avec la télévision, le politique a été portée sur scène et soumise au regard sensible des citoyens-spectateurs. Ainsi, faisant irruption dans tous les espaces, s’imposant à notre vue quotidiennement, l’image est devenue un vecteur de communication politique essentiel dans le dispositif de la mécanique du pouvoir. Et les hommes politiques ne négligent surtout pas cette grande contribution de l’image dans l’espace du gouverner.
Notre analyse a ainsi comme objectif de nous permettre de mesurer l’enjeu politique que représentent les médias dans la construction d’une citoyenneté nouvelle, symbolisée par un sujet (électeur) qui se sent aussi concerné par les affaires de l’Etat qu’il est à même d’apprécier la politique de ce dernier que lui présentent sans fard les médias.
Il nous faudrait en revenir aux fondamentaux de toute réflexion sur les règles d’administration politique, lesquels ont été tirés de l’espace grec. En effet, la politique, dans la Grèce Antique, était au cœur même du fonctionnement des sociétés, en tant qu’elle définissait une politique d’organisation, qui trouvait son sens dans cette capacité des hommes de vivre en société, et ainsi d’agir pour le bien-être des gens au sein de la cité. Par où l’on mesure toute l’importance accordée ici à la gestion de la cité, par la gestion tout d’abord de ses institutions. Et il est remarquable de constater qu’une gestion fiable des institutions passe nécessairement par un processus qui permette de rendre compte aux citoyens de la manière dont le pouvoir exerce son magistère. Et c’est justement ce qui donne tout son sens au concept de «démocratie». Retourner aux anciens parce que, dans l’espace du politique selon les anciens, les intérêts du souverain sont étouffés au profit de l’intérêt de tous, le souverain se chargeant de veiller sur tout le corps des citoyens en tant que témoin et juge de tout ce qui se fait dans la cité. Et c’est ce qui justifie que le citoyen se doive d’éloigner de ses pensées toute décision consistant à favoriser la corruption. Ainsi, tout acte devant contribuer à changer l’équilibre réel du gouvernement est à exclure.
Une telle conception du pouvoir nous semble comporter un enjeu, dans la mesure où elle exclut toute autonomie du politique (toute incarnation solitaire du pouvoir). Et il est nécessaire à ce niveau de l’analyse de montrer que le socle de notre réflexion étant l’Afrique, c’est justement dans ce continent que les menaces liées aux dérives républicaines que consacre souvent l’exercice solitaire du pouvoir, sont le plus notées, avec des élections toujours contestées dans certains pays, un pouvoir confisqué, presque assis sur une charge héréditaire ou démagogique, qui exclut tout consentement réel des citoyens. D’où l’exigence de démocratie effective dans certains pays d’Afrique.
Et le rôle de la presse, à cet effet, demeure capital, eu égard au fait qu’elle est l’instrument fondamental qui nous livre le secret du gouverner. Raison pour laquelle elle constitue de nos jours presque un pouvoir à part, à côté des pouvoirs traditionnellement admis dans l’espace politique.
Les rapports entre médias et politiques doivent ainsi se fonder sur une interdépendance, surtout de nos jours où on parle de démocratie d’opinion.
La presse doit ainsi constituer un support pour certains hommes politiques, en leur permettant de façonner un discours non en fonction de leurs convictions, mais plutôt selon l’état de l’opinion et les visions de certains médias. J’insiste sur la question, car on note qu’en Afrique, en période électorale, se pose souvent dans certains pays le problème lié à l’égalité d’accès à la parole des candidats. Il est aussi à déplorer le fait que la télévision en Afrique n’offre pas toujours le moyen d’assister à de véritables débats d’idées, car étant le lieu par excellence où se joue le spectacle politique, ce qui renvoie à la pensée de Berkeley selon laquelle, «être c’est être perçu». C’est très exactement dans cette logique que Pierre Bourdieu constate : «C’est ainsi que l’écran de télévision est devenu aujourd’hui une sorte de miroir de Narcisse, un lieu d’exhibition narcissique.» (Sur la télévision, Paris, 1996, P11).
Ainsi, une révolution aussi bien démocratique que civique s’impose en Afrique où les problèmes liés aux élections (contestations, annonces de fraudes, violences au sein des partis, et souvent entre opposants et hommes au pouvoir) s’expliquent par le fait que beaucoup de ceux qui se disent hommes politiques ne sont mus que par des ambitions assises sur l’incompétence. Faire de la politique, dans certains pays africains constitue l’un des meilleurs moyens de promotion sociale, une pure marque d’intérêt matériel. Et c’est ce qui explique cette pléthore de partis politiques, plus mus, les uns et les autres, par une opposition stratégique qui tend à favoriser l’attention du chef de l’Etat à leur endroit (en vue d’une possible transhumance) que par une véritable opposition démocratique, basée sur des convictions idéologiques.
Et c’est ce qui explique que la presse doive jouer pleinement son rôle, en étant au service des citoyens, en dénonçant les travers démocratiques, les iniquités sociales et toutes sortes de dérives et de manquements. Mais au lieu de cela, nous assistons en Afrique assez souvent, à une forme de censure indicible qu’opère la télévision sur les débats, ce qui a comme catalyseur un contrôle politique que suscite la logique de l’audimat ainsi que les contraintes de pratiques démagogiques nécessaires à la concurrence entre les différents organes médiatiques. A côté de cette concurrence, il convient aussi de noter la réalité des médias d’Etat, dont l’objectif premier est de tendre à parfaire le pouvoir qu’il représente, à nous imposer les moindres hauts faits du pouvoir en place, en veillant soigneusement à cacher le jeu véritable du prince. Une gouvernance démocratique apaisée en Afrique ne pourrait donc être construite qu’en tenant compte de ces réalités avancées, car le principe fondateur de la paix c’est tout d’abord le respect des citoyens (du Peuple). C’est au nom de ce respect que le pouvoir pose ses règles d’administration et de fonctionnement. En effet, quel pourrait être l’objectif réel du pouvoir si ce n’est le bonheur de la communauté ? Si l’on se fie à la démocratie, dans son acception étymologique, l’on se rend compte que le Peuple demeure au cœur de tout magistère, en tant que c’est lui qui, en définitive, confie l’autorité au chef. Et, c’est la raison pour laquelle le pouvoir, chez des auteurs contractualistes tels Thomas Hobbes et J. J. Rousseau, est nécessairement assis sur la base d’un contrat qui en détermine les règles d’exercice, tout en tenant compte de l’intérêt général (là nous sommes chez Rousseau), car c’est celui-ci qui détient la vraie souveraineté. Compte-tenu de cela, tout exercice solitaire du pouvoir, ne tendant pas à favoriser la paix et la cohésion sociale, doit être banni et surtout dénoncé par ces contre-pouvoirs ou contre-points idéologiques que représentent ces instances que sont la presse et la Société civile.
Parce que le pouvoir ne relève pas d’un héritage, il est normal qu’il fasse l’objet d’une dénonciation s’il tend vers un intérêt particulier quelconque ; mais, dans ce cas, il convient d’insister sur la bonne manière de faire face à l’autorité. Le journaliste, qui est un leader d’opinion, doit prendre garde à écarter toute forme d’influence néfaste sur le Peuple. Il ne convient pas toujours d’en appeler à la révolte (consciemment ou non) de par le traitement de l’information. Le journaliste doit surtout, avec professionnalisme, servir de lien de transmission des revendications populaires auprès des autorités, en veillant à traiter l’information sans susciter quelque sentiment d’une appartenance quelconque, dans un camp ou dans un autre. C’est cette attitude qui pourrait favoriser un libre débat entre le Peuple (par sa voix et celle de la Société civile) et ses chefs. Quant à ces derniers, ils doivent garder pour toujours en tête que le pouvoir ne s’incarne pas exclusivement par la figure d’un chef qui en dicte le fonctionnement selon son bon-vouloir, comme s’il l’avait reçu en héritage. Le bonheur du Peuple doit constituer leur objectif premier, ce qui exclut d’emblée l’appel à un fils en vue d’une succession. Mais, si en Afrique les problèmes liés à l’exercice de l’autorité demeurent toujours, c’est justement parce que certains présidents ont fait de l’autorité une affaire de famille, ce qui explique le long règne de certaines familles, qui perpétuent la tradition liée à la gouvernance et sans états d’âme, en voyant le fils succéder au père, et répéter les mêmes actes ignobles condamnés sous le règne du chef de la dynastie. Et il est regrettable de constater la manière avec laquelle la démocratie et les droits de l’Homme sont piétinés dans certaines contrées de l’Afrique où le mode de dévolution du pouvoir s’apparente à la monarchie, avec des journalistes assassinés, qui cherchaient à enquêter à propos d’injustices commises, entraînant souvent une mort soudaine et mystérieuse des citoyens (Affaire Norbert Zongo au Burkina). Ce musèlement de l’opinion est une atteinte grave à la démocratie et aux droits de l’Homme, en tant qu’il remet en cause un droit fondamental garanti à l’homme par des textes fondateurs majeurs : le droit à l’information. Et ce droit est un principe fondateur de la citoyenneté.
Ainsi, comme nous le disions tantôt, une révolution aussi bien démocratique que civique s’impose, en vue d’une meilleure gestion de la cité et des hommes.
La paix, qui est l’apanage de toute aspiration au vivre collectif, est donc un pilier, un enjeu politique, ne serait-ce que parce que c’est grâce à elle que le pouvoir trouve sa crédibilité, car l’une des fonctions majeures de l’autorité est la garantie de la cohésion sociale, ce qui se constitue sur la base d’une construction toujours renouvelée de la paix et de la concorde.
A LIRE AUSSI...