A priori, ce titre qui n’est pas sans re-convoquer à l’inverse l’intitulé de l’ouvrage de Michel Foucault («Surveiller et punir») peut paraître assez provocateur, compte tenu de l’objectif de l’auteur en écrivant son livre à l’époque. Mais ce qui fait penser à cet auteur et qui justifie du choix de notre sujet ici, c’est l’étrange familiarité que certaines de ses réflexions entretiennent hélas avec notre brûlante actualité dont la plus en vue demeure la réaction du prince face à l’affaire Khalifa Sall. En effet, la sortie du Président, enregistrée sur les ondes françaises, a suscité un profond tollé, eu égard à la fermeté de ton qui a accompagné ces sombres propos extraits d’une tirade sur la «grâce présidentielle» qu’il pourrait accorder à l’ex maire de Dakar : «…Le jour où j’en aurai la volonté ou le désir, je le ferai…»
Ce qui est intéressant à lire à travers cette réaction du prince, c’est la sourde intention qui l’accompagne et qui curieusement n’est pas sans trahir ce dessein poursuivi par tout pouvoir et que n’hésitait pas à formuler Foucault pour justifier de l’objectif de son livre : quels sont les techniques et les savoirs, les pratiques et les discours qu’on peut déployer pour maintenir l’ordre ? Et de manière plus précise : comment le corps peut-il constituer une prise pour le pouvoir ?
A ces questions, le prince a su répondre de manière très subtile en opérant une stratégie et dans la pratique et dans le discours. De manière très subtile dans la pratique, si l’on se réfère au «symbole de la violence» que traduit sa décision de «corriger» un corps en l’emprisonnant non seulement, mais ce faisant en le marquant du sceau indélébile de l’infamie qui a conduit à exclure un potentiel candidat à la Présidentielle, voire à exclure à tout jamais un homme de la société des «honnêtes gens». C’est en ce sens que nous pouvons lire la grande punition opérée par le prince sur un sujet qui représentait une menace sérieuse pour son magistère, en ce qu’il avait atteint un degré de notoriété tel qu’il se posait en alternative valable face au prince lui-même pour les échéances électorales futures. Mais nous savons depuis Machiavel et l’épisode de l’exécution du ministre Rémy d’Orque par César Borgia (qui fut son chef) qu’un prince doit veiller à ne pas avoir de concurrents susceptibles de le renverser un jour. Même si Borgia avait donné les pleins pouvoirs à son ministre qui était enfin parvenu à pacifier la Romagne, cet objectif atteint, il avait compris la nécessité de s’en débarrasser très vite en usant d’une stratégie où la trahison s’est mêlée au mensonge qui trompe la confiance d’autrui, en signant la rupture avec des principes revendiqués. Ainsi fut exécuté Rémy d’Orque dont tout le comportement fort banni par le Peuple résultait pourtant du bon-vouloir du prince dont il suivait les ordres. Mais ce qu’il n’avait pas intégré, c’est qu’il ne fallait pas gagner trop d’emprise en suscitant la crainte du Peuple, car ce serait marcher sur les pas du prince ; or le prince doit gouverner seul. Le prince doit donc, par nécessité parfois, opérer une violence dans la pratique, en prenant des décisions qui font mal dans leur symbolisme. Toutefois, il convient de noter que le jugement rendu à cet effet ne rétablit pas forcément la justice, plutôt il tend à réactiver le pouvoir du prince. Et c’est à ce niveau que le prince exprime en usant de ruse la dissymétrie des rapports sociaux en montrant sa capacité de se venger contre tout potentiel adversaire. Et cette grande stratégie dans la pratique politique s’accompagne également d’une ruse dans le discours. C’est peut-être cela que nous pouvons retenir des propos du chef de l’Etat ci-dessus mentionnés, évoquant attendre «un jour» où «sa» volonté se conjuguerait à «son» désir d’observer une grâce présidentielle pour le cas Khalifa Sall. Propos révoltants pour certains, mais empreints de significations pour qui sait lire les intentions réelles du pouvoir. En effet, ces propos subsument toute la volonté de domination du prince qui vise l’atteinte des individus en permettant le dressage par la psychologie. Ces propos expriment en outre la grande capacité du prince à s’arrêter sur les comportements et à questionner. Et cette attitude suscite forcément un malaise dans la mesure où elle tend toujours à rappeler l’ordre, mais surtout à faire prendre conscience qu’en définitive la dernière décision revient exclusivement au Président, et à lui seul. A cet effet, tout en punissant, le prince détient tout autant le monopole de la surveillance qui oblige à «entrer dans les rangs» en indiquant les limites de notre liberté par rapport à la majesté de l’Etat.