L’ambition du pouvoir est-elle absurde ? En apparence, non, répond Edouard Balladur qui, dans son ouvrage, «Machiavel en démocratie», s’exprime ainsi : «Si rien n’est durable, si tout se corrompt, si la décadence vient après le succès, pourquoi le rechercher ?» Si nous poursuivons toujours la gloire que confère le pouvoir, c’est que, manifestement, le pouvoir est le plus puissant des aphrodisiaques, de l’avis de Robert Badinter.
Et si la guerre, comme le reconnaissait du reste Eric Weil, «a porté Machiavel des bibliothèques sur les places publiques», n’est-ce pas parce que toute pensée du pouvoir, donc de la puissance, ne trouve sa digne manifestation que sur scène, comme manifestation de la surface, comme représentation de ce qui, par essence, procède toujours d’un divorce entre l’être et le paraître. Le pouvoir exigeant toujours un silence sur l’essence cachée de ses véritables intentions.
Et il en est ainsi de tout procédé qui relève de la réalité du pouvoir. La cérémonie d’investiture des présidents nouvellement élus ou réélus en faisant foi. Cette réalité de la cérémonie d’investiture mettant à nu l’espace politique traversé par l’apparence et la théâtralisation de l’action ; et cette «apologie de la manifestation et de la surface», expression chère à Nizar Ben Saad (in Machiavel en France. Des Lumières à la Révolution, Harmattan, Paris, 2007), suffit à convaincre de l’idée que le pouvoir ne s’exerce que dans le jeu de miroir. Pour produire l’effet de l’auto-manifestation, l’expression du paraître, le semblant d’être que le protocole accompagne comme artifice de manière magistrale. Et à chaque président, d’apposer sa marque sur cette journée particulière.
En Hexagone, Mitterrand choisit le Panthéon, où il est allé seul, à pied, afin de s’incliner sur les tombes de Jean Jaurès et de Jean Moulin, bouquet de fleurs en main. Chez nous, le Président Abdoulaye Wade, à travers une maîtrise exceptionnelle de la scène, revêtit les «regalia» après un discours qui prit les allures de ces fameux cours de droit dont il a déjà l’expérience. Et cette nécessité de la scène n’est que l’expression de la nécessité de la ruse pour convaincre le Peuple et l’influencer dans la direction que désormais le Prince a tracée, par la pertinence du discours, en devenant au regard du public, l’expression de la dissimulation.
Ce jour solennel de prestation de serment exige donc de se séparer de toutes les qualités qui suscitent confiance, car, comme le reconnaît Cristina Ion : «L’exercice du pouvoir réside dans ce que le Prince sait cacher, mais aussi dans ce qu’il sait montrer, dans la façon dont il maîtrise la signification de ses gestes et de ses qualités dans l’imaginaire de ses sujets, pour obtenir leur obéissance.» Obama l’a si bien compris qui, en 2009, lors de son investiture, nous a révélé le culte de la parole comme élément de séduction de l’homme politique, en s’installant dans la logique du storytelling, cette terrible «machine à fabriquer des esprits», en «racontant des histoires», pour mieux déclencher les «affects» du Peuple, susciter l’enthousiasme populaire. C’est ainsi que la parole princière travaille l’imagination des spectateurs, en cachant les intentions tapies derrière l’apparence. Mais ce moment solennel de prestation de serment consacre tout autant l’expression de la mémoire revendiquée.
Obama l’exprime à travers cette remarque : «Dans notre périple nous n’avons jamais emprunté de raccourci et ne nous sommes jamais contenté de peu. Cela n’a jamais été un parcours pour les craintifs.» Et Nelson Mandela qui, en 1994, lors de sa prestation de serment, précise : «Nous, le Peuple d’Afrique du Sud, nous nous sentons profondément satisfaits que l’humanité nous ait repris en son sein, nous qui étions hors-la-loi il n’y a pas si longtemps, et que le privilège rare d’être l’hôte des Nations du monde sur notre propre terre, nous ait été accordé.»
Ces propos montrent que le pouvoir est toujours soucieux d’historicité. C’est ce qu’évoque l’Odyssée d’Ulysse, dont les prouesses contées dans des récits légendaires posaient déjà les jalons de la science politique et de ses réalités marquées tout d’abord par le pouvoir de la parole. «Parce que nous vivons les mots quand ils sont justes.» Et parce que le Prince doit en premier lieu posséder le sens des évènements et manier l’art de saisir les bonnes occasions, la prestation de serment est bien l’un des aspects les plus importants de la réalité du pouvoir, par l’effet de crédulité qu’il exige de la part du Peuple qui intronise son prince. Ce qui, en dernier ressort, exprime toute la sacralité du pouvoir, par le rituel qu’il exige. Autant de raisons qui inscrivent le pouvoir dans la sphère de la liturgie, en revêtant le Prince des atours d’un surhumain !
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