La méthode des résidus

Cet état de la société se manifeste par la prolifération des fausses informations, des manipulations médiatiques et des discours trompeurs qui façonnent la perception du public et influencent les décisions politiques. Avec Pastef, plus le mensonge est gros, plus une bonne partie de l’opinion y croit, aidée en cela par des journalistes, chroniqueurs. C’est une indifférence à la vérité. Peu importe que ce qui est dit soit vrai ou faux, l’essentiel, c’est que ce soit dit et que suffisamment de personnes aient envie d’y croire. Nous sommes dans l’ère où la parole politique permet de dire tout et n’importe quoi, qu’il n’est plus permis d’être lié par le réel, le vrai.»
Cela s’est encore vérifié cette semaine, avec la décision du Conseil qui a cassé l’âme (article premier) de la proposition de loi dite Amadou Bâ, portant interprétation de la loi d’amnistie de mars 2024. En lieu et place d’une interprétation, la majorité mécanique de Pastef avait en réalité tenté de modifier la loi d’amnistie. Ce qui fait que la loi dite interprétative était aussi dangereuse que la loi d’amnistie elle-même. C’est ainsi que l’immense analyste, chroniqueur-tailleur Abdou Nguer avait déjà prévenu que cette loi votée dans le «diaay doolé» (loi du plus fort) et le «maa tey» (je-m’en-foutisme) violait la Constitution.
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Avec pédagogie, les «Sages» ont expliqué que Pastef avait tenté une «modification substantielle» de la loi ; ce qui est anticonstitutionnel. «Avec la décision, vous avez politiquement raison parce que vous détenez la majorité à l’Hémicycle, mais vous avez juridiquement tort parce que vous avez violé la Constitution.» Commentaire cinglant et sans équivoque du Pr Mounirou Sy, qui ajoute : «Le Peuple a maintenant quelqu’un qui veille à ses droits, à savoir le juge constitutionnel. Lorsque le Peuple perd la démocratie à l’Assemblée nationale, il peut l’attendre au Conseil constitutionnel qui est maintenant son partenaire.»
Crier victoire, c’est vouloir peindre d’urine le ciel
Mais en sautant délibérément 30 considérants pour se cramponner au Considérant 31, Ousmane Sonko et Pastef essaient encore de vendre du sable à des bédouins, car la loi initiale de 2024 n’avait pas vocation à couvrir des faits qualifiés de crime ou de torture. «Je me serais bien gardé de me prononcer sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi dite «interprétative», si les résidus d’opposition sénégalaise ne s’étaient pas précipités, dans une tentative désespérée de récupération politicienne, de conclure à un revers juridique du Groupe parlementaire Pastef/Les Patriotes. Il en est tout autre, car cette décision conforte la démarche et les objectifs poursuivis par la proposition de loi interprétative, à savoir : (1) Exclure du champ de la loi initiale les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants ; (2) Y maintenir les autres motifs de poursuites de faits se rapportant à des manifestations politiques», se vante Ousmane Sonko, qui ajoute : «Le Conseil constitutionnel a simplement considéré que le postulat qui fonde la démarche du Groupe parlementaire Pastef, selon lequel l’article premier de la loi initiale incluait les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, était superflu car, dans sa version originale, la loi excluait déjà d’office cette catégorie d’infractions, conformément aux engagements internationaux à valeur constitutionnelle de notre pays (Considérant 31).» Et pourtant, la ministre Aïssata Tall Sall l’avait clairement signifié lors du vote de la loi en 2024.
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Permettez-moi une légère fulgurance presque poétique. L’association des mots «résidus» et «opposition sénégalaise» phosphorent dans mon esprit. Je pense à la toute puissante méthode mathématique de résolution des intégrales complexes par la méthode des résidus. Je me dis que rien qu’en se basant sur des résidus, on arrive à démêler et à résoudre des situations complexes. L’évidence m’assaille : le résidu est en définitive la partie la plus simple d’un problème complexe que l’on a morcelé en tous petits bouts simples, afin d’en trouver une solution rapide. Ils sont simples mais, combinés, ils sont d’une efficacité redoutable. Point de salut en dehors des résidus. Les résidus, dotés en plus de méthode, nous mèneraient-ils à La Solution ? Au terme de cette digression, revenons à présent à notre sujet.
Comme qui dirait, voir Pastef crier victoire, c’est vouloir peindre le ciel d’urine en étant couché sur le dos, la bouche ouverte (diaakhaan di saw). En réalité, la loi interprétative du député Amadou Bâ a été sèchement rejetée par le Conseil constitutionnel, qui a clairement affirmé que cette loi était superflue car celle de 2024 excluait déjà les crimes graves. Autrement dit, Pastef a tenté d’éclaircir ce qui était aussi frappant que le soleil au zénith : une manœuvre inutile, symptomatique d’un amateurisme juridique criant. Plus inquiétant encore, après une année de grâce, passer autant de temps à vouloir éclaircir un point juridique aussi intelligible interroge sur la capacité de ces derniers à percevoir à l’état de l’économie. Devra-t-on encore attendre deux ans avant que l’évidence ne les foudroie ? Bref, Pastef a voulu faire passer ce revers juridique, que dis-je, cette cécité, pour une victoire politique en voulant tordre le cou à la vérité. Même Juan Branco parle de «rejet de la loi interprétative».
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Cette tentative de maquiller un camouflet institutionnel en succès stratégique relève plus du théâtre que du Droit. Faisons simple : tu vas jouer un match, tu mobilises tes supporters (députés Pastef, influenceurs, journalistes, partisans…) avec un tapage inouï. Tu perds le match et tu leur fais croire que tu les as mobilisés juste pour perdre. Ce qui est grave, c’est que ces mêmes supporters applaudissent le discours défaitiste de leur leader.
Pourtant, c’est clair et très logique comme 2 plus deux font 4, et il faut vraiment être militant pastéfien pour ne pas le comprendre. Vous ne pouvez pas introduire une proposition de loi, l’amender à deux reprises, la faire voter par une majorité mécanique, la défendre devant le Conseil constitutionnel par le président de l’Assemblée nationale et l’Agent judiciaire de l’Etat (Considérant 18 de la décision), puis vous faire désavouer par les «Sages» et finir par jubiler. La proposition de Amadou Bâ n’avait pas sa raison d’être. Tout ce bruit, tout ce précieux temps perdu pour, en définitive, revenir à la case départ.
Pastef n’a jamais été un modèle de démocratie
D’ailleurs, commentant cette décision, Ousmane Sonko brandit sans honte une ordonnance de non-lieu obtenue… depuis le 23 janvier et seulement publiée 3 mois après, sur la base d’une loi d’amnistie qu’on a soi-même contestée, soi-disant. Comment peut-il se prévaloir d’un non-lieu que lui confère une loi dont il dit ne pas avoir voulu ? Le voilà qui se félicite d’avoir été blanchi. Quand le vaincu crie victoire, que doit faire le vainqueur ? Si ces chefs d’inculpation n’ont jamais eu lieu (amnistie oblige), le juge d’instruction devrait-il alors prendre une décision de Justice ? A problématique complexe, il faut intégrer la méthode des résidus. Etant donné qu’un non-lieu est un verdict ! La loi d’amnistie interdit à tout magistrat de se prononcer sur des faits qui y sont relatifs ! Qui craignait de ne pas être protégé par cette fameuse loi ?
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Sonko peut essayer de faire «effacer» le sang versé par des discours qui ont bien harangué les foules, par des appels répétés à l’insurrection. La Justice, la vraie, rattrapera toujours ceux qui ont semé le chaos dans ce pays, et «Wade, mille et une vies», le nouveau livre de Madiambal Diagne, vient nous rafraîchir la mémoire sur le rôle de l’ancien Président dans ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire Me Babacar Sèye». Ironie du sort, ce meurtre est pourtant couvert par une loi d’amnistie.
Donc, si traque il doit y avoir, elle ne doit pas viser ceux qui vous ont dénoncé ou ceux qui ont maintenu l’ordre public, mais bien ceux qui ont transformé les rues du Sénégal en champ de guerre. Et au sommet de cette pyramide de violence et de destruction de biens publics et privés, plastronne celui qui a voulu, par tous les moyens, accéder au pouvoir… même au prix de la paix et de la cohésion nationale.
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Sonko et Pastef ont certes «subi» la violence d’Etat, mais à plusieurs reprises, ils ont appelé à la confrontation à travers des déclarations et discours. Le 7 février 2021, Ousmane Sonko, pour sa première sortie publique sur l’affaire Adji Sarr, déclare : «Le combat s’annonce mortel, et le mot n’est pas de trop.» Le 24 mai 2023, il dira : «Plus il y aura de victimes, plus la pression augmentera sur le régime.» Sa responsabilité d’avoir exposé ses partisans par des propos incendiaires sur une stratégie du chaos assumée coule de source. Les jeunes tombés et blessés entre 2021 et 2024 peuvent être considérés comme des victimes du régime de Macky, mais Sonko n’en est-il pas le principal instigateur ? Ils sont victimes de la violence d’Etat, mais ils le sont tout autant d’une stratégie politique risquée, morbide et savamment planifiée.
Il est évident que les «résidus d’opposition sénégalaise» ont été ceux qui, malgré les menaces, les intimidations et la violence, ont tenu debout face à la dérive autoritaire et populiste de ce nouveau pouvoir. Ce sont ceux qui refusent de céder à la terreur politique et à l’intimidation médiatique. Pastef n’a jamais été un modèle de démocratie : censure interne, culte de la personnalité, appels à la désobéissance, tentative de saper toutes les institutions républicaines, jusqu’à rêver d’un coup d’Etat contre les lois de la République. L’on se rappelle le communiqué du 1er juin 2023 dans lequel Pastef a ouvertement appelé «les Forces de l’ordre et l’Armée à se mettre du coté du Peuple opprimé par Macky Sall». Non sans appeler «le Peuple (à arrêter) toute activité et (à descendre) dans la rue pour faire face aux dérives dictatoriales et sanguinaires du régime de Macky Sall jusqu’à son départ de la tête de l’Etat». Ces résidus d’opposants se sont montrés plus intelligents, plus méthodiques, plus instruits et plus réfléchis que lui. Ils n’ont pas l’injure à la bouche, ils n’ont pas appelé au «mortal kombat», ni à traîner l’actuel président de la République «comme Samuel Doe». Cette méthode des résidus n’est-elle pas en définitive cette puissante mécanique mathématique qui déconstruit la complexité pour apporter des solutions simples ? Thats’s the question !
Par Bachir FOFANA