Depuis l’avènement de Pastef au pouvoir, un discours s’est imposé dans les sphères gouvernementales : celui de la rupture, de la rigueur, de la transparence. Mais paradoxalement, c’est dans le secteur qui cristallise le plus d’espoir, celui de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri), que les pratiques les plus déroutantes, les plus abruptes et les plus incompréhensibles se sont installées. Et aujourd’hui, avec la suspension brutale et iconoclaste des bourses pour les étudiants de Master 2, le masque est tombé : le Mesri sombre dans un dilatoire qui relève moins de la réforme que de l’indifférence, moins de la rigueur que de la désinvolture administrative.
L’ampleur de la situation nous impose, peut-être à contrecœur, de nous détacher de notre grille habituelle d’analyse : le Droit et les finances publiques. Il faut peut-être simplement et uniquement de la littérature pour une fois-ci. Ni chiffres, ni données, ni technicité déroutante dans le propos. En réalité, je n’en dispose pas car, comme je le confessais à un groupe d’amis, il y a quelques jours, une de mes connaissances au Mesri me martelait ne pas vouloir me donner quelques données budgétaires et quantitatives sur les bourses, le taux de passage en Master, les flux d’orientations et le suivi des investissements sur les cinq dernières années, au motif que j’ai été récemment irrévérencieux à leur encontre. Voilà une attitude qui donne la pleine mesure de l’état d’esprit du désormais «adversaire».

Pour ne pas s’y tromper : l’irrévérence de cette tribune n’est qu’à la hauteur de l’indifférence du «mais ce riz» (et le riz, les étudiants en font une bouchée)
Il y a cinq mois, j’avais publié une note : Omar Sadiakhou, «Le problème du Mesri, c’est le Mesri : les dépenses universitaires, charges ou investissements ?», journal Le Quotidien, 17 juillet 2025 : https://lequotidien.sn/le-probleme-du-mesri-cest-le-mesri-les-depenses-universitaires-charges-ou-investissements/
… qui démontait méthodiquement la thèse du ministère selon laquelle les dépenses par étudiant seraient devenues insoutenables : l’étudiant sénégalais coûte cher. Une affirmation répétée à satiété, mais interdépendante d’aucune analyse honnête, d’aucun examen chiffré rigoureux, d’aucun effort pour contextualiser la dépense éducative dans l’économie réelle, comme les économistes peuvent en voir dans le modèle de Robert Barro. Cette note démontrait que la supposée «lourdeur budgétaire» brandie comme justification à la frilosité ministérielle n’était rien d’autre qu’un écran de fumée qui brouillait les facteurs structurels d’un département en perte de vitesse : années interminables, infrastructures défectueuses, manque de personnel, financement minimaliste de la recherche, etc. Un prétexte commode pour masquer un déficit de vision et de planification. Or, cela est au cœur de tout système politique et économique viable.
Et maintenant, cinq mois plus tard, que constate-t-on ? Au lieu de corriger, au lieu d’améliorer, au lieu de consolider… le Mesri choisit la facilité : suspendre. Suspendre froidement. Suspendre sans mesure d’accompagnement. Suspendre sans étude d’impact. Suspendre sans égard pour les milliers d’étudiants dont la survie académique dépend de ces allocations.

Un dilatoire qui ne dit pas son nom
Ce qui se déploie sous nos yeux n’est pas une gestion rationnelle, encore moins une gouvernance d’excellence. Ce que le Mesri orchestre, c’est un dilatoire institutionnel, une stratégie d’attente, de recul, de temporisation calculée, où chaque retard est justifié par un langage technocratique qui ne trompe plus personne. C’est une fuite en avant, symptôme, là aussi, et pour s’en désoler, de tout un gouvernement qui est partout sauf au salon des priorités :
On invoque la réorganisation ;
On invoque la priorisation ;
On invoque la transition ;
On invoque la relecture des mécanismes ;
Mais en vérité, tout ceci n’est qu’un long rideau rhétorique destiné à gagner du temps sans assumer la responsabilité politique des choix opérés.
Car suspendre les bourses en Master 2, c’est fragiliser précisément ceux qui sont le plus près du but. Ceux qui ont déjà investi quatre, cinq, parfois six années dans un parcours académique souvent semé de difficultés, de sacrifices, d’efforts financiers familiaux. Ceux qui s’apprêtent à produire un mémoire, à se spécialiser, à contribuer scientifiquement. Ceux-là même qui constitueront demain la colonne vertébrale de la recherche nationale (en espérant qu’il reste encore quelque chose de tenable dans l’ossature de celle-ci d’ici-là).

L’iconoclasme comme méthode administrative d’un département hostile au Droit
Cette décision est iconoclaste, non pas parce qu’elle dérange des habitudes, mais parce qu’elle piétine des principes élémentaires : la stabilité. On tient à ce propos d’un grand Doyen, Jean Carbonnier, que «la continuité [ici on a bien une situation juridique constante traduisant manifestement des droits acquis] est un des postulats du Droit dogmatique : permanente autant que générale, la règle juridique est un soleil qui ne se couche jamais». Dans quel pays sérieux suspend-on des bourses à un niveau aussi décisif que le Master 2 sans communication préalable, sans concertation, sans étude publique, et sans calendrier clair ? Dans quel pays sérieux traite-t-on les étudiants, pourtant citoyens à part entière, comme de simples variables d’ajustement ?
Cette brutalité décisionnelle n’est pas une réforme. Ce n’est pas une rigueur budgétaire. C’est une rupture irresponsable, un affranchissement dangereux des règles de prévisibilité qui fondent la crédibilité d’un système.

Les étudiants ne sont pas des victimes collatérales, mais des graines d’espoir
Qu’on se le dise clairement : on ne répare pas un système éducatif en cassant ceux qui le portent. On ne relance pas la recherche en humiliant ceux qui s’y engagent. On ne développe pas un pays en maltraitant sa jeunesse académique. La bourse n’est pas un luxe, ni un privilège : c’est un levier de stabilité, un outil d’égalité, une compensation nécessaire dans un environnement où les opportunités économiques sont limitées. La supprimer, même temporairement, c’est attaquer le cœur même de la méritocratie. Les étudiants demandent une gouvernance cohérente portée par une administration respectueuse. Ils ne demandent pas des privilèges : ils demandent la normalité.

Conclusion : la jeunesse (surtout estudiantine) ne se gouverne pas par le mépris
Il est temps que le Mesri mesure l’ampleur de sa responsabilité. Il est temps qu’il cesse de confondre réforme et déconstruction. Il est temps qu’il comprenne que chaque étudiant suspendu, c’est une thèse qui meurt, un projet professionnel qui se fracture, une famille qui sombre dans l’incertitude.
La jeunesse n’est pas un amas de chiffres. Elle n’est pas un coût. Elle n’est pas un fardeau. Elle est l’avenir d’un pays. Et un pays qui méprise son avenir se condamne lui-même.
Omar SADIAKHOU
Enfant de l’école publique
sénégalaise