J’aime, après la pluie, cette fraîcheur momentanée qui envahit les rues du quartier. C’est une fraîcheur inespérée. Une accalmie après la tempête. Les battants des fenêtres s’ouvrent sur les murs peints taf-taf à la chaux. Le vent s’infiltre à travers les grilles, gonfle les rideaux. Un récurage à fond de l’ambiance intérieure. C’est cette fraîcheur d’après pluie qui balaie de nos maisons, efface les odeurs domestiques. Cuisines, selles, linge sale, les couches sales.
Les jeunes enfants dansent torse nu sous la pluie. L’hivernage lave les corps. Après la pluie, une bouteille en plastique a recueilli l’eau. Le chat sort une petite langue rose et lape. Lui aussi attendait la pluie. Je me suis toujours posé des questions sur le modus vivendi entre les hommes et le chat. C’est le seul animal domestique qui survit entre les murs des maisons et sur et les toits sans être véritablement inquiété, à moins que cela ne soit le fait de quelques garnements. Le rat, par exemple, n’a pas ce privilège. Les chiens, eux, ont une utilité sociale.
Il est vrai que les chats font l’objet d’un massacre de masse, quand ils sont bébés. Regardez comment on les jette, les yeux encore fermés, dans les sacs de riz thaïlandais pour les jeter là-bas, loin des maisons ! Mais s’ils survivent, ils trouvent leur place dans nos quartiers. Ils préfèrent vivre sur les toits pour fuir l’hostilité de l’homme, cet être parfois imprévisible, mais dans l’ensemble, ils sont plutôt tranquilles. Pa Nama avait un chat, ou du moins une chatte, qu’il a cherché à castrer plusieurs fois, sans réussir. Un jour, il est venu avec un mélange de poudre de pomme d’anacarde et des racines sauvages qu’il a mélangées à la nourriture de l’animal, mais rien.
Il trouvait l’animal au pas de sa porte, il lui donnait le bout pointu de sa babouche. L’animal avait fini par reconnaître les bruits de babouche. Il détalait dès qu’il les soupçonnait. Les jours de fête, comme la Tabaski et la Korité, la chatte était dans un état de tourmente qui frisait la démence.
Ma théorie est que soit les chats, dans notre subconscient, constituent une réserve potentielle de nourriture. C’est pour ce qu’ils sont là. Soit ils faisaient partie de vieilles habitudes alimentaires abandonnées. Nos ancêtres ont dû manger du riz au chat pour que le félin trouve encore autant d’hospitalité dans nos foyers…
Que l’hivernage désaltère les bêtes errantes ! Lave les haines entre les voisins. Les familles Ndiaye et Dieng ne se parlent plus. Les deux pères s’évitent à la mosquée, dans la rue. Leurs femmes se croisent sur la route du marché sans s’échanger de regard. Les murs des deux maisons sont mitoyens. Les chats passent d’une maison et à l’autre sans se soucier des haines.
Dans le quartier, ils ont installé des lampadaires dans la rue. Ça marche au solaire. Il fait jour tout le temps. Il n’est plus possible de passer inaperçu. Avant, le soir, on sortait discrètement les restes de repas pour les familles les plus pauvres. Maintenant, dans le quartier, tout le monde sait qui vient voir qui, quelle maison n’a pas mangé le soir. Seuls les chats possédaient ce secret familial. Eux qui fouillent dans les poubelles savent où sont les restes de poisson et de viande et les restes de rien.
La nuit invite au calme, mais ce silence dérange. Les jeunes ont accroché des haut-parleurs. Ils chantent. Ils crient. Leurs pas de danse soulèvent l’odeur de la terre humide. Pour une fois, nous allons être à l’écoute de ces sans-emplois, crève-la-faim, afin de cerner leurs rêves brisés et leurs désespoirs. Mais ils ne disent rien d’eux. Ils chantent les louanges des marabouts. La parole est confisquée.
De plus en plus d’hommes et de femmes quittent le quartier dans l’espoir de trouver ailleurs de meilleures conditions. Aller vivre ailleurs !
C’est lors des départs que nous faisons face à l’incertitude de l’avenir. Allons-nous nous revoir ?