La pensée unique : le virus qui ronge notre démocratie

La fanatisation des masses et de la jeunesse, entreprise ourdie par la figure de proue du Pastef, a produit un vide substantiel dans notre démocratie délibérative. Notre espace public, jadis animé par des discussions critiques sur les enjeux que traverse le Sénégal, est devenu ce que certains pastefiens appellent désormais fièrement «l’Enclos». Les militants du Pastef, traités de «moutons» par leurs détracteurs en raison de leur idolâtrie et de leur servitude volontaire envers leur leader, s’approprient par ironie ce qualificatif des «moutons d’enclos» dont le berger est leur messie, sorti de la cuisse de Jupiter mais qui peine toujours à entrevoir une lueur d’horizon pour le fameux projet que 4 000 cadres fantômes étaient censés concrétiser pour un Sénégal prospère.
Cette armée d’opinion, imbibée de radicalité et idéologiquement ligotée, ne voit, n’entend et n’écoute que son sauveur, quoi qu’il dise, fasse ou promette.
Dans un tel contexte de fermeture, de renoncement à l’altérité, à la disputation et à la discussion critique, aucune démocratie ne saurait prospérer, car toute parole qui ne s’aligne pas strictement sur la perspective de Sonko est systématiquement bannie.
Le lynchage du ministre Abdourahmane Diouf, qui avait pourtant tenu des propos fédérateurs, pacifistes et républicains mais apparemment en décalage avec la volonté du leader du Pastef, est une illustration de la dégradation de notre culture démocratique.
La pensée unique annonce la mort de la démocratie. Elle désagrège la pensée critique, substance vitale de toute société démocratique. Son effet le plus pervers et le plus dangereux est d’instaurer la peur de s’exprimer, une terreur non pas physique, mais qui s’empare des esprits libres pour les assigner au silence, à la complaisance ou au compromis hypocrite.
La pensée unique est le virus le plus virulent et le plus dangereux pour un État qui cultive le dialogue instructif et démocratique. Elle empoisonne le débat, elle érige des opinions dogmatiques en vérités absolues. Elle ne relativise pas. Elle ne jauge pas. Elle avale aveuglément, sans examen ni questionnement. Elle cloue au pilori les voix les plus audibles et les plus brillantes, et dresse une vision manichéenne du monde, refusant toute nuance ou complexité. Elle brandit le pathos comme argument et principe directeur. Tout se juge à l’aune d’un ressentiment. Ce qui le réconforte est admis, relayé et salué ; tout ce qui le contrarie est banni, repoussé et souillé par des insultes.
Ainsi, la démocratie creuse petit à petit sa propre tombe, laissant place au règne d’une pensée unique, c’est-à-dire à une vision populiste de la réalité, conçue par ses adeptes comme de grandes idées révolutionnaires que rien ne doit entraver. Les garde-fous de la démocratie s’ébranlent, l’esprit critique déserte le terrain politique, les médias classiques perdent leur capacité de résistance, les partis d’opposition sont diabolisés et la société civile écartée.
Mafama GUEYE

