«La caricature n’est pas foncièrement méchante et elle suppose de la connivence avec ce qu’elle moque, et la connivence ne va pas sans la tolérance», mentionnait dans ses écrits, Antoine Compagnon. N’est-ce pas un peu en ce sens qu’il faut lire la Une du numéro 4 de l’édition 2017 du Festival de cinéma africain de Khouribga. Cette Une du bulletin d’information du festival consacrée à Sembène Ousmane pousse à la curiosité et à l’analyse. Car comme le disait Alan Locke, «l‘art doit découvrir et révéler la beauté que le préjugé et la caricature ont dissimulée». Qu’a-t-on alors bien voulu faire passer à travers cette caricature symbolique de ce père fondateur de notre cinéma ? D’abord, et sans lire les textes de quotidiens d’information, on peut y voir un hommage à ce héros positif célébré chaque année à Khouribga et qui incarne, à lui seul, les belles valeurs du 7e art. Aussi, avec ce visage grimaçant de «l’aîné des anciens» qui, jamais sinon presque, ne se séparait de sa légendaire pipe, l’on peut deviner que ce portrait offre tout l’homme et qu’ici «la laideur» de l’image offre plutôt à voir «de la beauté au repos», comme l’aurait vu Jean Genêt dans Le Miracle de la rose.
Ensuite, cette caricature qui présente une tension entre laideur et beauté traduit si l’on pousse l’imagination plus loin, le bon comme le mauvais côté, l’humain et le génie qui a habité tout être. Et donc, c’est un Sembène Ousmane pétri de valeurs, de talent, de symbole incontestable du cinéma, mais aussi l’homme avec ces vilains défauts que le caricaturiste a bien voulu mettre en valeur. D’ailleurs selon l’encyclopédie des caricatures, pour saisir l’allusion satirique contenue dans les œuvres, il faut «remonter de l’œuvre à l’intention qui l’a suscitée». On apprend dans ce dictionnaire des caricatures que «l‘auteur du Monde renversé, Reinmar von Zweter, définissait au XIIIe siècle l’homme parfait de la façon suivante : «Il doit avoir des yeux d’autruche et un coup de grue, deux oreilles de porc et un cœur de lion, les mains doivent être représentées comme des griffes d’aigle et de griffon, les pieds comme des pattes d’ours.»». Et, «J. Baltrušaitis reprend ainsi le commentaire de Reinmar : «Les yeux d’autruche regardent aimablement, les porcs ont l’ouïe la plus fine de tous les animaux, le lion est la plus noble bête, l’ours la plus furieuse, les serres du griffon tiennent bien tout ce qu’elles accrochent, les pattes d’aigles sont généreuses et justes, le cou de grue est signe de réflexion.»».
Tout ceci nous pousse à dire avec beaucoup de subjectivité que la caricature de Sembène ici, est à dire vrai, un portrait réussi de ce cinéaste de renom. Car finalement, «ce qu’un œil peu averti prend dans l’art soit pour le produit d’une imagination délirante, soit pour une «charge» est, en réalité, une synthèse allégorique des qualités propres à l’homme de bien». Et une chose est évidente, le problème qui consiste à savoir si une image déformée nous semble drôle ou grotesque, donc «caricaturale», est déterminé par la contradiction. Il faut alors, bien aller au-delà du «j’aime» ou «je n’ai pas aimé» des festivaliers qui ont reçu cette caricature à la Une de l’édition numéro 4 du bulletin du Fcak et se demander si finalement cette Une du journal n’est pas, en réalité, le reflet même du cinéma africain ?
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