Certes, l’adage et le bon sens nous enseignent depuis belle lurette, que la colère est mauvaise conseillère car elle altère à la fois la perception et le jugement. Néan­moins en politique, on ne peut se départir de ce rédhibitoire sentiment humain. Selon que l’on soit au pouvoir ou dans l’opposition, parvenir à contenir la colère à bon escient peut vous permettre d’atteindre vos objectifs de conquête, sans mettre en danger la cohésion ou l’unité nationale. Et c’est là où la politique, à défaut d’être un art, exige tout de même un savoir-faire et une maestria, à ne pas confondre avec l’agitation, la perturbation ou la défiance à tout vent.
Hélas, cela ne semble plus être le cas sous nos cieux, depuis que la radicalité et l’extrémisme ont pris quartier dans les combats politiciens. Evidemment que l’on ne peut admettre le combat politique sans rudesse, ni passion, invectives, railleries ou bravades. Tout de même, qu’en utilisant les seules rodomontades, la transgression, mais surtout la défiance permanente malaxée à la manipulation, la transposition et les fake news comme seules armes de combat, sont plus une preuve de faiblesse et de manque d’envergure pour ceux qui en usent et ne témoignent pas d’une stature de dirigeants patriotes et vertueux.
La première alternance de mars 2000 est une belle illustration que la maturité politique et le discernement social sont les meilleurs atouts pour aller à la conquête du pouvoir par les urnes, sans entraîner des déchirures ou règlements de compte. Ainsi, si cette longue marche d’un quart de siècle du Sopi a pu être victorieuse par les urnes, c’est parce que le Pape du Sopi a su entretenir à la fois la politique du «border-line» (politique du bord de rupture), en la combinant avec des idées, propositions sociales, économiques et politiques pour l’avènement d’une nouvelle société plus égalitaire et prospère, contenant une méthode reformulée de la gestion des affaires publiques.
Ainsi, ce ne sont pas seulement la colère, les déceptions, ressentiments et frustrations qui ont servi de terreau pour la promotion du changement (Sopi). Autre­ment dit, le Pape du Sopi a attaqué le système socialiste, avec toujours en bandoulière des offres différenciées et alternatives par rapport à celles que Senghor et Diouf offraient aux citoyens depuis 40 ans.
L’offre politique de Wade a débouché sur l’alternance libérale en 2000, coiffant au poteau la gauche marxiste dont les idées avaient pourtant, depuis belle lurette assis leur prédominance dans tous les contre-pouvoirs de la société. L’alchimie de Wade a su opérer la jonction entre le désir de changement latent, traversant un pays sous un même pouvoir socialiste depuis 40 ans, avec un programme de gouvernance. S’il a établi son leadership dans l’opposition face aux forces de Gauche et devant des Nationalistes comme Cheikh Anta Diop et Mamadou Dia qui, pourtant, contrôlaient tous les contre-pouvoirs et le débat d’idées, c’est parce que l’homme a prouvé qu’il avait plus que la dénonciation, la vocifération, les intimidations, les bravades et la transgression. Il avait des idées et un programme, à un tel point que cela avait fini de faire de lui le seul alter ego de Diouf. Et donc, la seule alternative crédible devant Savané, Bathily et Dansokho, ainsi que les dissidents socialistes comme Djibo Kâ et Moustapha Niasse.
Il faut de la carrure, du souffle et de l’épaisseur pour aller à l’assaut de la politique et de la conquête des suffrages, pour s’offrir comme un conducteur d’hommes, un traceur de destin, un dirigeant à la tête de l’Etat. Il faut aussi, du discernement en plus d’un grand sens des responsabilités, pour se donner une identité remarquable et devenir ainsi, une offre politique crédible, apte à être élevée à la dignité de président de la République, clé de voûte des Institutions, dans un régime présidentiel comme celui de notre pays. Senghor a su le réussir face à Lamine Guèye, Abdoulaye Wade devant Abdou Diouf et Macky Sall face à Wade, Niasse, Tanor et Idy.
Le Sénégal de cette fin d’année 2021 est un paysage contrasté. Deux années de crise, celle du corona­virus combinée à une crise économique planétaire, ont marqué au fer rouge les débuts du deuxième mandat du Président Macky Sall. La colère et la déception ne peuvent donc être absentes dans un tel contexte, malgré les réussites notables et visibles obtenues par Macky Sall et ses équipes depuis 2012. Les indicateurs affichent un taux de croissance de plus de 3%, après avoir frôlé les 7% avant la pandémie. Certains seront tentés de dire que ce taux actuel est faible, mais tous les agrégats indiquent que le pays a su éviter les chocs les plus meurtriers de cette double crise, économique et sanitaire, en évitant la récession ou la banqueroute. Même si certains Cassan­dres prévoyaient que le contexte sécuritaire sous-régional mettant à nu toutes les fragilités des pays de la sous-région, n’allait pas laisser intact un pays comme le Sénégal. Si le pays a échappé jusqu’à présent à des soulèvements et insurrections, certains pyromanes ou néophytes en politique rêvent des évènements socio-religieux du Mali ou la rébellion militaire de Conakry ou des errements analogues à ceux de Alpha Condé, pour précipiter le chaos sous nos cieux en pensant en tirer profit.
Néanmoins, la pauvreté, le sous-emploi et les spéculations commerciales continuent à porter des coups rudes aux populations. Une part de colère est donc légitime, dans un tel contexte. Pour autant, cela doit-il ou peut-il être le seul moteur de l’action politique ?
Il est loisible de noter ou d’observer que l’absence de propositions et/ou le mutisme sur les véritables problèmes se posant au pays, sont les positions les mieux partagées sur la scène politique. Critiquer, vitupérer, enfoncer des portes ouvertes en dénonçant tout et rien, sont devenus les principales activités de notre classe politique.
De Yoonu yokuté au Pse, toutes les politiques publiques mises en application depuis 2012, offrent des solutions pour le présent et le futur immédiat du pays. Sont-elles les meilleures ou les plus pertinentes ? Elles valent ce qu’elles valent, mais ont l’avantage de proposer des perspectives et un avenir. En face, il n’y a presque rien, plutôt des dénonciations, constatations sur les attentes ou les insatisfactions des populations. Ni propositions, ni programmes chiffrés et documentés sur les problèmes du pays et son devenir. Tout au plus, certains proposent-ils de raser gratis, ouvrir des bûchers ou dresser des potences, comme si l’on devait rééditer la Révolution Française de 1789 ou celle d’octobre 1917 en Russie !
L’éducation et l’école ne peuvent continuer sous le même format et les mêmes déclinaisons de la maternelle au supérieur, car les temps ont changé entre l’école que proposait Senghor en 1960 et notre époque, où les Tics ont tout bouleversé avec leur civilisation du digital et de la connectivité. L’emploi (des jeunes mais pas seulement) exige des réponses adaptées à notre situation : une démographie positive, une vie professionnelle allongée, avec la retraite à 60 ans, dans un contexte où les progrès de la science et de la technique détruisent des emplois dans tous les secteurs, du fait de l’automatisation et de la robotisation.
Le rôle et la place de l’industrie, l’agriculture et les ressources nationales dans l’élaboration d’un futur pour le pays, sont des questionnements incontournables. L’avancée du désert, l’érosion de nos côtes maritimes, la rareté des ressources halieutiques, la protection de la nature et de notre biodiversité, tous ces sujets nous interpellent. Toutes ces questions me paraissent plus vitales pour notre pays, que les algarades et les jeux de matamores que l’on observe dans cette période de pré-campagne pour les élections locales.
Sur ce registre d’ailleurs, tous les candidats à la conquête des Villes ou départements ne rivalisent que sur un registre : celui consistant à dire les choses les plus épouvantables contre leurs adversaires. Mais, nul n’offre un programme pour améliorer le cadre de vie d’une cité, ou ne s’aventure à afficher des ambitions, pour faire de la Ville ou du département qu’il veut diriger, une métropole de dimension mondiale ou d’en faire le département le plus riche du pays.
Senghor rêvait de faire du Sénégal, une Grèce noire. Wade, lui, ambitionnait de transformer le pays en lion économique. Ils savaient nous faire rêver et nous promettaient un horizon mythique. Macky Sall, par l’émergence, nous conduit depuis 10 ans en accélérant la cadence dans ce nouveau monde, où tout est à inventer. Et pourtant, la classe politique ne nous offre que des combats de gladiateurs.
Abdoulaye Bamba DIALLO