Je prends la parole avec l’autorité que confère un parcours académique, scientifique et professionnel à la croisée de l’ingénierie de la connaissance, de la sociologie du cyberespace et des communications avancées. Cette autorité repose sur un engagement concret : j’ai été à l’origine du branding de La Poste en 1993, un travail fondateur qui a contribué à moderniser l’image d’une institution stratégique du Sénégal. Cette expérience démontre que la transformation institutionnelle et organisationnelle, lorsqu’elle est pensée dans une vision systémique et prospective, peut produire des effets durables sur l’efficacité, la perception et la légitimité d’un acteur public. C’est avec cette même posture de chercheur-praticien que je m’adresse aujourd’hui à M. Fadilou Keïta et M. Alioune Sall, ministre de la Commu­nication, des télécommunications et du numérique, ainsi qu’à la Caisse des dépôts et consignations, pour proposer un plan de recadrage stratégique de La Poste, fondé sur l’anticipation, la convergence et la réingénierie des processus à la suite des préconisations stratégiques du Premier ministre Ousmane Sonko.
Mon parcours académique et professionnel me permet d’articuler des analyses critiques et des propositions opérationnelles. Post-doctorant en ingénierie de la connaissance, docteur en sociologie du cyberespace et doublement maître en communication, je combine des approches complémentaires pour examiner les mutations organisationnelles dans un environnement numérique et globalisé. L’ingénierie de la connaissance offre les outils pour structurer l’information comme capital stratégique. La sociologie du cyberespace fournit les grilles pour comprendre comment les réseaux numériques, les infrastructures et les dispositifs de communication conditionnent les pratiques institutionnelles, la gouvernance et la prise de décision. Enfin, la communication permet de traduire ces analyses en dispositifs lisibles, compréhensibles et actionnables pour les décideurs et citoyens.

Fort de ce socle, je propose d’aborder la transformation de La Poste à travers un diagnostic structuré selon le modèle des 6D’s, afin d’identifier les dimensions critiques de l’institution et de mesurer le niveau de criticité des enjeux. Ces six dimensions -Décision, Don­nées, Développement, Distri­bu­tion, Digitalisation et Durabilité- constituent un prisme pour analyser simultanément les processus internes, l’infrastructure technique, la culture organisationnelle et l’alignement stratégique avec les politiques nationales et internationales. L’objectif est de déterminer quels leviers doivent être activés pour permettre à La Poste de remplir pleinement son rôle dans l’inclusion économique, sociale, numérique et financière, conformément aux orientations stratégiques arrêtées par le Premier ministre.

Dans l’axe Décision, il est essentiel d’examiner comment la gouvernance actuelle favorise ou freine la prise de décision stratégique. La Poste doit passer d’une logique linéaire, réactive, à une approche proactive et anticipatoire. Ici, la théorie de la convergence anticipatoire que je mobilise depuis mes travaux post-doctoraux, offre une grille puissante : elle permet de prévoir les trajectoires possibles de l’institution, de simuler leurs impacts et d’orienter la décision présente pour éviter les erreurs structurelles et renforcer la résilience. Les orientations du Premier ministre mettent l’accent sur l’utilisation de La Poste comme outil d’inclusion et de développement ; elles doivent être traduites en décisions stratégiques concrètes, cohérentes et articulées sur un horizon long terme.

Pour la dimension Données, il s’agit de considérer l’information comme un capital stratégique. La Poste collecte, traite et diffuse des volumes significatifs de données financières, logistiques et sociales. La préconisation de l’Uit est de mettre en place une gouvernance robuste des données, garantissant leur qualité, leur sécurité et leur accessibilité pour les prises de décision. Dans ce cadre, la Cdc peut jouer un rôle de catalyseur en investissant dans des infrastructures de traitement et d’analyse, tandis que le ministère définit les règles d’éthique, de confidentialité et de souveraineté numérique. La synergie entre ces deux acteurs est essentielle pour créer un écosystème où les données deviennent un levier de performance et non un facteur de risque.

Le Développement, troisième dimension, implique de repenser les compétences, la formation et la culture organisationnelle. Une Poste moderne nécessite des agents capables d’intégrer les outils numériques, d’analyser des données complexes et de travailler dans un environnement interconnecté. Les modèles Uit recommandent le renforcement des capacités locales et la création de parcours d’apprentissage continus, adaptés aux mutations technologiques et sociales. La convergence anticipatoire permet ici d’anticiper les besoins futurs, de préparer des plans de formation flexibles et d’assurer que les compétences disponibles soient alignées sur les trajectoires stratégiques de l’institution.

La Distribution, quatrième dimension, concerne la chaîne logistique et la relation avec les usagers. Une approche centrée sur le citoyen, intégrant les technologies numériques, permet de transformer l’expérience utilisateur, d’améliorer la fiabilité et de renforcer la confiance dans l’institution. Les innovations proposées par l’Uit, telles que les plateformes numériques sécurisées, les applications mobiles et les solutions de traçabilité, doivent être adaptées aux réalités sénégalaises pour renforcer l’efficacité opérationnelle. La Cdc peut soutenir ces initiatives par le financement de solutions innovantes, tandis que le ministère assure le cadre réglementaire et normatif nécessaire à leur succès.

La Digitalisation constitue la cinquième dimension et représente le cœur de la transformation. La Poste doit évoluer vers un modèle numérique intégré, capable de proposer des services financiers, logistiques et administratifs accessibles à tous. Les préconisations Uit offrent des standards pour l’interopérabilité, la sécurité, l’inclusion et la durabilité. L’enjeu est de construire une architecture numérique qui favorise l’agilité, l’innovation et l’intégration des services, tout en garantissant la protection des données et la confiance des usagers. La convergence anticipatoire sert à évaluer les technologies émergentes, leur pertinence et leur impact potentiel, permettant de choisir les solutions les plus adaptées.

Enfin, la Durabilité, sixième dimension, implique d’inscrire toutes les actions dans une logique de long terme, prenant en compte les aspects financier, environnemental, social et technologique. L’Uit insiste sur la nécessité de concevoir des infrastructures résilientes, économes en ressources et capables de s’adapter aux évolutions rapides. La Poste doit s’inscrire dans cette logique pour assurer la pérennité de ses services et leur contribution à l’inclusion et au développement économique et social du Sénégal.

Le diagnostic structuré selon les 6D’s montre clairement que La Poste se trouve à un point critique : ses infrastructures et processus doivent être modernisés, sa culture organisationnelle transformée, sa gouvernance adaptée et sa stratégie alignée avec les normes internationales. Ces enjeux justifient l’intégration d’experts capables d’apporter une vision prospective et des outils méthodologiques solides, comme c’est le cas pour la diaspora qualifiée, qui dispose de l’expérience et des compétences nécessaires pour accompagner ce changement.

En attendant nos rencontres prochaines, il est possible d’utiliser les préconisations de l’Uit comme cadre de propositions transitoire. Cela permet de structurer un corpus cohérent de recommandations, alignées sur les standards internationaux, tout en offrant aux décideurs un outil opérationnel pour orienter les décisions présentes et préparer l’avenir. Cette démarche permet également de créer un dialogue anticipatif entre le ministère, la Cdc et les experts externes, facilitant l’adhésion, la légitimation et la coordination des actions.

Les propositions concrètes peuvent inclure la création d’un fonds souverain pour le développement numérique, géré conjointement par la Cdc et le ministère, visant à financer les infrastructures critiques et les solutions innovantes. Il est également nécessaire de mettre en place des laboratoires vivants («living labs») pour tester et valider les innovations, des instituts de formation continue pour renforcer les compétences internes, et une charte de confiance numérique engageant tous les acteurs dans une démarche de transparence, sécurité et protection des données. Ces dispositifs, inspirés des recommandations Uit et articulés par la convergence anticipatoire, offrent un cadre robuste pour la transformation de La Poste.

In fine, le moment est venu de reconnaître que la modernisation de La Poste n’est pas simplement un enjeu technique ou administratif, mais une véritable question de souveraineté, d’inclusion et de transformation institutionnelle. La combinaison de compétences théoriques et pratiques, que je propose en tant que chercheur et praticien, peut permettre au Sénégal de franchir ce seuil critique, en alignant ses infrastructures, sa gouvernance et sa stratégie sur les standards internationaux, tout en tenant compte de ses spécificités locales. L’expérience passée, notamment dans le branding de La Poste, démontre que de tels changements sont possibles lorsque vision, expertise et volonté se conjuguent. Je me tiens à disposition pour accompagner cette dynamique et contribuer à structurer un futur où La Poste devient un instrument puissant de développement économique, social et numérique.

Note sur l’auteur Moussa SARR
est chercheur et spécialiste des dynamiques numériques et organisationnelles, post-doctorant en ingénierie de la connaissance et titulaire d’un doctorat en sociologie du cyberespace. Il est également doublement diplômé en communication, ce qui lui permet de combiner une approche analytique des systèmes symboliques et médiatiques avec une compréhension fine des processus de gouvernance et d’innovation institutionnelle. Ses travaux s’inscrivent à l’intersection des sciences sociales, des sciences de l’information et des pratiques organisationnelles, avec un accent particulier sur les organisations intelligentes et étendues, la réingénierie des processus et la sociologie des infrastructures numériques.

Auteur de plusieurs contributions majeures, Moussa Sarr articule ses analyses autour de la théorie de la convergence anticipatoire, qu’il applique à la compréhension des transformations institutionnelles et des mutations organisationnelles dans un monde exponentiel. Sa pratique de terrain et ses interventions stratégiques au sein de structures publiques et privées, notamment au Cefrio et chez Jolicoeur Lacasse, lui ont permis de développer une expertise singulière en matière de réingénierie des processus, d’architecture organisationnelle hypermoderne et de management de la connaissance dans des environnements
complexes.