La problématique des inondations à Touba : causes, solutions et enjeux

Solutions des inondations à Touba
Une fois les causes principales des inondations à Touba identifiées, il convient d’abord, pour bien apprécier le sens et la pertinence potentielle des solutions proposées, de mieux comprendre les éléments techniques et approches à la base.
L’élaboration de solutions stratégiques aux inondations a nécessité, comme déjà rappelé, une meilleure compréhension du fonctionnement hydrologique des bassins versants de la ville, par une modélisation pluie-débit, en combinant les facteurs de l’écoulement que sont la topographie, la pédologie, la géologie, les états de surface et les précipitations. Elle a également requis des informations sur la pluviographie (intensités des pluies qui déterminent les temps de réponses des bassins) et sur l’hydrométrie (mesure des débits, des volumes et hauteurs d’eau).
Cependant, l’une des avancées majeures et inédites dans ce processus d’analyse, entamé par les experts, fut réalisée grâce aux données cartographiques fournies par le Laboratoire d’hydrologie de l’Ucad, dirigé par le professeur Dacosta. A savoir la découverte du réseau historique naturel d’écoulement gravitaire des eaux de Touba vers la vallée du Sine. Un réseau qui passe par les localités de Ngassane, près de Mbacké-Baol, Ngabou, Ndoulo, Diourbel, Diakhao, Fatick, pour se diriger vers les îles du Saloum, suivant globalement une direction Nord-Sud (voir les cartes). C’est grâce à cette découverte importante que l’approche gravitaire («mbartal», en wolof) a été retenue comme stratégie durable pour résoudre le problème des inondations à Touba. Cette stratégie, basée sur l’hydromorphologie globale de la zone de Touba et sur les lignes d’écoulement du réseau hydrographique historique, s’avère, en effet, plus durable, plus viable et moins onéreuse, car ne se basant pas uniquement sur le pompage (dont les coûts énergétiques sont fort couteux) pour évacuer l’eau hors de la ville. Pour gérer les inondations à Touba, il fallait donc comprendre les processus hydrologiques qui se passent in fine dans les sous-bassins de la partie amont (région Nord et Nord-est) du grand bassin qui participent au bilan de l’écoulement dans la ville. Au-delà des lignes d’écoulement, les paramètres à prendre en compte furent la topographie et l’occupation du sol. L’option proposée offrait ainsi la possibilité de capter les eaux qui entrent à Touba par les portes Nord et Nord-Est, pour diminuer les inondations à l’intérieur de la rocade Baye Lahad, avec un collecteur à partir de ce point d’entrée, allant vers le Sud de cette rocade, pour ensuite mener à un écoulement gravitaire naturel vers la vallée du Sine.
Le partage des données dont disposent les experts mourides de Junnatun avec les services du ministère de l’Hydraulique et de l’assainissement (Dgpre, Onas, Dgpi, Sones, Sen’eau, Ofor, Olac), celles de l’Ucad et du Procasef (Projet cadastre et sécurisation foncière), a ainsi permis l’identification des tracés, la détermination des zones impactées, le dimensionnement des ouvrages et l’estimation des coûts pour chaque solution proposée. Tout ceci, en prenant en compte les solutions d’assainissement quadriennales (2025-2028) déjà proposées par l’Etat du Sénégal.
Phasages
Sans entrer dans les détails techniques et cartographiques trop complexes (figurant dans les rapports et comptes rendus issus des différents ateliers et rencontres avec les services de l’Etat), les experts mourides ont proposé une stratégie globale destinée à résoudre la problématique des inondations à Touba, à travers deux phases :
Une «Phase d’urgence» (pouvant être mise en œuvre dans un délai d’environ 6 mois, soit avant le prochain hivernage).
Une «Phase durable», cohérente avec la phase d’urgence, basée sur une vision stratégique et une approche gravitaire du réseau de drainage vers la vallée du Sine (ayant l’avantage de la durabilité et s’appuyant sur les données de la nature à Touba).
Le «Plan d’urgence», préconisé par le Khalife (qui s’était même engagé, comme déjà rappelé, à financer lui-même les premiers jalons), devrait permettre de mieux gérer les eaux de ruissellement autour de la Mosquée et de ses alentours, subdivisés en deux (2) zones :
– Zone 1 : Le «Périmètre sacré», qui couvre une zone d’environ 250 hectares, abritant la Grande Mosquée, les anciens cimetières, la Bibliothèque (Daraay Kamil), les Pénc (Darou Khoudoss, Gouye Mbind, Darou Minan, Keur Serigne Shouaïbou).
– Zone 2 : La «Corniche (ou Rocade) Baye Lahad» qui entoure une zone d’environ 2000 hectares centrée autour de la Grande Mosquée.
A noter qu’une telle délimitation implique, pour le déroulé du projet, la mise en évidence d’une troisième zone implicite, que nous nommerons la «Partie Hors Corniche» ou «Zone Extra Rocade» (couvrant 1194 hectares, nonobstant le reste des 29 000 hectares de la ville), qui comprend les zones situées au-delà de la Corniche Baye Lahad et qui seront gérées surtout durant la «Phase durable».
La Phase d’urgence
Avec un budget prévisionnel de 8 200 779 015 F Cfa, la Phase d’urgence sera articulée autour de quatre (4) axes principaux :
Axe 1 : Solutions au problème de la remontée de la nappe superficielle, à travers deux (2) actions :
1- L’élimination des fuites du vétuste réseau d’Approvision-nement en eau potable (Aep) de Touba, par le remplacement du réseau actuel, datant de 1958. Ce réseau, qui a presque 70 ans, comprend deux parties : (a) un réseau en fonte (doté d’un tuyau d’une longueur de 4843 m, de diamètre 250 cm, et un autre, autour de la mosquée, d’une longueur de 300 m, de diamètre 160 cm ; et (b) un autre tuyau en amiante-ciment (d’une longueur de 1460 m). A noter qu’à ce réseau, ont été ultérieurement adjointes (c) d’autres parties de réseaux, plus récentes, qui sont également confrontées aux mêmes problèmes de fuites. La forte densité de ces réseaux défectueux aux alentours de la Mosquée explique l’importance des fuites dans cette zone et, partant, les problèmes qu’y pose la remontée de la nappe. (Toutefois, information rassurante, selon les récentes études effectuées par le cabinet Geomat Ingénierie, confirmées par un autre cabinet et un bureau de contrôle, engagés pour les besoins du futur chantier de réhabilitation de la Mosquée, les fondations de l’édifice dont les micropieux s’enfoncent à environ 26 m sous terre, ne sont nullement impactées par la nappe superficielle).
2- L’élimination des puits perdus des habitations qui contribuent de façon notable à l’alimentation de la nappe ; une élimination qui se fera à travers le projet de réalisation par l’Onas (dans un moyen ou long terme) d’un réseau d’assainissement des eaux domestiques auquel seront branchés les domiciles du périmètre (le coût de ce réseau, à déterminer par l’Onas, n’est pas encore intégré dans le budget global du projet).
Axe 2 : Installation d’une bâche de pompage derrière la Résidence Cheikh Abdoul Ahad Mbacké (située au Sud de la Mosquée).
Axe 3 : Création d’un réseau primaire de drainage autour de la Mosquée, à travers deux (2) ouvrages :
1- Réseau principal gravitaire, sous forme de canaux, qui drainera les eaux en provenance de Guédé et de Sourah, ainsi que celles autour de la Mosquée. Les canaux et systèmes de collecte prévus seront dimensionnés pour gérer des débits élevés basés sur une pluie centennale, minimisant ainsi les risques de congestion.
2- Le pavage des rues prioritaires, qui concernera toutes les grandes rues (appelées «Trente» (du fait de leur longueur de 30 m)) dotées de canaux de drainage de la phase d’urgence, ainsi que certaines rues connexes.
Axe 4 : Mise en œuvre de l’ingénierie sociale, à travers la sensibilisation de la communauté sur les usages de l’eau, ainsi que la création de forages peu profonds.
En outre, pour disposer d’informations pertinentes en temps réel sur la gestion des inondations, il s’avère nécessaire, pour les experts, de quantifier correctement les écoulements de surface dans les bassins urbains de Touba. D’où le besoin urgent pour Touba d’avoir deux types d’équipements :
Equipements climatologiques :
– Une station climatologique complète, avec télétransmission des données pour mesurer la température (maximum et minimum), l’humidité relative (maximum et minimum), l’insolation, le vent (vitesse et direction), l’évaporation (Piche et Bac).
– Installation dans chaque bassin versant, d’un pluviographe automatique avec codeur et un réseau de pluviomètres.
Equipements hydrologiques :
Des stations automatiques complètes multi-paramètres devront être installées dans le grand bassin versant dont les écoulements passent au niveau de l’esplanade de la Grande Mosquée, pour mesurer la hauteur, la vitesse d’eau, la température et la turbidité. Les autres lieux d’installation de ces stations automatiques seront : la partie amont de la ville (zone rurale), la partie aval vers Darou Rahmane et la partie aval des autres quatre sous-bassins.
Phase durable
Cette phase, définie en cohérence avec la Phase d’urgence précédemment décrite, comprend la réalisation en gravitaire du reste du réseau de drainage de la ville vers la vallée du Sine (phase réalisable sur une durée à déterminer de commun accord avec les autorités étatiques). Avec un budget prévisionnel total de 94 022 845 016 F Cfa (qui n’intègre pas le coût du réseau complet de gestion des eaux usées de Touba à réaliser par l’Onas), cette phase comprend les quatre (4) réalisations suivantes :
1- La réalisation des collecteurs primaires comprenant :
Trois (3) collecteurs émissaires principaux ;
Deux (2) canaux (de 17 km chacun, avec 4 m de profondeur et 2 m de large) ceinturant la ville, dont (a) le canal extérieur interceptera les eaux ruisselant de l’extérieur de la ville, du Nord, Nord-Est et de l’Est vers la ville, et (b) le canal intérieur collectant les émissaires venant de l’intérieur de la ville (Voir les cartes) ;
2- La réalisation des réseaux secondaires et tertiaires ;
3- La réalisation du pavage des rues drainantes ;
4- La réalisation de l’émissaire vers la vallée du Sine et le reprofilage de la vallée sur 10 km.
Ces importantes réalisations seront accompagnées, entre autres, par les initiatives complémentaires suivantes :
Restauration des zones humides : La réhabilitation de certaines zones humides permettra une meilleure absorption des débits pluviaux et offrira des bénéfices écologiques appréciables.
Reforestation des bassins : Des bassins versants reboisés contribueront à la réduction du ruissellement et diminueront les charges hydrauliques en direction de la ville.
Le délogement de certains bâtis situés sur les lignes d’écoulement et zones inondables.
Sur ce dernier point, le récent décret présidentiel (2025-1184 du 16 juillet 2025) semble aller dans le même sens, en déclarant d’«utilité publique» les voies d’eau naturelles et réseaux dormants susceptibles d’être réactivés par une pluie exceptionnelle, et en prévoyant le dédommagement/relogement des propriétaires expropriés. Au-delà de ce décret, nous pensons que l’autorité du Khalife des Mourides s’avérera indispensable à Touba pour gérer cette question souvent épineuse des délogements. A noter que la stratégie retenue par les experts mourides prévoyait déjà un accompagnement pour le déplacement et le relogement de ces populations, la viabilisation des zones de recasement (à l’instar des espaces temporaires «Keur Wallu» créés par Touba Ca Kanam), de même que l’aménagement des zones libérées, l’entretien et la sécurisation des ouvrages réalisés.
Pour ce qui est du traitement des eaux redirigées vers le réceptacle de la Vallée du Sine, les actions suivantes ont été préconisées par les experts de Junnatun :
Méthodes de traitement des eaux : La filtration (défluoration, etc.) et la décantation devront être favorisées pour gérer les eaux accumulées dans la vallée et les rendre propres à l’usage agricole, etc.
Gestion des sédiments : Une maintenance régulière sera essentielle pour prévenir l’accumulation de sédiments.
Des inspections périodiques assureront la durabilité des infrastructures de gestion des eaux dans cette région.
Une grande partie de l’eau, traitée et recueillie dans des dispositifs de stockage adaptés et de très grande capacité, pourrait être réutilisée dans le maraîchage, l’élevage, la pisciculture et d’autres multiples usages socioéconomiques.
A SUIVRE
S. A. Aziz MBACKE MAJALIS