Le débat d’idées était un moment privilégié qui n’était pas destiné à n’importe qui. Y prenaient part des aguerris qui, du point de vue sémantique, de la maîtrise du thème à débattre, de la communication non verbale (gestuelle, posture) et vocale (prosodie, intonation, rythme), dégageaient une intense pertinence et une connexion émotionnelle avec l’auditoire qui provoquaient une forte émotion, une profonde contemplation et une réminiscence nostalgique dans une atmosphère teintée de sérénité, de courtoisie, d’écoute et de respect mutuel. Aujourd’hui, avec la promotion de la médiocrité, le débat d’idées public a tout bonnement quitté le Sénégal.
Au Sénégal, en politique surtout, on ne se parle plus, on se confronte. La scène publique s’enflamme bien au-delà du débat d’idées. Suivre un débat sur les plateaux est simplement une perte de temps. Nos débats, censés être des moments véritables d’éclairage sur un ou des sujets d’actualité, sont le lieu privilégié de la puanteur des paroles vides de profondeur, de la désinformation et des confrontations. Des confrontations, choix machiavélique dont usent nos hommes et femmes publics, ont fini par jeter le débat d’idées dans les eaux nauséabondes des attaques personnelles pour maquiller les carences. Cette carence d’hommes et de femmes chevronnés qui dégoulinaient en toute objectivité une mine d’informations utiles, est due à la promotion des grandes gueules qui, n’ayant pas de savoir et/ou d’expertise à offrir, n’ont que des propos salaces tendancieux, portés par une envie d’en découdre pour prouver leur existence. Ainsi, l’envie d’en découdre, fortement épousée, met à nu l’hypocrisie, la mauvaise foi, la malhonnêteté intellectuelle, le manque de tolérance et de bienveillance envers les idées ou les opinions des autres.
On ne discute plus de sujets ou de thèmes à forte valeur et à impact sur la société, mais plutôt on cherche à humilier, à vilipender la vie privée de l’autre. Sur ce, le débat d’idées n’est plus perçu comme un canal pour informer, faire comprendre aux uns et aux autres des sujets précis, mais il devient plutôt une arène agressive réservée aux plus bruyants. Les mots volent bas, très bas dans les pantalons et jupons, transformant ainsi le débat d’idées public en injure publique. Quelle tristesse !
Cependant, l’insulte, devenant le moyen de défense et d’existence, est la voie royale empruntée par tous, intellectuels y compris. En cela, la confrontation argumentaire d’idées et le discours programmatique disparaissent. Les acteurs mobilisent, avec force et vigueur, l’invective comme arme de délégitimitation. Que c’est dommage !
Or, le débat d’idées est d’abord une conversation dans le but de convaincre ou de faire comprendre, et non un clash, à travers un argumentaire rigoureux, dense et cohérent, qui prend racine sur le factuel. A contrario du clash, qui lui est la dérive du débat d’idées, une méthode de régler un désaccord d’idées, de vision ou de programmes sans apporter les arguments nécessaires, mais qui s’adosse sur les attaques personnelles, les menaces et parfois la bagarre. Quoi de plus idiot !
Par ailleurs, au regard des clichés entretenus par les acteurs publics lors des débats, nous voyons que la séduction, la spectacularisation et la réduction de l’adversité partisane aux rivalités des vedettes médiatiques ont éloigné le débat d’idées de son essence. Tout le monde veut devenir la star. Tchiey Yallah !
Pour conclure, rappelons que le débat d’idées n’est pas la dissolution des oppositions de fond, voire de tout contenu signifiant, mais un baromètre de la vitalité des mentalités et de la démocratie. Or, les approches cliniques de nos intellectuels et hommes publics entérinent la liquidation du débat d’idées aux enjeux d’image imposés par des déterminants électoraux et/ou médiatiques. Au Sénégal, le débat d’idées devient ainsi à la fois simulacre de conflit et simulacre de dialogue.
Nicolas Silandibithe BASSÈNE



