«Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant, ainsi qu’à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale» (article XXIII, alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme).
Ce concept de «protection sociale» englobe celui de «sécurité sociale». Son champ d’application ne se limite pas à celui couvert par la sécurité sociale et les institutions qui en ont la charge.

Abordant dans un premier temps la notion de «sécurité sociale», retenons d’emblée que l’on ne peut valablement considérer un travail comme décent s’il ne garantit pas la sécurité sociale au salarié.

L’un des piliers du travail décent, un concept développé en 1999 par l’Organisation internationale du travail (Oit) et ses mandants tripartites, porte d’ailleurs sur la garantie des droits au travail. Cette notion de «droits au travail» emporte aussi celle du droit à la sécurité sociale. C’est à cet effet que les employeurs du secteur privé sont assujettis à l’obligation de s’affilier au niveau des Institutions de prévoyance sociale (Ips) et d’y déclarer leurs salariés.
Régies notamment par la Loi cadre 75-50 du 3 avril 1975, ces Ips délivrent des prestations prescrites par la Convention n°102 de l’Oit concernant la sécurité sociale de 1952. Il s’agit des branches suivantes : soins médicaux, prestations de santé, prestations de chômage, prestations de vieillesse, prestations d’accident de travail, allocations familiales, prestations de maternité, prestations d’invalidité, prestations de survivants.

Pour permettre l’extension progressive de la couverture de la sécurité sociale dans les pays membres tout en tenant compte de leur niveau de développement, ces derniers doivent appliquer au moins trois de ces branches. La seule branche de la sécurité sociale qui n’est pas encore servie à ce jour au Sénégal, ainsi que du reste dans les pays dont les économies ne sont pas en mesure d’assurer un emploi formel à la majorité de leurs personnes actives, est la branche «prestations de chômage».

Pour faire bénéficier ces prestations aux salariés du secteur privé formel national, les ressources nécessaires sont abondées à partir des cotisations sociales obligatoires versées ou reversées au niveau de la Caisse de Sécurité sociale (Css), de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) et des Institutions de prévoyance maladie (Ipm).

Notre pays se particularise donc par un système de sécurité sociale dont la gestion des différentes branches est éclatée entre ces trois Ips.

Toutefois, comme partout ailleurs, pour la Css, qui gère les risques sociaux : «accident de travail», «maladie professionnelle», «maternité», «charges de famille», «invalidité», «autres prestations que les soins en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle», ce sont uniquement les employeurs qui contribuent. Pour l’Ipres, qui couvre les risques sociaux, «vieillesse» et «survivants», et les Ipm, qui s’occupent du risque «soins médicaux en cas de maladie ou d’accidents non professionnels», les cotisations sont partagées entre les employeurs et les salariés.

En termes d’avancées par rapport au dialogue social, il convient de saluer l’option participative prise par notre pays d’impliquer pleinement les partenaires sociaux travailleurs et employeurs dans la gouvernance des Ips, en les laissant présider alternativement les présidences de conseils d’administration de ces institutions.

La sécurité sociale, dans le secteur privé formel, est donc assurée grâce à un système obligatoire qui implique une solidarité interprofessionnelle et auquel nul employeur ne doit se soustraire. Et pour ce faire, les inspections du travail et de la sécurité sociale doivent être dotées de suffisamment de ressources humaines motivées, de moyens juridiques adéquats et de matériels logistiques d’intervention pour en garantir l’effectivité par des contrôles nécessaires.
L’Etat-employeur garantit aussi la sécurité sociale à ses agents par le biais des imputations budgétaires ainsi que des prestations servies par le Fonds national de retraites (Fnr) et l’Ipres (pour les agents non fonctionnaires).

Quid de la protection sociale ?
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) la définit comme une série d’interventions ayant pour but de réduire la vulnérabilité et les risques sociaux et économiques et d’atténuer la pauvreté extrême et les carences.

Une telle définition, comme celles de bien d’autres organisations, met en exergue la diversité des mécanismes qui peuvent être mis en œuvre dans le cadre de la protection sociale et qui peuvent avoir pour cibles des individus ou ménages sous forme de prestations en espèce ou en nature.

En effet, en plus du dispositif de couverture sociale obligatoire garantie par la sécurité sociale, les filets de protection sociale peuvent porter sur :
des prestations servies par des dispositifs de couverture non obligatoires telles que les mutuelles et assurances privées ;

des prestations servies par des dispositifs de couverture subsidiaire sous forme d’aides sociales ciblées non conditionnelles ou subordonnées à des obligations qui peuvent promouvoir l’éducation et la santé des enfants, ainsi qu’une meilleure prise en charge des personnes âgées ou vivant avec un handicap.

Le Rapport mondial sur la protection sociale 2020-2022 de l’Oit estime à plus de 4 milliards, le nombre de personnes dans le monde qui ne bénéficient pas de protection sociale. Cette tendance lourde, décelée depuis longtemps et qui est commune à tous les pays en voie de développement, avait déjà conduit l’Oit à l’inscrire comme un des piliers du travail décent, «l’extension de la protection sociale», et à formuler la Recommandation n°202 de l’Oit sur les socles de protection sociale de 2012.

Au niveau national, la population active (entre 15 et 59 ans) est estimée en 2021, à environ 8 192 116 par les projections démographiques réalisées par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd).

Sur cette population active totale, en matière d’accès à la couverture santé, en plus des environ 150 000 agents de l’Etat, des 500 000 estimatifs travailleurs couverts par les Ipm et des 52 829 pris en charge par les assurances privées, à ce jour, 2 274 647 personnes (résultats provisoires de la Revue annuelle protection sociale 2022) bénéficient des prestations servies par les mutuelles de santé mises en place dans le cadre du programme de Couverture maladie universelle.

Ce programme, qui s’inscrit dans le cadre de l’axe 2 du Plan Sénégal émergent (Pse) portant sur «capital humain, protection sociale et développement durable», contribue à l’atteinte des objectifs de la Stratégie nationale de protection sociale (Snps) qui a pour vision la mise en place d’un système national de protection sociale inclusif, accessible à tous, solidement ancré dans la culture nationale et garanti par l’Etat à travers des lois.

Toutefois, en dépit de ces efforts appréciables, à ce jour, un gap d’environ 5 214 640 personnes actives à couvrir reste encore à combler, nonobstant la dynamique massive annuelle d’entrée de demandeurs d’emplois dans le marché du travail qui, à défaut d’accéder à un emploi dans un secteur formel, risquent d’élargir les rangs des familles d’acteurs de l’économie informelle.

En restreignant cette population active aux plus de 21 ans (qui constitue l’âge maximum au-delà duquel les enfants perdent le droit de bénéficier de la couverture maladie qui couvre leurs parents), ce gap se réduirait jusqu’à environ 2 791 454.

Pour contribuer à la résorption de cet écart, certains défis sont à relever. Il s’agit :
d’une part, de convaincre les acteurs de l’économie informelle à adhérer aux stratégies d’extension de la protection sociale qui présentent de sérieuses limites en raison de leur caractère non obligatoire ;
d’autre part, d’adapter le financement de la protection sociale et en particulier la contribution des acteurs de l’économie informelle à leurs modes d’organisation et à la périodicité de leurs revenus.

Par ailleurs, dans la perspective de réaliser les objectifs liés à l’axe 1 du Pse «Transformation structurelle de l’économie et croissance», des mécanismes incitatifs fiscaux, financiers et technologiques efficaces devront être mis en œuvre pour accompagner la transition de ces acteurs de l’économie informelle vers le secteur formel.

C’est tout le sens de la Recommandation n°204 de l’Oit sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle de 2015.

Une des étapes incontournables pour relever ces défis est la bonne compréhension de la structuration de ces unités de l’économie informelle et l’identification de leurs besoins pour assurer l’effectivité de leur transition vers le formel.

Dans le cadre de l’une de ses missions qui consiste à mener des études, le Haut conseil du dialogue social (Hcds) a eu à réaliser, en collaboration avec le Bureau international du travail et l’Ansd, une cartographie quantitative et qualitative de huit familles d’acteurs de l’économie informelle au Sénégal. Il s’agit des familles suivantes : le commerce, la couture et la confection, les cuirs et peaux, la mécanique automobile, la menuiserie bois, la pêche (post-capture), la restauration, la transformation des produits agricoles.

Mais en raison de la rareté des ressources, pour arriver à des résultats probants en matière d’extension de protection sociale et de transition vers le formel, il est aussi impérieux de mettre en place un mécanisme de coordination et de suivi efficace des interventions des acteurs pour la transformation de l’économie informelle au Sénégal.

Un tel mécanisme, qui ne devra pas faire l’économie d’une démarche participative associant les bénéficiaires, permettra d’accélérer la formalisation des unités de production informelles ainsi que la création de Pme et Pmi durables et plus susceptibles de se connecter aux chaînes de valeurs sous-régionales, africaines et mondiales.

Au demeurant, même si nous ne les adoptons pas comme cadre stratégique de promotion de la protection sociale, la zaqat (troisième pilier de l’islam) ainsi que la charité (vertu théologale de la Bible) constituent à la fois des instruments de manifestation de la solidarité entre humains et des mécanismes subsidiaires d’inclusion sociale.

Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire jouer efficacement, d’une part, au droit social englobant le droit du travail et d’autre part, au droit à la protection sociale, le levier qui sied dans la réduction de la précarité, la lutte contre les inégalités et les discriminations mais aussi dans la promotion de l’inclusion sociale.

oumarfall8@yahoo.fr
Oumar FALL
Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale,
Secrétaire exécutif du Haut Conseil du Dialogue social