Hivernage 2020, encore des inondations se sont produites au niveau de la banlieue, plus particulièrement à Keur massar. Mais il faut dire que ce phénomène n’est pas nouveau. En effet, dès la fin des années de sècheresse et au cours des années 2005, 2008 et 2009, de très fortes pluviométries ont dû causer des inondations en milieu urbain et périurbain et avaient lourdement affecté les populations, les infrastructures et les activités économiques.
Mais avant de revenir à la situation qui prévaut à Camille Basse et ses environs, il est bon de faire un petit rappel sur le phénomène récurrent des inondations à travers le pays. Les inondations faisant partie des préoccupations majeures du gouvernement, plusieurs études y sont consacrées dont la plus récente est celle organisée en mai 2007 au King Fad Palace, actuel Méridien Président.
L’objectif de l’étude était de proposer un cadre institutionnel et des modalités de financement permettant une gestion durable des systèmes de drainage des eaux pluviales en milieu urbain avec un focus sur la région de Dakar. Ces deux volets importants, à savoir le cadre institutionnel et la viabilité financière de la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, se caractérisent par des insuffisances notoires.
L’Etat a cherché à juguler le mal en indiquant clairement que l’ancrage institutionnel doit être l’Onas (Office national de l’assainissement), mais les autres intervenants n’ont jamais joué le jeu par défaut de sincérité, de manque de bonne volonté, de défaut de coordination à cause des enjeux financiers des projets. Pour la viabilité financière, il était question de la création d’un Fonds d’assainissement (Fa), alimenté par :
– La dotation du Fera (Fonds d’entretien routier autonome) ;
– La fiscalité locale et les ressources propres des communes ;
– La contribution du Fonds de dotation à la décentralisation.
Concomitamment à cet éclairage, l’Etat a initié et réalisé des travaux d’assainissement de 2006 à 2011 soit sur cinq ans engendrant des investissements à la hauteur de 175, 700 milliards F Cfa, avec différents intervenants tels :
– Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) ;
– Projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations et les bidonvilles (Plan Jaxaay) ;
– Direction de la protection civile (ministère de l’Intérieur) ;
– Ageroute
– Agence nationale de promotion de l’investissement et des grands travaux – Apix-Sa ;

– Projet pour l’achèvement d’édifices pour l’Etat (Papcree), créé à la suite du Programme de construction d’immeubles administratifs et de réhabilitation du patrimoine bâti de l’Etat (Pcrpe) ;
Certaines collectivités locales (exclusivement, dans le domaine de l’entretien / maintenance des ouvrages). (Source : Mamadou Barry, Expert-comptable, Consultant en finances locales sur l’étude de la viabilité financière de la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, Juillet 2012).
A peine que les clameurs se sont estompés sur ce gouffre financier, que les nouvelles autorités de la 2ème Alter­nance, dans le cadre de la lutte contre les risques liés à l’eau, esquissent un Pro­gramme décennal de lutte contre les inondations comportant une phase d’urgence 2012-2013 validé en Conseil présidentiel du 19 septembre . Ce Pdli dont l’horizon doit arriver à terme en 2022 avait été évalué à 766 988 450 362 F Cfa.
Le contexte des inondations de Keur Massar favorisant cette situation, l’audit du Pdli est réclamé par les citoyens, la Société civile, et les populations en détresse de ladite zone.
L’intervention de l’Onas au niveau de ce plan est chiffrée à 40 459 286 316 F Cfa.
Les autres justifications doivent être recherchées au niveau du ministère de l’Urbanisme et celui de l’Intérieur.
Revenant sur les inondations de Keur Massar de 2020, on peut affirmer que ces dernières furent trop sévères engendrant des conditions sanitaires désastreuses qui ont maintenu les populations dans la précarité extrême. Le spectacle désolant qui s’est offert après les fortes pluies tombées à Keur Massar à cette période avait fini de transformer les Parcelles assainies des unités 3, 17, 18,19, jusqu’à 24, et Keur El Hadji Pathé en une vaste étendue d’eau verdâtre qui couvre toute cette zone en face des cités Camille Basse et Pénitence.
L’ampleur du sinistre est tellement vaste que sur les 140 quartiers de Keur Massar, 58 sont impactés soit une superficie de 60 ha. Beaucoup de familles sans abri avaient été délogées et placées sous des tentes et des bâches installées à la place du marché hebdomadaire du côté de la boulangerie 2000. Certains préférant rester sur place pour assurer la sécurité de leurs biens dans leurs domiciles ont le choix de se déplacer dans l’eau jusqu’à la hauteur de la poitrine ou d’utiliser des radeaux de fortune confectionnés à base d’assemblage de bidons de 20 litres vides.
Les feux de l’actualité se sont braqués sur Camille Basse et ses environs pour décrire cette situation qui fourmille de monde passant de part et d’autre du stationnement des Sapeurs-Pompiers pour vaquer à leurs occupations. Pas mal de leaders politiques avaient investi la zone pour assister et appuyer les populations pour les soulager. Et le jeudi 17 septembre 2020, son Excellence Monsieur le président de la République fit une descente sur Camille Basse, le seul endroit programmé pour sa visite. Apres l’exposé du commandant des sapeurs-pompiers, de quelques maires et un délégué de quartier, le président de la République, dans sa réponse, a informé de sa décision d’ériger Keur Massar en département, et cerise sur le gâteau, l’allocation d’une enveloppe financière de 30 milliards de F Cfa pour réaliser les travaux de Progep II avant l’hivernage prochain . Pour l’hivernage en cours, le plan Orsec déclenché au début de la catastrophe doit être maintenu jusqu’à la fin de saison des pluies.
L’annonce de la future réalisation des travaux de Progep II avant l’hivernage prochain, avec l’enveloppe financière énoncée, avait suscité un grand espoir au niveau des populations croyant être définitivement à l’ abri du phénomène dévastateur des inondations.
Mais quelle ne fut grande la surprise des populations et certainement des autorités car dès que l’hivernage 2021 s’est installé, Keur Massar s’est replongé dans même la situation que 2020 sinon même plus aggravée. Les mêmes causes faisant les mêmes effets, les populations ne savent plus à quel saint se vouait. Le pic des inondations se situant au mois de septembre, il va falloir attendre fin décembre pour le vote des budgets et la mise en place des crédits. Ainsi donc courant mois de février 2021, le ministre Oumar Guèye, ministre des Collectivités territoriales, du développement et de l’aménagement des territoires, Porte-parole du gouvernement, annonçait le démarrage effectif des travaux à Keur Massar. Un coup d’œil au Portail des Marchés publics du Sénégal nous avait permis de savoir que les attributions sont comme suit :
– Lot 1 à Henan Chine pour 6 milliards 100 F Cfa avec une durée de travaux de 12 mois ;
– Lot 2 à Cstp (de Mbaye Faye) pour 3 milliards 700 F Cfa avec une durée de travaux de 10 mois.
Monsieur le ministre a effectué plusieurs visites de chantier en grande pompe dont les conclusions se suivaient et se ressemblaient, mettant l’accent sur l’avancement des travaux en termes de pourcentage et l’optimisme pour le respect des plannings d’exécution des entreprises. Toutes ces déclarations étaient télévisées et programmées à la diffusion aux Jt de grande écoute à savoir vers les coups de 20 heures. Tout ce tapage médiatique avait pour but de marquer les esprits des Sénégalais pour leur faire comprendre que le chef de l’Etat a respecté sa promesse lors de sa visite des inondations de Keur Massar de 2020 et probablement en a tiré les dividendes politiques, surtout en perspective des locales qui pointent. Mais à l’arrivée, c’est la déception, la désolation et la tristesse, car les populations se sont retrouvées dans le même environnement insalubre que l’hivernage précédent. Le principal motif de cet échec est dû à la sélection des entreprises à confier les travaux. Si Henan Chine a pu s’en sortir en honorant son engament à plus de 98% (Témoignage de Moustapha Mbengue, maire de Keur Massar au cours d’une émission à Sen Tv), il n’en est pas de même pour Cstp qui a pataugé dans des difficultés qui l’ont empêché d’engranger des avancées significatives. Les carences de cette entreprise se résument à un manque de personnel qualifié, de logistique adéquat, un défaut de maîtrise de l’environnement du terrain. Le canal confié à Cstp doit démarrer de la chaussée de la route de Jaxaay, traverser le quartier de Camille Basse pour prendre fin dans la forêt de Mbao. Apres huit mois de travaux ou de présence, l’entreprise se trouve à la hauteur de la mosquée du quartier, soit à une cinquantaine de mètres au maximum. Le même Moustapha Mbengue, cité plus haut, affirmait qu’il restait à l’entreprise, plus de 243 mètres et quelques à réaliser. On se demande si la sonnette d’alarme avait été tirée par rapport au retard du déroulement des travaux lors des visites du ministre ou bien lors des réunions de chantier avec le Bureau de contrôle. Autre fait qui mérite d’être souligné est que l’Adm est structurée de manière à disposer d’une Direction technique qui est restée invisible sur le terrain à cause de la présence omnipotente du ministre qui se met toujours au-devant de la scène.
Des craintes m’animent en tant qu’habitant de Camille Basse, qui se pose la question de savoir si les voiles en béton armé qui constituent les parois du canal sur le tracé de la route d’entrée principale de la cité pourront supporter le trafic des 16 tonnes de sable ou de béton qui, à la longue, vont détruire l’ouvrage.
L’anticipation par la mise en place des crédits et la sélection des entreprises très tôt n’ont pas abouti à l’effet escompté du fait que Cstp n’a pas été à la hauteur de la tâche. La défaillance ou carence de cette entreprise est la cause principale des inondations de 2012 à Keur Massar.
Le cycle des inondations est un souci de premier ordre qui hante le sommeil des gouvernants depuis l’antiquité. Pour y remédier, on doit s’adapter au changement climatique à la justice sociale par l’instauration d’un système de management des défis et des désastres. Ces défis peuvent être reliés aux phases conventionnelles du cycle de management des désastres : mitigation, atteinte de préparations, urgence et réhabilitation.
Les recommandations préconisées dans le cadre des études sur la gestion des eaux pluviales (volet institutionnel et volet mobilisation des ressources financières) doivent être appliquées avant la mise en œuvre du nouveau plan décennal 2023-2033 (source : le quotidien Rewmi N°3183 du 02/09/2021).
Abdoulaye MBAYE
Ancien Directeur des Etudes et Travaux de l’Onas
Directeur Commercial et de La Clientèle de L’Onas
Directeur de l’Exploitation de l’Onas