II. Une volonté ­d’amélioration de la gouvernance des entités du secteur parapublic
Au-delà de l’élargissement du domaine du secteur parapublic, le dispositif instauré par la loi d’orientation est traversé par une volonté de renforcer la gouvernance des entités relevant de ce secteur.
S’agissant des règles de création de ces structures, le législateur a innové en exigeant désormais, avant leur création, la réalisation d’une étude d’opportunité par la tutelle technique. Cette étude est complétée, le cas échéant, d’un plan d’affaires indiquant la nécessité, la pertinence et la viabilité de l’établissement à créer1. Cette étude d’opportunité rappelle l’étude d’impact et d’opportunité exigée par l’article 2, alinéa 3 de la loi d’orientation n°2009-20 du 4 mai 2009 sur les agences d’exécution avant la création d’une agence d’exécution2. L’étude d’opportunité constitue un outil d’évaluation ex ante permettant de s’assurer de l’opportunité de la création d’une entité du secteur parapublic et de sa pérennité.
Le législateur s’est aussi particulièrement attaché à assouplir les règles de création des entités du secteur parapublic. Sous l’empire de la législation antérieure, la création des Epic et des sociétés nationales était autorisée par la loi3. La loi d’orientation a maintenu la nécessité d’une autorisation légale pour la création d’une société nationale4, mais elle a supprimé cette exigence en ce qui concerne les Epic. Par ailleurs, désormais, les statuts des sociétés nationales ne sont plus approuvés par décret, mais par simple arrêté du ministre chargé des Finances5.
Dans la pratique normative, la détermination du support normatif de création d’un établissement public avait donné lieu à des controverses. Par un avis n°04-A-2017 du 19 avril 20176, la Commission spéciale de l’Assemblée générale consultative de la Cour suprême avait distingué suivant qu’il s’agisse d’un Epic ou d’une autre catégorie d’établissement public. S’agissant des Epic, la haute juridiction a soutenu qu’ils ne pouvaient être créés que par voie législative, en vertu de l’article 3 de l’ancienne loi n°90-07 du 26 juin 1990 précitée. En ce qui concerne les autres catégories d’établissements publics, en l’absence d’une disposition constitutionnelle ou légale prévoyant leur création par voie législative, la cour a estimé que le gouvernement était autorisé, en application de l’article 76 alinéa 2 de la Constitution, à utiliser le support règlementaire.
Les rédacteurs de la loi d’orientation ont voulu sans nul doute chasser définitivement les démons de ces controverses. Il résulte de l’article 17 alinéa 1er de la loi d’orientation qu’à l’image des autres organismes publics, les établissements publics sont créés par décret.
Le support réglementaire retenu est tout à fait conforme à l’article 67 de la Constitution, selon lequel la loi ne fixe ni les règles ni les principes fondamentaux concernant la création des établissements publics. Or, en vertu de l’article 76 de la Constitution, les matières qui ne sont pas du domaine législatif relèvent du règlement. En conséquence, la création des établissements publics appartient au domaine réglementaire.
Toutefois, si le principe de la création des établissements publics par voie décrétale est acquis, il se heurte à certaines limites.
En premier lieu, lorsque dans les règles d’organisation et de fonctionnement de l’établissement public, il y a des matières qui relèvent du domaine exclusif de la loi (procédure pénale, nationalisation d’entreprises, transfert de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé, etc.), le recours au support législatif s’impose.
En deuxième lieu, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, la voie réglementaire est exclue lorsque le texte portant création et organisation de l’établissement public est contraire ou déroge à une loi en vigueur. Ainsi, les textes législatifs existants portant création d’établissements publics ne pourront être abrogés et remplacés que par d’autres lois#.
En troisième lieu, le recours au vecteur législatif est inévitable lorsque les règles de création et d’organisation de l’établissement public remettent en cause un principe général du Droit. En effet, comme l’a énoncé l’avis de l’Assemblée générale consultative précité, seule une loi peut déroger à un principe général du Droit.
En ce qui concerne les règles d’organisation et de fonctionnement des entités du secteur parapublic, le législateur a eu pour souci de promouvoir la bonne gestion et la performance de ces structures administratives.
La mise en place au sein de l’organe délibérant, de comités spécialisés, rentre dans ce cadre. Selon l’article 24 de la loi d’orientation, l’organe délibérant met en place des comités spécialisés chargés de l’éclairer, à titre consultatif, en matière d’audit et de rémunération. En fonction des besoins spécifiques, l’organe délibérant peut créer d’autres comités spécialisés. L’institution des comités spécialisés constitue une obligation pour l’organe délibérant, l’article 22 de la loi d’orientation prévoyant que le défaut de mise en place de ces comités peut faire encourir des sanctions à l’organe délibérant.
Dans un contexte marqué par le renouveau de la Gestion axée sur les résultats (Gar), l’article 21 de la loi d’orientation intègre dans les documents de gestion à approuver par l’organe délibérant, des outils de gestion axés sur les résultats. Il en est ainsi du plan stratégique de développement, du contrat de performance, du contrat d’objectifs et de moyens, ainsi que du rapport annuel de performance.
L’article 28 alinéa 3 de la loi d’orientation énonce que les délibérations par consultation à domicile ne sont pas autorisées dans les organismes publics. S’agissant des sociétés publiques, l’article 133 de l’Auscgie prévoit que sous réserve des dispositions applicables à chaque forme de société, les décisions collectives peuvent être prises en Assemblée générale ou par consultation écrite des associés.
Toutefois, l’alinéa 4 de l’article 28 de la loi d’orientation précise que, conformément aux dispositions de l’Ausgie, les statuts des sociétés publiques prévoient la tenue de réunions du conseil par visioconférence ou d’autres moyens de télécommunication (par exemple applications informatiques comme Zoom, etc.) permettant l’identification des administrateurs et garantissant leur participation effective pour voter oralement7. Le législateur a aussi renforcé le dispositif de responsabilisation de l’organe délibérant. En effet, l’article 22 de la loi d’orientation spécifie les cas d’irrégularités dans le fonctionnement de l’organe délibérant de nature à lui faire encourir des sanctions, à savoir le blocage ou la carence caractérisée, notamment par la non-tenue des réunions aux dates prévues par la loi et le défaut de mise en place des comités spécialisés.
Le besoin de garantir la transparence dans la gestion parapublique est au cœur de la réforme. Le nouveau dispositif prévu consacre la représentation, au sein de chaque organe délibérant, des salariés par un administrateur qui bénéficie d’une voix délibérative8.
En vue de garantir une meilleure coordination de l’activité des administrateurs représentant l’Etat, la loi d’orientation pose le principe de l’interdiction pour un administrateur représentant l’Etat de siéger dans plus de trois (3) organes délibérants d’entités du secteur parapublic, sauf dérogation accordée par l’autorité de tutelle technique ou financière et institue la tenue par l’autorité administrative chargée de la tutelle technique, de réunions de pré-conseil.
Déjà, une circulaire n°0010 Pr du 20 août 1990 relative au rappel de la circulaire n°03 du 26 janvier 1976 sur le fonctionnement des conseils d’administration des entreprises du secteur parapublic, préconisait dans les sociétés nationales, les établissements publics et les sociétés anonymes à participation publique majoritaire, la tenue régulière de pré-conseils, «en vue d’harmoniser les positions des administrateurs de l’Etat pour une bonne préparation et un bon déroulement des conseils d’administration»#.
D’après la circulaire n°13 Pr/Me/Msap/Sgp/Cf 3 du 24 juin 1994 relative à la tenue des pré-conseils dans le secteur parapublic, les pré-conseils «offrent l’occasion aux ministres concernés, de compléter leurs informations sur les questions à examiner par les organes délibérants, de concilier les positions des administrateurs représentant l’Etat et de transmettre à ces derniers les directives des autorités»#.
La tenue des pré-conseils a été récemment rappelée par la circulaire présidentielle n°0017 Pr/Sg du 14 janvier 2022 relative au renforcement de la supervision des contrôles et de la bonne gouvernance des entités du secteur parapublic. Les pré-conseils constituent, en réalité, des cadres administratifs permettant au chef du département ministériel ou du service de l’Etat exerçant la tutelle sur l’entité du secteur parapublic, de «transmettre les orientations de l’Etat aux administrateurs le représentant»9 ; ce qui permet à ces derniers de mieux faire valoir les intérêts de l’Etat au sein de l’organe délibérant.
L’une des innovations majeures de la loi d’orientation réside dans le renforcement du dispositif de contrôle et d’audit interne des entités du secteur parapublic. Le législateur a procédé à la mutation de l’ancien Comité consultatif du Secteur parapublic10, devenu un Comité de Suivi du Secteur parapublic dont l’avis est obligatoirement requis dans toutes les matières relatives au secteur parapublic (création, dissolution d’une entité du secteur parapublic, prise de participation directe de l’État dans le capital d’une société, etc.)11.
Mais, il faut préciser que malgré l’intégration des agences d’exécution dans le champ du secteur parapublic, la loi d’orientation spécifie que le pouvoir consultatif du Comité de suivi du secteur parapublic s’exerce «à l’exception des agences d’exécution et des autres structures administratives et similaires».
Cette réserve législative ne saurait étonner puisque l’article 2 du décret n°2020-18493 en date du 1er juillet 2020 énonce que la Commission d’évaluation des agences d’exécution (Ceae) a pour mission notamment de donner un avis sur l’opportunité de la création d’une agence sur la base du rapport présenté par son autorité de tutelle. La Ceae exerce également ses compétences sur les structures administratives similaires, dès lors que le dispositif juridique normalisé prévu pour encadrer l’organisation et le fonctionnement des agences d’exécution s’applique aux agences et «autres structures administratives similaires»12.
La loi d’orientation a également innové en prévoyant la mise en place d’une politique d’audit interne dans chaque organisme du secteur parapublic13. Cette politique est destinée à apprécier les risques, lancer l’alerte de façon précoce et formuler des recommandations en vue d’améliorer le fonctionnement des entités du secteur parapublic.
En définitive, en attendant l’adoption des textes d’application, il est certain que la loi d’orientation constitue une avancée certaine dans la stratégie de consolidation de la performance des structures du secteur parapublic.

Papa Assane TOURE – Magistrat
Docteur en Droit privé et Sciences criminelles
Secrétaire général adjoint du Gouvernement
chargé des Affaires juridiques

1 art. 16 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
2 V. la circulaire n° 4006/ PM du 17 septembre 2014 sur l’étude d’opportunité et d’impact préalable à la création d’une agence d’exécution ; également, P. A. TOURE, Légistique. Techniques de conception et de rédaction des lois et des actes administratifs. Une tradition de gouvernance normative, Dakar, l’Harmattan, n° 22.
3 art. 3 et 4 de l’ancienne loi n° 90-07 du 26 juin 1990.
4 art. 18, alinéa 2 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
5 art. 18, alinéa 3 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
6 Sur cet avis, V. P. A. TOURE, Recueil de textes relatifs au travail législatif et réglementaire du Gouvernement, Dakar, l’Harmattan, 2020, p. 146.
7 V. notamment, la loi n° 2014-13 du 28 février 2014 portant création de l’Office de Gestion des Forages ruraux (OFOR).
8 V. dans le même sens l’art. 454-1 de l’AUSCGIE.
9 art. 20 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
10 Dans le même sens, V. la circulaire n° 25 PM.CAB/EC6 du 25 octobre 1994 relative au rôle des administrateurs représentant l’État dans les conseils d’administration.
11 En ce sens, V. la circulaire n° 13 PR/ME/MSAP/SGP/CF 3 du 24 juin 1994 relative à la tenue des pré-conseils dans le secteur parapublic.
12 art. 48 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
13 V. le décret n° 94-862 du 22 août 1994 portant organisation du Comité consultatif du Secteur parapublic.
14 V. art. 47 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.
15 V. art. 16 de la loi d’orientation n° 2009-20 du 04 mai 2009 sur les agences d’exécution.
16 V. art. 59 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.