En son essence, la Répu­blique ne connaît ni père, ni mère, ni fils, ni fille, encore moins d’amis. Elle repose sur des principes universels : l’égalité devant la loi, la justice et la souveraineté populaire. Ces fondements garantissent que le citoyen est au centre du projet républicain, indépendamment de ses liens personnels ou affectifs.

Quand ces principes s’érodent, la République bascule dans ce que l’on pourrait appeler une «République des amis». Or, une telle configuration fait peser un réel danger sur l’intégrité des institutions et sur la confiance du Peuple en ses dirigeants. La chose est coutumière : la désignation d’un héritier politique, qu’elle soit basée sur l’amitié ou sur la loyauté personnelle, introduit généralement un biais qui vide la République de son essence démocratique.
Prenons le cas du Sénégal, mais choisissons un cas parlant.

Le premier fils de l’actuel président de la République porte le nom de son Premier ministre et sa dernière fille porte le nom de la mère de ce même Premier ministre. Bien entendu, il ne peut venir à l’esprit de qui que ce soit de dénier au Président Faye le droit de donner à ses enfants les noms qu’il veut. A fortiori, ceux liés à un leader charismatique comme Ousmane Sonko, ayant conquis la confiance du Peuple.

Mais le fait est qu’en raison de circonstances connues, le président du Parti Pastef a dû désigner son proche, Diomaye Faye, le faisant ainsi accéder à la magistrature suprême. Une décision motivée par une stratégie politique, mais suscitant de légitimes interrogations. Et si ce choix ne se fondait pas sur les compétences reconnues et l’intérêt national, mais plutôt sur des liens d’amitié ou des considérations de loyauté ? La République ne se transformerait-elle pas en une monarchie déguisée, où les intérêts particuliers supplanteraient l’intérêt général ?

L’histoire abonde d’exemples de dirigeants ayant favorisé leurs proches au détriment de la République. On peut évoquer Napoléon III qui, après avoir accédé au pouvoir en France par des moyens démocratiques, a bâti un régime autoritaire en plaçant ses fidèles dans des positions stratégiques. Ou encore certains pays africains où des présidents ont désigné leurs fils comme successeurs, instaurant ainsi des dynasties politiques au mépris des principes républicains.

Alors une question cruciale se pose : si, demain, l’un de ces protagonistes commettait une faute grave, de l’ordre de la haute trahison, l’amitié ne l’emporterait-t-elle pas sur les intérêts supérieurs de la République ? L’impartialité des institutions pourra-t-elle être garantie lorsque le lien affectif risque d’interférer dans la prise de décision ?

«La République est un principe et non une relation», écrivait Victor Hugo. Cela signifie qu’aucun lien personnel, si puissant soit-il, ne doit prévaloir sur l’intérêt général.

Maintenant que Diomaye vient d’accéder au pouvoir, il a le devoir de mettre en sourdine tout lien d’amitié envers Sonko, du moins dans l’exercice de ses fonctions. Sonko a indubitablement influencé les Sénégalais dans leur choix, mais la République exige une ingratitude salutaire de la part de ses serviteurs. Cela implique que le Président Diomaye devrait privilégier la Nation sur toute dette morale ou affective envers son mentor.

L’ingratitude, en politique, peut être une vertu. Montes­quieu prévient d’ailleurs en soulignant qu’«il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle qui se couvre des apparences de la légalité». En d4autres termes, les dirigeants doivent veiller à ce que leurs décisions soient motivées uniquement par l’intérêt général, et non par une quelconque allégeance personnelle ou par la reconnaissance envers ceux qui les ont propulsés au sommet.

Au total, il est nécessaire de préserver une stricte séparation entre les relations privées et la gestion publique. La Républi­que doit être protégée des dérives qui pourraient la transformer en un cercle fermé, où l’affection et la loyauté priment sur le mérite et l’impartialité.

Le Peuple, en tant que garant ultime de la souveraineté, doit rester vigilant. Une République des amis n’est plus une République : elle devient un espace où les privilèges et les passe-droits supplantent l’idéal démocratique. La République, dans sa pureté, ne connaît qu’un seul véritable ami : le citoyen. De ce fait, le Président devrait porter en bandoulière cette conviction : la République ne doit jamais être trahie, même au risque de rompre avec ceux qui l’ont aidé à accéder au pouvoir.
Amadou MBENGUE
dit Vieux
Membre du bureau politique du Pit Sénégal
secrétaire chargé des élections de la coordination de Rufisque