Le Sénégal est parmi les premières démocraties en Afrique de l’Ouest ayant organisé des élections dès le début du XXème siècle, ce qui a permis l’élection de Sénégalais à la Chambre des députés française en la personne de Blaise Diagne (1872-1934), en 1914, premier député noir, Ngalandou Diouf (1875-1941), en 1934 , Lamine Guère Coura Guèye (1891-1968).
La vie politique sénégalaise a été marquée par la démission volontaire du Président Léopold Sedar Senghor en 1980 au profit de son Premier ministre, Abdou Diouf. Cet acte, le premier du genre en Afrique, a été salué unanimement par la communauté internationale et considéré comme une manifestation de la maturité politique du Sénégal.
Malgré cette expérience démocratique, l’histoire politique du Sénégal a connu des périodes en dents de scie marquées par des évènements sanglants, meurtriers et par des émeutes. Il s’agit de l’assassinat de Demba Diop, le 3 février 1967, lors d’un meeting à Thiès, de l’exécution de son gourou Abdou Ndaffa Faye, de celle de Moustapha Lô, le 15 juin 1967, accusé de tentative d’assassinat sur la personne du Président Senghor, le jour de la Tabaski, le 27 mars 1967. Il y a eu aussi l’assassinat de Maître Babacar Sèye, le 15 mai 1993, vice-président du Conseil constitutionnel, avant la proclamation des résultats des élections législatives, tenues le 9 mai de la même année, de l’homme politique Mamadou Lamine Badji en décembre 2006, sans compter les étudiants victimes des manifestations et ceux de la Société civile.
Ces évènements douloureux ont émaillé la vie politique du Sénégal depuis la dernière moitié du XXème siècle et le début du troisième millénaire, malgré l’avènement enviable de deux alternances pacifiques survenues en 2000 et 2012.
En dépit de cela, la dimension des derniers évènements survenus le 8 mars 2021 pour la libération de Ousmane Sonko a surpris tout le monde de par son ampleur et sa spontanéité sur l’ensemble du territoire national. Ces contestations se sont soldées par la mort d’hommes, par des actes d’incivisme, l’aveuglement des manifestants en brûlant, en saccageant, en pillant les biens publics et privés, en attaquant frontalement les forces de l’ordre et de sécurité.
Ce nouveau comportement, remet en cause la cohésion nationale, la stabilité du pays et ternit son image légendaire de pays de la Teranga, pays de dialogue, de tolérance et du vivre-ensemble.
Il ressort de ce constat que tous ces éléments ne sont que l’aboutissement et la manifestation d’autres actes précédents.
Nous sommes tous témoins, ces dernières années, de l’inconscience ascendante, du désespoir, de l’angoisse et du doute pour un avenir prospère chez les jeunes.
Il y a des facteurs qui expliquent le comportement des Sénégalais :
Le fondement de l’Etat moderne
L’Etat moderne sénégalais est bâti sur la contradiction saisissante entre les valeurs sociales, la conception de notre tradition ancestrale et celle des Occi­dentaux. Le modèle de gouvernance, de démocratie et de savoir-vivre de l’Occident est inculqué aux enfants à travers les manuels scolaires et le programme d’enseignement dis­pensé en langue française. Alors qu’on devrait s’inspirer de la charte de l’Etat des Imamats (1776-1807) au Fouta Toro, théorisée par Thierno Souley­mane Baal et mise en œuvre par son lieutenant Thierno Abdel Khader Kane, de la charte du Mandé de Soundiata Keïta  (1190-1255), et des valeurs véhiculées par l’hymne de l’empire Wassoulou fondé par l’Almamy Samory Touré (1830-1900).
Le Sénégal compte beaucoup de héros, de grandes figures, de penseurs, d’hommes de culture et d’hommes politiques qui méritent d’être valorisés et mis en exer­­gue avant de glorifier les autres.
Le déracinement des jeunes dès le bas âge
Les manuels scolaires ne sont pas souvent conçus pour former un Sénégalais épris des valeurs ancestrales tout en s’ouvrant à l’ère du donner et du recevoir.
L’illustration la plus exaltante semble être celle qu’on appelait, dans les écoles, à la veille de l’indépendance, «le symbole» qui consistait à faire porter une corne de bœuf à l’élève qui a osé parler en classe ou en récréation sa langue maternelle au lieu de la langue française.
Il s’agissait du symbole du mépris, des humiliations et de la honte pour favoriser l’acculturation.
Il en ressort que l’intellectuel sénégalais se réjouit de sa parfaite maîtrise de la langue, de sa connaissance de la culture et de l’histoire françaises et il se glorifie de ne pas pouvoir exprimer sa pensée dans sa langue maternelle. Il se permet de commettre des fautes dans la langue de Kocc Barma sans peine mais quand il s’agit de la langue de Molière, il roule les «R», surveille la construction des phrases pour ne pas agresser la langue, ce qui serait une source de mépris, de critique et de malédiction.
Le manque de référence chez les jeunes.
Les intellectuels, les leaders politiques, les enseignants, tous niveaux confondus, les islamologues se réfèrent généralement aux valeurs et éthiques étrangères dans leurs discours, alors que la Nation est pleine de personnes de valeur, de référence, de vertus, de sagesse, d’excellente moralité, de loyauté, de savoir et imbues de connaissances qui devraient faire la fierté de tous au lieu de les ranger au second plan. Les programmes audiovisuels sont souvent conçus et copiés de l’étranger.
Ceci fait naître la confusion et l’inconscience chez les jeunes qui confondent actes de haine et de conflit entre deux nations, les palestiniens et les israéliens par exemple et la colère d’une population contre son gouvernement. C’est pourquoi, les jeunes brûlent le drapeau national au même titre que le drapeau français, ou s’immole par le feu, comme le tentait Cheikh Diop, le 2 novembre 2018, devant les grilles du Palais présidentiel, après Baye Pouye qui s’est brûlé vif.
La banalisation des symboles de la République
Ce phénomène prend de l’ampleur chez les Sénégalais. Par exemple, on trouve des hommes de tenue qui dansent le Mbalakh, des photographies de marabouts accrochées aux murs des bureaux des agents de l’Etat à la place de celles du président de la République. Ce qui fait que le citoyen ne sent plus la présence de la République, ni qu’il est devant un agent de l’Etat mais plutôt, il trouve en face de lui un talibé qui peut être son condisciple, ce qui lui faciliterait les choses au détriment des autres. Cette pratique anti républicaine aurait influé sur le traitement des dossiers administratifs et l’indépendance de la justice.
Les aspects de la banalisation des symboles de la République, se manifestent également par la vente des tenues militaires dans les rues, le port du titre de «Gé­néral» par un civil avec des étoiles, des galons et des mé­daillons à l’épaule, les insultes proférées à l’endroit du chef de l’Etat, l’attaque des édifices pu­blics.
Les affrontements survenus à l’Ucad, le 25 mars 2021, entre les étudiants de deux groupes ethniques «Kékendo» pour les Diolas et «Ndef Leng» pour les Sérères liés par l’alliance sociale, l’amitié, la convivialité et la matrice du cousinage à plaisanterie témoignent de la dégradation du tissu social et la perdition des valeurs ancestrales.
La disparité entre la démographie galopante et la performance économi­que
Le Sénégal qui compte plus de 16 millions d’habitants, enregistre une dégradation ascendante de son environnement végétal, pédologique, océanique et faunique. Il est frappé de plein fouet par les fluctuations pluviométriques ce qui impacte lourdement les secteurs de l’économie nationale et entrave la création d’emploi pour les jeunes.
Les activités économiques dépendent des aléas climatiques, de la vétusté des équipements agricoles et du dictat du marché étranger, ce qui fait que ce secteur tarde à décoller malgré les efforts consentis par les gouvernements.
Il faut signaler aussi le fait que les Sénégalais ne sont pas libres de choisir un métier et de le pratiquer chez eux, cela constitue un frein pour le développement et pour la lutte contre le chômage des jeunes (16% pour le gouvernement ; 46% pour les institutions internationales).
C’est pourquoi, le flux migratoire clandestin «mbeugue-mi, Barsa ou Barsakh» des jeunes à travers les embarcations de fortune pour regagner l’Eldorado en vue de chercher une vie meilleure, a pris une dimension inquiétante ces dernières an­nées. Des centaines de jeunes ont péri en mer sans que cela diminue leur ardeur. Mais ils sont plus que jamais déterminés à concrétiser leur rêve en mettant leur échec sur le dos de l’Etat et leur réussite sur leur courage.
Il faut signaler la disparité entre les discours servis quotidiennement par le gouvernement, les Ong, la Société civile, les institutions internationales sur la réalité de la situation des jeunes et sur l’avenir du Sénégal après la découverte de pétrole et de gaz, deux ressources naturelles qui ont créé beaucoup de tensions, d’instabilité et de conflits dans d’autres pays, et ont ouvert l’appétit des étrangers.
Le clientélisme politico-religieux et la démêlée politico-judiciaire
Ce phénomène fait que beaucoup de Sénégalais n’ont plus confiance dans la justice de leur pays, aux hommes politiques et accusent certains marabouts d’être les marionnettes du pouvoir temporel. Les guides religieux se trouvent souvent dans une mauvaise posture et sont tenaillés entre le marteau des politiciens et l’enclume des talibés, ce qui leur fait perdre progressivement leur influence sur la conduite et l’assiduité des fidèles.
En fonction de ce rapport, le discours politique servi au lendemain de la première alternance au Sénégal, en 2000, était orienté par la classe maraboutique. A cette période, la décision d’un leader politique pour créer un parti dépendait de la bénédiction du marabout, on entendait souvent dire «après avoir consulté mon marabout et eu son accord et sa bénédiction, j’ai décidé de créer ma propre formation politique», mais ce langage a changé.
Il est constaté qu’il y a un rapport conflictuel latent entre le pouvoir étatique et le pouvoir maraboutique alors que chacun veut exercer son influence sur l’autre dans une complicité aberrante. La classe maraboutique refuse d’être reléguée au même titre que les citoyens sénégalais alors que l’Etat est censé traiter les citoyens au même pied. Cette relation s’est invitée dans l’Affaire judiciaire Sonko-Adji Sarr, deux citoyens sénégalais. Ce qui lui a donné une tournure confrérique dé­masquée. Le marabout Serigne Abdou Mbacké, fils et khalife de Serigne Cheikh Khady Mbacké, a porté son soutien moral à son disciple Ousmane Sonko, leader de Pastef, alors considéré à tort ou à raison comme un salafiste et/ou un sudiste qui travaille pour le Mfdc.
En revanche, Adji Sarr a fait connaître au monde, lors de sa sortie médiatique, pour conforter sa position, qu’elle est la disciple de Baye Niasse comme l’a confirmé son marabout, Baye Mbaye Niasse Mc, fils de Baye Niasse.
Les deux positions n’auraient-elles pas une influence sur ce dossier judiciaire ?
L’apparition du nouveau Prophète à Saré Ngagne et la tentative d’un groupe égaré de faire le Hadji autour de la Mosquée de Touba, sont deux événements qui méritent d’être dénigrés.
L’absence d’équité, de morale, de sincérité et de fidélité
Ces valeurs font défaut chez les acteurs politiques mais aussi, souvent chez les guides religieux alors que la calomnie, l’insulte, l’accusation de forfaiture sont devenues monnaie courante chez les Sénégalais sans distinction d’âge, de niveau d’instruction et de responsabilité.
Les concepts de valeurs sociales qui constituaient le socle de la société sénégalaise qui sont : le Kersa, le Sutura, le horma, le Diom, le kéliftèf, le bénô ont per­du aujourd’hui leur quintessence.
Ce qui est paradoxal, notamment la division des musulmans sénégalais enrôlés dans cinq commissions pour scruter une seule lune en vue de fixer le début et la fin du mois de Ramadan qui devient une source d’inquiétude qui menace la cohésion nationale.
La mendicité
La mendicité «islamisée» pratiquée par les enfants, les adultes et les mamans ayant donné naissance à des jumeaux, est le fléau le plus rocambolesque de la société sénégalaise qui ternit fortement son image. Ce phénomène est banni et maudit par la religion, la morale, l’éthique et les lois de la République, mais il est récurent par manque de volonté de l’éradiquer.
Les Lgbt
Le Sénégal lutte pour préserver son indépendance et sa liberté pour que le comportement sexuel de sa population soit conforme à son éthique et ses valeurs sociales et religieuses alors que les puissances occidentales le veulent autrement. Les Ong, les organisations humanitaires, les dirigeants et les institutions occidentales s’acharnent contre ce choix irrévocable défendu par le Président Macky Sall au niveau national et international.
Les inondations
Depuis 2005 jusqu’à présent, l’Etat peine à régler définitivement le problème des inondations malgré les centaines de milliards dépensés soit pour reloger les sinistrés, soit pour construire des infrastructures de base pour l’évacuation de l’eau et l’assainissement des villes.
La République est étranglée par la classe politique, maraboutique, la Société civile et les Ong, chacune court après sa proie au nom de la Nation alors que celle-ci reste toujours déboussolée et vit en agonie. Les motivations politiques et professionnelles pour servir la Nation se réduisent au profit de personnes qui se servent de l’Etat ; sinon comment peut-on expliquer l’existence de plus de trois cent dix (310) formations politiques pour une population de 16 millions d’habitants.
Dr El Hadji Ibrahima THIAM
Chercheur