La Taaske (Tabaski) à Dondou dans les années 80

Les fêtes de «Juulde Taaske» (Tabaski chez les Wolofs, Aïd El Kébir en arabe) étaient des moments de retrouvailles et de convivialité à Dondou, mon village natal, à 45 km de Matam. Les jeunes que nous étions, trépignaient d’impatience à l’approche des fêtes de «Juulde Taaske». La veille de la fête de «Juulde taake», nous dormions peu la nuit. Le jour de la fête, nous nous réveillions très tôt le matin pour aller nous baigner au fleuve Sénégal qui bordait la partie orientale de notre village. Pour les enfants, ce bain matinal tenait en même temps lieu d’ablutions. Il n’y avait pas de coiffeur dans le village. C’est notre maman qui nous rasait la tête avec une lame, avec une grande dextérité et un art consommé. Elle laissait une petite touffe de cheveux au-dessus de nos fontanelles. Nous enfilions nos habits neufs cousus par le tailleur du quartier et portions des chaussures en plastique.
A huit heures, nous prenions nos nattes de prière et partions à l’école primaire où avaient lieu chaque année les prières de «Juulde Taaske» et de «Juulde Koorka» (Korité en wolof, Aïd El Fitr en arabe). L’imam, un sexagénaire de grand gabarit, emmitouflé dans un grand boubou bazin amidonné froufroutant, arrivait quelques minutes avant l’heure de la prière. La proximité avec l’imam obéissait à la logique du gradient d’ainesse. Il nous était interdit, nous enfants, d’être dans les premiers «gori» (pluriel de gorol, sappe en wolof, rangées). Comme des malpropres, nous étions placés derrière les vieillards et les adultes. Nous en profitions pour nous adonner à des enfantillages et joyeusetés. A l’heure de la prière, nous interrompions nos gamineries et écoutions l’imam qui, avec sa voix de Stentor, disait plusieurs fois «Allahu akbar» avant de réciter «bismillay aramani arahimi…» (Fatiha en arabe). Presque tous les enfants attendaient les positions de «turaade jagga juuɗe e koppi» (ruku en arabe, se baisser de telle façon que le dos et le cou soient droits et parallèles au sol) et de «fiiyde tiinde e leydi» (sujud en arabe, prosternation) pour se donner des coups-de-poing dans le dos. Les coups-de-poing étaient tellement violents et synchroniques qu’ils firent écho dans toute la cour de l’école et les maisons environnantes. A la fin de la prière, aucun enfant n’était sanctionné pour son mauvais comportement. Le prêche de l’imam à la fin de la prière ne nous intéressait pas. Nous n’y comprenions rien. Ce qui nous intéressait, c’était la viande de bœuf et les makaruuna (macaronis) que nos mamans s’apprêtaient à mettre dans les marmites.
Rares étaient les familles qui immolaient des moutons. Nombreux furent les éleveurs qui préféraient acheter le «talde teew» (environ 2, 5 kg de viande de bœuf) que de faire du «layya» (sacrifier un mouton). Nous quittions le lieu de prière avant même la fin du prêche de l’imam qui s’exprimait en arabe, une langue qui nous était étrangère et étrange. Dans chaque quartier, les enfants se regroupaient en «Pelle» (pluriel de fedde, association de personnes ayant le même âge). Chaque enfant sollicitait ses parents pour payer son écot, entre 100 et 250 F. La musique, les sons mélodieux et l’odeur des festins gargantuesques qui remplissait l’air créaient une ambiance festive dans notre village. Nous batifolions, dansions, ingurgitions des aliments et buvions des rasades. Youssou Ndour était à la tête de liste de nos chanteurs préférés, ensuite Baba Maal, Ousmane Hamady Diop, les Congolais Kanda Bongo Man, Pépé Kalé, les Ivoiriens Alpha Blondy, Daouda Koné…
Nous profitions également de la fête de «Juulde Kooka» pour apprendre à fumer de la cigarette et à draguer les filles. Nous achetions du Camélia (100 F le paquet), LM, Camel… Nous croyions que la cigarette était un rite de passage, un test de masculinité pour être admis dans la cour des grands hommes et dandys. La nuit, dans la rue, quand nous apercevions des filles, nous allumions nos cigarettes, aspirions très difficilement la fumée, puis l’expirions pour attirer l’attention des bambines. Des vertiges et quintes de toux s’ensuivaient. Plus les fillettes s’approchaient, plus le complexe de castration faisait monter nos taux d’adrénaline. Flageolants et chevrotants, nous perdions nos vocabulaires. Les petites filles nous tournaient en dérision et s’esclaffaient en rires. Froussards, mauvais séducteurs et inexpérimentés que nous étions, nos opérations coup de charme se révélaient être inefficaces et infructueuses…
Mamaye NIANG
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