C’est comme une comédie musicale. Pour parler concret, prenons l’exemple de la plus célèbre d’entre elles : le Roi Lion. Depuis 1997, une équipe de comédiens fait le tour des grandes capitales pour se produire en spectacle devant des publics attentifs et séduits. Le scénario est parfait et les artistes rodés à la tâche. Les textes sont les mêmes, traduits et adaptés pour tout public. Le spectacle est tellement attendu qu’il se vend à guichets fermés, se passant parfois même de publicité. Cependant, retenons que, sans être un privilège pour le Roi Lion, le succès d’une comédie musicale dépend fortement de la pertinence de l’histoire racontée et du jeu des acteurs.
Cela dit, la comédie musicale dont nous allons parler ici mérite qu’on lui affecte d’abord un nom : appelons-la «la tournée africaine», pour faire simple.
Le principe est le même : des vedettes font le tour du monde pour se donner en spectacle. Cependant, le scénario est ostensiblement différent. Il faut bien varier les effets ; c’est une question d’originalité, me direz-vous. Cette pièce, donc, met généralement en vedette le Président français en exercice dans sa traditionnelle visite à ses homologues africains. L’agenda n’a rien à cacher : il est aussi transparent que celui d’un général à ses troupes en faction ou encore d’un patron de multinationale rendant visite à ses filiales, abordant légitimement et avec grandiloquence des aspects logistiques et distribuant des leçons de management et de savoir-être à tour de bras.
La plus marquante de cette comédie républicaine courante et bien française a certainement été celle de Nicolas Sarkozy, qui avait estampillé la sienne d’un discours indélicat et rebutant, enveloppé de lyrisme et d’emphase, comme un cadeau fétide : vous aurez reconnu le fameux «Discours de Dakar». Pour lui donner la réplique et se laver de l’affront, il avait alors fallu pas moins de 8 ouvrages rédigés par les esprits les plus émérites du Sénégal et d’Afrique et moult débats, dissertant et polémiquant sur la sémantique, le bien-fondé et la discourtoisie du texte.
Pour ne pas déroger à la tradition, la représentation de cette année a eu comme tête d’affiche, Emmanuel Macron, Chef de son Etat et porteur d’une ambition de grand patron des relations internationales et de la géopolitique, en l’absence du présumé Leader du Monde libre, trop occupé soit à fermer ses portes, fenêtres et baisser ses rideaux, à lorgner les trous de serrure de la Corée du Nord ou à déplacer des capitales.
Le 27 novembre 2017 donc, la comédie musicale, (oups! que dis-je), la tournée africaine, se met en branle pour une représentation très attendue au Burkina Faso, terre des hommes intègres. L’évènement est minutieusement préparé, encadré et balisé. En somme, un de ces show de grand audimat que les meilleures agences évènementielles auraient rêvé d’organiser. Tout fonctionne à merveille, même les blagues, exception faite de la climatisation L. Jusque-là, tout va bien. Les médias français diffusent H24, la tête d’affiche en a l’ego complètement dopé. Macron plane devant un parterre d’hôtes passifs et le public est si coi de cet «honneur» qu’il en perd le sens de la pertinence.
A la deuxième étape d’Abidjan, Macron l’artiste, brille de nouveau. Il se sent comme l’aîné de la maison, sollicité de partout, se faisant entendre par tous et enchaînant conférences de presse et réunions de haut niveau.
Enfin, à la dernière étape de la représentation, à Accra, pfft…La frénésie retombe comme un ballon de baudruche percé. L’accueil est plus serein, presque insignifiant et désintéressant. A tel point qu’il est à peine relayé par les médias français, quelque peu censuré. Et pour cause : ici, pas de grand discours à l’université car les étudiants sont en cours ! Pas de drapeaux agités le long des artères de la ville au passage du cortège car les enfants sont à l’école ! Pas de Vive la France car les gens sont au travail ! Et de toute façon, ils ne parlent pas français. Basta.
La vedette Macron, à qui il faut reconnaître un grand talent de communicateur, donc d’homme de spectacle, persiste et refait son show, portant à bout de bras son refrain de défenseur «d’une Afrique qui écrit sa propre histoire».
Malgré l’accueil pondéré qui lui a été réservé, manquant d’intuition, il s’engage avec témérité dans une conférence de presse conjointe avec le Président Nana Akufo-Addo, en exercice depuis 2016. Bien mal lui en prît, car cette fois, le scénario «bugge» !
Face à Addo, la symphonie grince. En une fraction de seconde, le script change de main et le Président Ghanéen prend le rôle, non pas d’hôte passif mais d’acteur. Il lui aura fallu une tirade de 9 mn et 12 secondes pour récupérer la paternité du discours de la rupture de la Françafrique et prêcher en voix autorisée ce que doit être notre destinée d’Africains. Dans une réponse doucereuse (et ô combien jubilatoire) à la question d’un journaliste, Addo remet les pendules de l’ingérence occidentale à l’heure, signifiant subtilement à Emmanuel Macron que les leçons doivent venir de l’intérieur et non de l’extérieur. Avec un message puissant et de sa voix grave, le digne héritier de Nkrumah, qui n’en a cure d’aller marcher pour Charlie, venait de sonner la fin de la récréation et renvoyer la Françafrique réviser son script de la rupture qui n’avait d’ailleurs convaincu personne.
“Il y a des histoires qui font que le linge sale ne doit se laver qu’en famille” (Napoléon Bonaparte).
En attendant que Nollywood nous régale bientôt d’une comédie musicale à succès intitulée «le discours d’Addo», rideau…
Awa Ngom DIOP
#jenesuispascharlie #jesuisaddo

P.S : ci-après la traduction non officielle et non professionnelle sur la base de la transcription de la vidéo d’Akufo-Addo
Traduction en français
«J’espère que les commentaires que je vais faire ne vont pas trop froisser le questionneur et certaines personnes présentes.
Je pense qu’il y a une erreur fondamentale dans les enjeux de la question. Nous ne pouvons plus continuer à faire de la politique pour nous-mêmes, dans notre pays, dans notre région, sur notre propre continent, sur la base du soutien que le monde occidental, la France ou l’Union européenne peuvent nous ap­porter.
Ça ne marchera pas, ça n’a pas marché jusque-là et ça ne marchera pas. Notre responsabilité est de tracer la voie par laquelle nous pouvons développer nos nations nous-mêmes. Il n’est pas juste pour un pays comme le Ghana, 60 ans après l’indépendance, de continuer à financer ses budgets de santé et d’éducation sur la base de la générosité et de la charité des contribuables européens. A l’heure actuelle, nous devrions être en mesure de financer nos besoins fondamentaux nous-mêmes. Et si nous considérons les soixante prochaines années comme une période de transition, une période où nous pouvons nous débrouiller seuls, notre perspective ne doit pas se baser sur ce que les contribuables français décident de faire avec les excédents qu’ils ont en France.
Ils sont les bienvenus, ils sont appréciés, quelles que soient les interventions que les contribuables français, par l’intermédiaire de leur gouvernement, nous adressent. Nous n’allons pas vérifier les dents d’un cheval offert en cadeau. Mais ce continent, avec tout ce qui s’est passé, est encore aujourd’hui le dépositaire d’au moins 30% des minéraux les plus importants du monde. C’est le continent de vastes terres arables et fertiles. Il a la population la plus jeune de tous les continents du monde. Il en est de même pour l’énergie et le dynamisme. Nous l’avons vu : ces jeunes hommes qui font preuve d’autant de résilience et d’ingéniosité en traversant le Sahara, trouvant les moyens de traverser la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Nous voulons que ces énergies agissent dans nos pays. Et nous aurons ces énergies qui fonctionnent dans nos pays si nous commençons à construire des systèmes qui disent aux jeunes de notre pays que leurs espoirs, leurs opportunités sont ici, avec nous.
La migration au sens de mouvement de personnes est présentée de manière à suggérer que c’est un phénomène nouveau. Il n’y a rien de nouveau à ce sujet. Le mouvement des personnes est vieux comme les hommes et a toujours été lié à la même chose : vous allez ailleurs lorsque l’endroit où vous vous trouvez a failli à vous fournir des opportunités.
Ceux d’entre vous qui connaissent l’histoire de l’Europe au 19ème siècle, savent que la plus grande vague d’immigration est venue en majeure partie d’Irlande et d’Italie. Vagues par vagues, des générations d’Ita­liens et d’Irlandais ont quitté leurs pays pour chercher le paradis américain plus grand parce que l’Irlande ne fonctionnait pas, l’Italie ne fonctionnait pas. Aujourd’hui, on n’en entend pas parler. Les jeunes italiens sont en Italie, les jeunes irlandais sont en Irlande. De cette même manière, nous voulons que les jeunes Africains restent en Afrique ! Et cela signifie que nous devons nous défaire de cet état d’esprit de dépendance, cet état d’esprit de ce que la France peut faire pour nous. La France fera tout ce qu’elle doit faire pour son propre bien. Et quand cela coïncidera avec nos intérêts, tant mieux, comme disent les Français. Mais notre responsabilité principale en tant que dirigeants, en tant que citoyens, est ce que nous devons faire pour développer nos propres pays, avec toutes les institutions à l’œuvre. Cela nous permettra d’avoir une bonne gouvernance, une gouvernance responsable pour s’assurer que les fonds mis à la disposition des dirigeants sont utilisés dans l’intérêt de l’Etat et non de ses dirigeants ; d’avoir des systèmes qui permettent la reddition de comptes, permettent la diversité, permettent aux gens de s’exprimer et de contribuer à combler le besoin et l’intérêt publics. Notre préoccupation devrait être de savoir ce que nous devons faire en ce 21ème siècle pour éloigner l’Afrique de la mainmise, de l’aide, de la charité et des dons. Le continent africain, quand on regarde ses ressources, devrait être en mesure de donner de l’argent à d’autres pays. Nous avons d’énormes richesses sur ce continent et dans notre propre pays, le Ghana. Et nous devons avoir un état d’esprit qui dit : nous pouvons le faire ! D’autres l’ont fait. Nous pouvons aussi le faire. Et une fois que nous aurons cet état d’esprit, nous verrons les effets positifs sur nous-mêmes.
Nous ne cessons de parler des Coréens, des Malais, des Singapouriens, qui ont obtenu leur indépendance en même temps que nous. On sait qu’au moment de l’indépendance, le revenu par habitant du Ghana était plus élevé que celui de la Corée. Aujourd’hui, la Corée fait partie des pays développés, tout comme la Malaisie et Singa­pour. Qu’est-il arrivé ? Pourquoi ont-ils fait leur transition et soixante ans après notre indépendance, nous sommes là où nous en sommes ? Ce sont ces questions qui nous concernent tous, en tant qu’Africains, en tant que Ghanéens. Et non, quand je le dis, c’est avec un grand respect pour les relations publiques françaises, cela ne veut pas dire que la coopération de la France est quelque chose qui…, je suis comme vous le savez, un grand ami de la France, je suis un Francophile. Je n’ai aucun problème avec ça. Mais je parle de notre propre proportion : ce que nous devons faire pour que nos pays fonctionnent afin que nous puissions créer les conditions qui permettront à nos jeunes de renoncer à cette aventure dangereuse pour se rendre en Europe. Ils n’y vont pas parce qu’ils le veulent, ils y vont parce qu’ils ne croient pas avoir d’opportunités dans nos pays. Donc, cela devrait être notre objectif. Et je crois que si nous changeons cet état d’esprit de dépendance, cet état d’esprit qui dépend de l’aide et de la charité, nous verrons que dans la décennie qui nous attend, la pleine floraison du peuple africain aura lieu. Et la nouvelle facette africaine, dont on a parlé au moment de notre indépendance, deviendra réelle et imminente à notre époque. Comme je le dis, j’espère que je ne mets pas le questionneur ou même certains de mes amis ici présents mal à l’aise.
Mais ce sont mes convictions profondes et c’est la raison pour laquelle j’ai adopté comme slogan de ma présidence, de mon mandat au bureau suprême du Ghana, que nous voulons construire un Ghana au-delà de l’aide, un Ghana indépendant, qui est autosuffisant, capable de se tenir debout et de tracer sa propre voie. Nous pouvons le faire, si nous avons l’esprit approprié pour le faire.
Monsieur le Président, c’étaient mes contributions.
Nous allons y passer la journée. Il a beaucoup d’idées, beaucoup de choses très positives à dire et comme vous pouvez le voir, j’ai aussi mes propres contributions. Alors, on va s’arrêter là. M. Macron a quitté Abidjan après une matinée mouvementée et il n‘a pas eu le temps de manger. Il devrait avoir au moins ce côté de l’hospitalité ghanéenne. Nous allons donc l’emmener déjeuner.»