La voix de l’Afrique dans la lutte antitabac : les solutions et politiques importées ne répondent pas aux besoins de l’Afrique


A travers le monde, les pays s’efforcent de passer à un avenir sans fumée, et certains ont déjà réalisé des progrès remarquables. La Suède, par exemple, a récemment annoncé que seulement environ 4, 5% de sa population fument encore des cigarettes -le taux le plus bas rapporté en Europe. Ce succès est célébré comme un modèle à suivre. Cependant, derrière les applaudissements se cache une question cruciale : les nations africaines peuvent-elles vraiment copier les modèles européens et espérer les mêmes résultats ?
Leçons de la Suède — et leurs limites
Le triomphe de la Suède repose en grande partie sur l’innovation. Les Suédois ont développé le snus commercial -une boule ou pochette de tabac humide ou sec, sans fumée, placée sous la lèvre et absorbée par les gencives. Inspiré d’une tradition ancienne, il a été modernisé et adapté à une large consommation. Il ne produit ni fumée ni cendre, et pour beaucoup de Suédois, il est devenu une alternative socialement acceptable à la cigarette. Résultat : les taux de cancer du poumon et autres maladies liées à la consommation de la cigarette ont chuté de manière spectaculaire.
Cette histoire est inspirante, certes -mais elle est profondément suédoise. Le snus s’intègre naturellement dans le mode de vie et la culture des Suédois. Il est réglementé, fiable et accessible dans un système de santé publique solide. Le problème survient lorsque ce modèle est exporté, présenté comme une solution clé en main pour d’autres nations, y compris celles d’Afrique. Ce qui fonctionne à Stockholm ne fonctionne pas nécessairement à Dakar, Nairobi ou Harare.
Solutions importées, réalités locales
Ces dernières années, certains pays africains ont tenté de reproduire des éléments des stratégies occidentales de réduction des risques. Le Kenya, par exemple, a fait de grands progrès grâce à des lois strictes sur le tabac, à l’éducation publique et à des taxes rendant les cigarettes moins accessibles. Le taux de tabagisme est tombé à moins de 8% chez les adultes -une réussite majeure pour un pays qui avait presque le double auparavant.
Mais de nouveaux produits, comme les poches de nicotine importées et les cigarettes électroniques, ont pénétré le marché sans réglementation adéquate. Ils sont vendus comme des «alternatives plus sûres», en écho au succès du snus en Suède, mais leur sécurité, leur qualité et leur impact à long terme dans les contextes africains restent incertains. De plus, beaucoup de gens ne leur font tout simplement pas confiance. Ils semblent étrangers et déplacés dans des cultures où le tabagisme est déjà perçu avec méfiance ou stigmatisation. Le défi de l’Afrique ne concerne pas seulement quoi utiliser, mais comment et pourquoi. Une solution adaptée à une culture ne peut pas simplement être copiée dans une autre. La réduction des risques liés au tabac n’est pas une question universelle ; elle est profondément enracinée dans l’identité, l’économie et la tradition.
Le danger de considérer l’Afrique comme un bloc homogène
Trop souvent, le continent africain est traité comme une entité homogène -comme si une seule approche pouvait résoudre le problème pour plus de 50 nations diverses. Mais l’Afrique n’a pas une seule histoire. Des rues animées du Cap aux communautés rurales du Malawi, l’usage du tabac porte des traditions, des significations et des défis différents.
Dans certaines régions, les produits sans fumée pourraient être acceptables mais inabordables à cause de taxes aussi élevées que celles sur les cigarettes. Dans d’autres, ils peuvent entrer en conflit avec les normes culturelles ou religieuses. Dans les communautés où la désinformation sur la réduction des risques est répandue, la première étape ne serait pas d’introduire des produits, mais d’éduquer -dans des langues et des formats qui résonnent avec les populations locales. Si nous ne reconnaissons pas ces différences, nous risquons de remplacer une idée importée par une autre -une stratégie «continentale» séduisante sur le papier mais inefficace en pratique.
Un appel à la souveraineté sanitaire et à la créativité
Trouver une voie propre à l’Afrique dans le contrôle du tabac et la réduction des risques ne signifie pas rejeter les modèles occidentaux. Il s’agit de revendiquer notre souveraineté et le droit de concevoir des solutions enracinées dans nos réalités nationales. Les Africains sont tout à fait capables de créer des approches innovantes et scientifiques en matière de santé publique. Mais pour cela, il faut de l’espace, de la confiance et du soutien. Si les nations africaines ne font pas la distinction entre les cigarettes combustibles et les produits à risque réduit, elles seront inévitablement laissées pour compte avec un fardeau croissant de maladies non transmissibles, gaspillant des ressources critiques qui devraient être consacrées à la lutte contre les maladies transmissibles mortelles.
L’avenir de l’Afrique dans le contrôle du tabac ne sera pas construit dans des laboratoires européens ou des salles de conseil américaines. Il sera construit dans les universités africaines, les ministères de la Santé et les salles communautaires -par des personnes qui comprennent que la souveraineté sanitaire fait partie de la souveraineté politique.
Les Africains ont la créativité, les connaissances et l’expérience vécue pour concevoir la prochaine phase de la réduction des risques liés au tabac. La question n’est plus de savoir si les nations africaines peuvent suivre les traces des autres, mais si l’Afrique est prête à diriger avec des politiques et des solutions locales.
Une échéance décisive : la prochaine Cop de la Cclat en novembre
La 11e Conférence des Parties (Cop11) à la Convention-cadre de l’Oms pour la lutte antitabac (Cclat) se tiendra du 17 au 22 novembre à Genève, en Suisse. Cet événement rassemblera les 183 Parties à la Convention, pour examiner les progrès réalisés et adopter de nouvelles mesures de lutte contre le tabagisme. Les enjeux sont majeurs : régulation des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, lutte contre le commerce illicite, entre autres. Pour les pays africains, cette Cop représente une opportunité décisive de faire entendre leur voix, de défendre leur souveraineté sanitaire et de promouvoir des solutions enracinées dans leurs contextes culturel, économique et social. Il est essentiel que les délégations africaines arrivent préparées, unies et prêtes à influencer les décisions mondiales en matière de lutte antitabac au lieu de se contenter d’appliquer des solutions toutes faites.
Dr Tendai MHIZHA
Africa Global Healh
tendai@me.com

