L’Afrique est devenue comme l’arme nucléaire dans l’après-deuxième guerre mondiale : un attribut de grande puissance. Aujourd’hui, organiser son sommet avec l’Afrique est devenu un attribut de puissance à côté de l’arme nucléaire et du taux de croissance du Pib. On savait que la France était une «puissance africaine», parce que la quasi-totalité de ses interventions militaires se déroulent en Afrique et ce savoir-faire lui donne un attribut de puissance à la table des grands du monde. Aujourd’hui, après les sommets France-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique, le Ticad du Japon, c’est au tour de la Turquie de faire son retour en Afrique, car elle y était déjà présente au temps de l’empire ottoman, notamment en Egypte, Algérie, Tunisie et en Libye.
Les grandes puissances ne tiennent pas à leur sommet avec l’Afrique uniquement pour le prestige. Au-delà du prestige diplomatique, des sensations orgueilleuses de se sentir grande puissance, en convoquant une cinquante de chefs d’Etats, les grandes puissances ont compris avant les Africains, que notre continent est le berceau et l’origine de l’humanité, mais aussi et surtout son avenir car, notre continent est la dernière frontière pour la croissance et le développement, avec son marché de plus d’un milliard de consommateurs. Il n’y a que les Africains qui n’ont pas encore saisi les enjeux stratégiques que représente leur continent, comme ils ne l’avaient pas compris lors de l’arrivée des premiers explorateurs européens. Et c’est parce qu’ils ne l’avaient pas compris, qu’ils se sont réveillés colonisés, avec un partage entre grandes puissances lors du Congrès de Berlin.
Aujourd’hui, avant qu’ils ne le comprennent, le continent sera devenu un champ de bataille économique et d’influence entre les grandes puissances, et le Sénégal sera l’un des plus grands champs de bataille. Les grandes puissances et les puissances moyennes, qui ont déjà défini la géographie de leur intérêt national, savent pourquoi elles viennent en Afrique, mais les Africains qui ne font pas pareil, deviennent de fait, sujets de relations à côté des acteurs comme les puissances, qui ont des objectifs précis.
L’Afrique, l’origine du monde, est aussi son avenir. Il y a deux voies pour aller vers cet avenir. Premièrement, continuer d’être des spectateurs de notre destin et laisser notre continent être un grand champ de bataille économique entre puissances, et avoir le développement comme effet collatéral de cette bataille et de la mondialisation, parce que nous sommes la dernière frontière, ou secundo, être acteurs, c’est-à-dire définir la géographie de l’intérêt continental et impulser nous-mêmes notre développement. Il y a une grande différence entre les deux stratégies : le temps. La deuxième stratégie est beaucoup plus rapide et plus durable, car nous serons des acteurs et les autres nos partenaires, mais la première est une forme de sous-traitance du développement et de l’émergence. C’est une erreur aussi grave que sous-traiter la sécurité d’un Etat à une puissance étrangère.
La stratégie des Africains pour parler d’une voix face aux puissances et organisations continentales, devrait être une des préoccupations de l’Union africaine, qui devrait commencer par définir un minimum de critères de convergence pour cesser d’être une organisation purement géographique. Quand on pense que l’Union européenne a failli expulser la Grèce, berceau de la civilisation européenne, pour des raisons économiques, on mesure l’importance d’un minimum de critères pour faire fonctionner une union d’Etats. L’Italie aussi, le pays de la renaissance, a dû faire des efforts d’ajustement pour rester. L’Italie et le Grèce sont les deux piliers de l’idée Europe avec la philosophie et la renaissance, mais l’Union a des règles, alors que la seule règle pour l’Union africaine semble être la géographie : être sur le continent.
Yoro DIA – yoro.dia@lequotidien.sn