L’Afrique devrait-elle craindre le monde occidental face à l’opportunité qu’offrent les Brics ?

Le Sommet des Brics s’ouvre ce mardi 23 octobre en Russie, et ce sur trois jours. Trois pays africains sont à date membres de cette organisation : l’Afrique du Sud, l’Egypte et l’Ethiopie. La participation à ce grand ensemble est une bonne opportunité pour ces pays, ainsi que pour tout potentiel Etat candidat africain. Il faut rappeler que d’après les statistiques, le Pib des Brics a dépassé 60 000 milliards de dollars américains en 2023, ce qui représente environ 37, 4% du Pib mondial, soit plus que les 29, 3% des pays du G7.
Ce bloc ambitionne de contrer l’hégémonie occidentale tant sur le plan géopolitique qu’économique. La dédollarisation des échanges mondiaux est également un des objets visés, de même que favoriser un nouvel ordre mondial plus juste.
Il est vrai que ces paris rendent le monde occidental inquiet de cette montée en puissance des Brics, allant jusqu’à proférer des menaces à peine voilées à l’endroit des pays membres. Mais il faut rappeler que les pays sont libres de choisir leurs partenaires et les groupements auxquels ils s’associent. Les Américains, dans le cadre de leur rivalité d’influence face à la Russie, notamment sur le conflit en Ukraine, n’ont pas échappé à cette tentative de mettre en garde les pays africains candidats en évoquant des «demandes de comptes» aux gouvernements africains suspectés de déloyauté et d’éventuelles «condamnations» politiques et de possibles rétorsions commerciales, dans le cas où ceux-ci «financeraient la guerre», par l’achat du pétrole russe ou de céréales «volées à l’Ukraine». En tout état de cause et quelles que soient les pressions, une collaboration accrue avec les pays membres des Brics ne peut qu’être bénéfique pour le continent africain. Les secteurs transversaux importants pour le développement de l’Afrique devraient être pris en compte dans cette relation avec les Brics. Je pense en particulier au transfert de technologie qui devrait permettre au continent de se lancer dans un processus industriel salvateur, mais aussi à l’agriculture, à l’agrobusiness, à de solides partenariats public-privé en matière d’infrastructures, organisés de manière transparente et gagnant-gagnant. Bien entendu, des secteurs en vogue comme le pétrole et les mines continueront de représenter un élément important de la relation commerciale.
L’Afrique devrait s’assurer que son partenariat avec les Brics mènera à un développement durable, et non à de simples gains économiques à court terme. Pour cela, il faudra éviter de considérer le continent comme un simple eldorado, réservoir de matières premières. Il faudra insister sur les énergies renouvelables, revisiter la relation opaque qu’entretient le continent avec l’Inde et la Chine, afin de changer de logiciel en termes notamment de transparence plus accrue en matière d’endettement et dans les partenariats d’infrastructures. En d’autres termes, lutter contre la corruption. La participation de l’Afrique aux Brics pourrait affecter la position du continent dans le commerce mondial, en particulier par rapport à ses partenaires traditionnels comme l’Union européenne et les Etats-Unis. La part de l’Afrique dans le commerce mondial est aujourd’hui faible et ne représente que 3% des échanges internationaux. Compte tenu de l’effet distance entre pays membres des Brics et de la spécificité des relations commerciales qu’entretient chaque pays avec ses partenaires traditionnels, l’idée d’un marché commun des Brics relèverait de l’illusion. En revanche, la force de frappe de ce grand ensemble devrait être utilisée pour permettre à l’Afrique de redynamiser son commerce intrarégional. Il est à craindre cependant des stratégies de suspension ou d’annulation par les pays occidentaux de programmes commerciaux en cours comme l’Agoa du côté américain ou l’initiative «Tout sauf les armes» avec l’Union européenne. Mais tout ceci devrait être compensé par des initiatives comme la nouvelle banque de développement des Brics qui vise à favoriser des échanges commerciaux et financiers en devises locales et à s’émanciper du dollar. Sait-on jamais aussi, l’aventure peut aller jusqu’à la création d’un Fonds monétaire des Brics et à une meilleure coopération entre les devises des pays membres.
Il existe des risques potentiels pour les nations africaines si le bloc des Brics devient davantage un contrepoids politique à l’influence occidentale. Ces risques sont d’ordre financier et liés au possible arrêt des financements et des programmes ou à d’éventuelles pressions sur les organisations internationales qui sont favorables au monde occidental.
En fonction des prises de position des pays africains au Conseil de sécurité, il peut y avoir aussi des menaces d’ordre géopolitique, notamment militaires. Cepen-dant, aucune de ces éventualités ne semble devoir arrêter l’engouement que suscitent des Brics en plein décollage. Le continent est devenu, dans un monde plein d’incertitudes, un réservoir immense de ressources naturelles qu’aucun pays sérieux ne peut négliger.
Magaye GAYE
Economiste
gmcconseils@gmail.com