L’Afrique doit repenser une bonne partie des  outils de gestion de son économie, hérités de la colonisation ou tout simplement adoptés par souci de standardisation avec les règles internationales. Parmi ces outils à dépoussiérer, figurent les taux d’amortissement comptables. L’amortissement est la constatation comptable de la dépréciation d’un élément d’actif, du fait en particulier de l’usure ou de l’obsolescence.
Les taux en vigueur  qui peuvent tourner autour de 25% pour le matériel et mobilier de bureau, 20% pour le matériel de transport, 10% pour les équipements industriels  et 5% pour les bâtiments et construction, répondent plus à des logiques administratives et de normalisation qu’à des impératifs économiques bien pensés et de contextualisation lié à un environnement spécifique.
Pourtant,  la dotation aux amortissements est un élément clé de la rentabilité des entreprises, de la détermination de leur capacité d’autofinancement et bien évidemment de leur capacité à investir. Bien entendu, tous ces facteurs ayant une incidence sur la croissance, l’emploi et les grands agrégats macro-économiques. Sous ce rapport, les Etats africains devraient être très attentifs à ce paramètre amortissement et l’appréhender en tenant compte aussi des contraintes inhérentes à nos économies.
Pourquoi continuons-nous encore en Afrique, d’utiliser des taux d’amortissement comptables sans aucun rapport avec notre environnement économique social et culturel ?
Pour étayer mon propos, je prends l’exemple du matériel de transport dont le taux d’amortissement comptable ou fiscal peut se situer entre 20 et 25%, soit une durée de 4 à 5 ans (copiée des pratiques internationales). Mais  aussi celui du matériel et mobilier de bureau amorti à 25% sur quatre ans.
Objectivement, ces taux sont  complètement décalés  par rapport à la pratique,  aux contraintes  économiques (faiblesse du système productif et des moyens consacrés au réinvestissement, qualité des infrastructures, attachement culturel aux biens hérités des anciens etc.). En effet :
1  L’ingéniosité de nos utilisateurs,  de nos mécaniciens, menuisiers et autres artisans dont les qualités de débrouillardise, de récupération et de recyclage sont réelles, fait que la durée d’utilisation  d’un matériel de transport en Afrique peut aller objectivement de dix voire vingt ans. Il est fort possible  de trouver dans les rues de Dakar ou de Douala, des camions Peugeot datant de 1946, des véhicules Citroën  de marque «deesse» ou des  mini camionnettes  de marque Peugeot 404 en bon état !  Au demeurant, l’essentiel du parc automobile est complètement  amorti mais continue de produire.
Quant au mobilier et matériel de bureau, on peut faire référence au  parc informatique de plus d’une dizaine d’années que l’entreprise africaine continue d’exploiter, sans oublier le mobilier présent depuis sa création et qui est toujours fonctionnel. Des biens complétement amortis mais qui ont une valeur économique, contrairement à ce que veulent indiquer les règles internationales.
Les circuits de réparation et d’entretien en vigueur sont de qualité et répondent à de solides paramètres scientifiques, sociologiques et  culturels.
2  Nos entreprises ont des difficultés de financement et par conséquent, de renouvellement de leurs investissements.  Le taux de financement des économies en Afrique est très faible et de nombreuses Pme sont quasiment exclues du système bancaire et financier. Dans ce contexte,  exiger des entreprises, pour des raisons de bonne gestion, un renouvellement de leurs immobilisations dans un délai court et inapproprié, relève d’une absence de lucidité et de vision.
3  Dans un contexte de raréfaction  de devises, mieux vaut,  au plan économique et financier,  disposer d’un solide marché secondaire, basé sur la créativité et l’innovation, soutenu par un programme efficace de renforcement de compétence,  que d’avoir à importer à coût de milliards,  des biens que notre tissu économique ne produit pas. Un modèle de  réinvestissement de biens de consommation basé sur l’importation n’est jamais pertinent sur le plan économique.
Le moment n’est-il pas venu de réinventer nos propres taux d’amortissement et de manière plus générale nos  outils spécifiques de développement conformes à nos réalités ?
Magaye  GAYE – Economiste international