Alors que Paris accueille les 38èmes Jeux Olympiques, près de 1000 athlètes africains participeront à la compétition, soit 20% de plus qu’il y a 4 ans. Alors qu’ils avaient ramené 37 médailles de Tokyo dont 11 en or, beaucoup plus -une cinquantaine- est attendu à Paris. Les athlètes africains performent aujourd’hui dans de plus en plus de disciplines autres que l’athlétisme, comme le taekwondo ou le cyclisme. Aux côtés des coureurs de demi-fond d’Afrique de l’Est (le maître kenyan Eliud Kipchoge) ou des sprinteurs comme le Botswanais Letsile Tebogo, on attendait beaucoup du triple sauteur burkinabè Hugues Fabrice Zango, du champion ivoirien de taekwondo Cheikh Cissé Sallah ou encore du cycliste érythréen Biniam Girmay. Dans les sports d’équipe tels que le basket-ball, les Bright Stars du Soudan du Sud sont arrivés à Paris en force après avoir secoué l’Equipe américaine. Il faut aussi penser à tous ces athlètes d’origine africaine qui concourent sous les drapeaux des nations occidentales. Même si certains d’entre eux sont nés et ont grandi dans ces pays, beaucoup ont récemment migré d’Afrique pour bénéficier de meilleures conditions de préparation.
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C’est en effet toujours un défi d’être un athlète de haut niveau en Afrique. Les efforts financiers du Comité international olympique ne règlent pas les problèmes structurels du sport africain, poussant la plupart des athlètes africains à quitter le continent, comme l’Ivoirienne triple championne continentale Marie-Josée Ta Lou, ou encore le détenteur du record du monde du 100 mètres haies, le Nigérian Tobi Amusan. Habituellement, ces expatriés blâment le manque d’infrastructures et de programmes de mentorat, la difficile conciliation avec la vie professionnelle et les coûts de la formation. Bien sûr, les Africains ne sont pas les seuls, à l’image du nouveau champion olympique français de natation Léon Marchand, qui s’entraîne aux Etats-Unis. Cependant, l’exil des pays africains est souvent permanent et finit par un changement de nationalité. Les performances africaines ne reflètent pas la vraie valeur du continent dans le sport mondial.
L’Afrique et le sport, c’est l’histoire d’un paradoxe : sur le continent le plus jeune du monde (70% de sa population ont moins de 30 ans), on ne pratique pas assez : 1 adulte africain sur 4 (22%) et 4 élèves sur 5 (85%) ne font pas assez de sport, et 200 000 décès annuels sont attribués à l’inactivité physique. De plus, alors que l’industrie mondiale du sport connaît une croissance rapide, une enquête récente a révélé qu’une grande majorité des parties prenantes de l’industrie ont noté que le secteur était «sous-développé» avec des déficits en matière de données, de stratégie publique et de mobilisation des investisseurs privés.
Pour changer la donne, il est crucial de comprendre que le sport n’est pas seulement un passe-temps ou une pratique physique. Il est aussi un outil de développement, une opportunité d’affaires et un «soft power».
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Reconnu comme un catalyseur essentiel du développement durable par l’Agenda 2030 des Nations unies, le sport est considéré comme capable d’atteindre au moins 8 des 17 objectifs de développement durable : l’éradication de la pauvreté et de la famine, l’éducation pour tous, le soutien aux victimes de catastrophes ou de situations d’urgence, la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre les maladies. Au-delà des déclarations d’intention, le sport est une politique publique façonnée par l’Unesco, cheffe de file des Nations unies pour l’éducation physique et le sport. Avec son initiative phare «Fit for Life (F4L)», une alliance globale visant à mobiliser le financement du sport au service du développement, l’Unesco cible des axes prioritaires autour de la jeunesse, du genre, de la diversité culturelle, des sports et jeux traditionnels, des valeurs, de l’éducation et de l’emploi. Le sport est également un des objectifs de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et de son Conseil des sports.
L’importance du sport en tant qu’outil de développement a cependant fait l’objet d’une reconnaissance tardive. Tout a commencé en 2014 avec l’Agenda olympique 2020, qui encourage les villes à inclure le développement économique et humain dans l’organisation des Jeux Olympiques. De plus en plus de grands événements sportifs doivent être respectueux du climat (via les infrastructures) et axés sur les droits humains, notamment en termes d’égalité des sexes, de droits des enfants et de droits des travailleurs. Des normes de sécurité à la liberté de la presse, le sport se veut plus humaniste. Des Jeux Olympiques et paralympiques d’été de 2008 à Pékin à la Coupe du monde de la Fifa au Qatar, les communautés de défense des droits de l’Homme se mobilisent de plus en plus sur la question des droits de l’Homme, poussant les organisations sportives à adopter des politiques plus offensives, à l’instar de la stratégie de la Fifa en matière de droits de l’Homme, adoptée en 2017. Dans le processus de sélection des villes hôtes de la Coupe du monde 2026 finalement attribuée au Canada, au Mexique et aux Etats-Unis, la Fifa a inclus pour la première fois la question des droits humains. Ces principes résonneront fortement en Egypte si le pays est sélectionné pour organiser les Jeux Olympiques d’été de 2036, comme hier en Afrique du Sud, le seul pays africain à avoir accueilli un méga événement sportif, la Coupe du monde de football en 2010.
Avec des milliards de revenus, davantage d’infrastructures et de visiteurs, l’Afrique du Sud a également prouvé que le sport peut être une opportunité commerciale. Bien sûr, le sport n’a jamais développé un pays à lui seul, mais il peut être, combiné à un marché dynamique, un secteur viable d’exportation. Avec 512 milliards de dollars en 2023, l’industrie du sport devrait atteindre 624 milliards de dollars en 2027. En Afrique, si la contribution du sport dans le Pib africain est plus limitée (0, 5%) qu’ailleurs (2%), le marché est l’un des plus dynamiques avec une croissance annuelle de 8% sur les prochaines années. Il a déjà atteint 12 milliards de dollars et pourrait atteindre plus de 20 milliards de dollars d’ici 2035. L’arrivée de la Nba en Afrique avec la Basketball Africa League (Bal) représente une première reconnaissance. Avec une classe moyenne africaine estimée à 1, 1 milliard de personnes d’ici 2050, le continent, de plus en plus urbanisé et connecté, est un marché de premier plan pour l’expansion d’une industrie sportive locale, ce qui laisse augurer que les talents africains n’auront plus à quitter leur pays pour réussir. Il ne fait aucun doute que les grands événements sportifs à venir sur le continent susciteront un intérêt économique de plus en plus marqué, à l’instar du Sénégal qui organisera les Jeux Olympiques de la Jeunesse en 2026 et le Maroc qui coorganisera la Coupe du monde de football en 2030.
Toutefois, l’Afrique demeure le seul continent à n’avoir jamais accueilli les Jeux Olympiques depuis leur lancement en 1896. Il a même fallu attendre 1904 pour voir des participants africains, avec deux coureurs sud-africains, Len Tau et Jan Mashiani, aux Jeux Olympiques de Saint-Louis, et 1960 avec les Jeux Olympiques de Rome pour voir une première victoire africaine, l’Ethiopien Abebe Bikila, la médaille d’or pieds nus. Depuis lors, le Kenya, l’Ethiopie et l’Afrique du Sud ont été les grandes nations africaines des Jeux Olympiques.
Le nombre limité de nations africaines olympiques n’est pas surprenant. Pour être en mesure de rivaliser avec les meilleurs et retenir ses talents, l’Afrique a besoin d’un programme plus solide, qui couvre toutes les dimensions du sport, de l’école aux équipes nationales.
D’abord, il est indispensable d’inclure le sport dans les systèmes éducatifs et d’en faire même un outil éducatif innovant. La relance du sport scolaire suppose de disposer de fédérations scolaires capables d’organiser des compétitions sportives régulières au sein des ligues locales, aux niveaux élémentaire, moyen et secondaire. Parce que l’excellence sportive peut mener à l’excellence scolaire, le sport est aussi susceptible de soutenir l’effort de scolarisation, notamment en conditionnant toute subvention aux centres de formation à la scolarisation obligatoire des jeunes athlètes.
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Bien évidemment, la question du développement des infrastructures sportives au sein même des établissements scolaires est cruciale. Les infrastructures sont également un outil pertinent de correction des inégalités régionales en permettant aux populations des quartiers urbains ou des zones rurales d’en bénéficier. Il est aussi pertinent de mobiliser le sport comme outil de lutte contre les inégalités de genre : il est en effet bien connu que la pratique sportive retarde l’entrée en conjugalité des filles africaines.
Au-delà de ces aspects, c’est tout le financement du sport africain, encore trop dépendant des Etats, qui doit être repensé afin de mieux inclure le secteur privé. L’Etat, quant à lui, serait appelé à favoriser les investissements grâce à un cadre fiscal et réglementaire plus adapté. Concernant le haut niveau, plutôt que d’abandonner les sportifs à eux-mêmes, la création d’un centre national de formation, à l’image de l’Insep français, permettrait aux athlètes de bénéficier de conditions de préparation plus favorables.
Les clubs étrangers, qui continueraient à accueillir les plus grands athlètes africains, pourraient être appelés à soutenir le développement du sport africain par une contribution financière plus conséquente. Parce que tout le monde ne peut être Victor Wembanyama ou Prince Tega Wanogho, ces fonds pourraient alors être utilisés pour la formation aux autres métiers du sport (publicité, médecine du sport, journalisme, fitness, etc.).
Bien structuré, le sport est un outil puissant de soft power, comme le prouvent la rivalité entre les Etats-Unis et l’Urss, l’instrumentalisation du sport par la Chine lors des Jeux Olympiques de 2008 ou encore les grandes aspirations de pays comme l’Arabie Saoudite.
En Afrique, les Jeux Olympiques ont toujours été l’occasion pour les pays africains de parler plus fort que dans les enceintes de l’Onu. Par exemple, ils ont boycotté les Jeux Olympiques de Montréal en 1976 pour protester contre la présence des All Blacks de Nouvelle-Zélande, de retour d’une tournée en Afrique du Sud, un pays banni des Jeux Olympiques en raison de sa politique d’apartheid. Aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, pour célébrer le retour de l’Afrique du Sud, les finalistes du 10 000 mètres, l’Ethiopienne Derartu Tulu et la Sud-Africaine Elana Meyer, se sont serrées dans les bras.
Au-delà des Jeux Olympiques, l’Afrique a accueilli certains des événements les plus puissants de l’histoire du sport tels que «The Rumble in the Jungle», ce match de boxe emblématique entre George Foreman et Muhammad Ali, le 30 octobre 1974, au Zaïre, ou plus récemment, la démonstration d’unité sous le slogan «Une équipe, un pays» orchestrée par le Président Nelson Mandela lors de la Coupe du monde de rugby le 24 juin 1995 au Stade Ellis Park de Johannesburg, alors que l’Afrique du Sud célébrait son premier grand événement sportif depuis la fin du régime de l’apartheid.
Les enjeux uniques autour du sport en font un enjeu géopolitique majeur que les décideurs devraient intégrer dans leur politique étrangère, que ce soit au niveau bilatéral comme au niveau multilatéral. Sur le continent qui abrite la jeunesse du monde, il est, plus qu’ailleurs, le symbole de l’élan vital d’un Peuple déjà engagé dans le siècle qui vient.
Par Rama YADE
Directrice Afrique
Atlantic Council
Ancienne Ministre des Sports en France