L’Afrique n’a pas de leçons à recevoir : Un cri de dignité et de souveraineté

Dans un récent discours, Emmanuel Macron, président de la République française, a une fois de plus exprimé des propos empreints de paternalisme à l’égard des nations africaines. Il a affirmé qu’«aucun pays africain ne serait souverain aujourd’hui si la France ne s’était pas déployée». Ces mots, perçus comme condescendants, heurtent profondément la mémoire et la dignité d’un continent qui a combattu pour sa liberté et sa justice, non seulement pour lui-même, mais aussi pour des nations européennes, notamment la France.
Nous, Africains, ne pouvons rester silencieux face à de tels propos. De Cheikh Anta Diop à Aimé Césaire, en passant par Sékou Touré, Cheikh Ahmadou Bamba, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Abdoulaye Wade et tant d’autres figures panafricaines, notre histoire regorge de leçons de dignité, de souveraineté et de résistance. L’émancipation d’un peuple ne découle jamais de la générosité d’un autre, mais de ses propres luttes, sacrifices et de sa volonté inébranlable de se tenir debout, libre et maître de son destin.
Un rappel historique : La contribution africaine au salut de la France
Il est impératif de rappeler que sans les soldats africains -souvent arrachés à leurs terres, maltraités et déconsidérés-, la France elle-même ne serait peut-être pas souveraine aujourd’hui. Comme l’a souligné le Pm Ousmane Sonko, ces soldats, parfois mobilisés de force, ont combattu lors des deux guerres mondiales sous des drapeaux européens pour une cause qui n’était pas la leur. Ahmadou Kourouma, dans Allah n’est pas obligé, a décrit avec brio cette exploitation des Africains, qui ont versé leur sang pour une liberté qui leur fut refusée chez eux, pendant que les colons continuaient de les opprimer.
Comment la France peut-elle aujourd’hui prétendre avoir «sauvé» l’Afrique alors qu’elle a largement contribué à son exploitation et à sa domination économique, culturelle et politique ? Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, dénonçait déjà cette hypocrisie, exposant les crimes coloniaux et les mécanismes de domination qui, sous des formes modernes, continuent de peser sur les relations entre l’Afrique et l’Europe.
Cheikh Anta Diop et le mythe de la dépendance africaine
Cheikh Anta Diop, l’un des plus grands penseurs africains du XXe siècle, a brillamment déconstruit l’idée selon laquelle l’Afrique serait incapable de se gouverner sans l’aide de l’Occident. Ses recherches montrent que l’Afrique ancienne, notamment à travers des civilisations comme l’Egypte pharaonique, était un berceau de savoirs et de gouvernance sophistiquée. Cette fierté historique doit servir de socle pour une Afrique unie et souveraine.
Les propos de Macron renforcent un mythe dangereux : celui d’une Afrique perpétuellement dépendante de la «bonté» européenne. Pourtant, des figures comme Lat Dior ou Sékou Touré ont prouvé par leurs actes que l’Afrique pouvait dire «Non». Sékou Touré, en particulier, s’est illustré par son refus du diktat français en 1958, affirmant : «Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage.»
Oui à la coopération, non au paternalisme
Personne ne rejette l’idée d’une coopération équitable entre l’Afrique et la France. Cheikh Ahmadou Bamba, dans son enseignement spirituel, prônait le respect mutuel et la justice comme fondements des relations humaines. Il croyait en la dignité intrinsèque de chaque être humain, indépendamment de son origine ou de sa position sociale. Bien qu’exilé et persécuté par l’administration coloniale française, il a toujours prôné une résistance non violente et dénoncé l’injustice sous toutes ses formes.
Cependant, la coopération ne peut être unilatérale, déséquilibrée ou paternaliste. La France doit comprendre que le temps où elle pouvait se positionner comme «maîtresse» ou «sauveuse» de l’Afrique est révolu.
L’heure d’une renaissance africaine
Le Président Abdoulaye Wade, malgré les critiques qu’il a pu essuyer, a souvent plaidé pour une Afrique autonome et forte dans ses choix. Il voyait dans des projets comme le Monument de la Renaissance africaine un moyen de rappeler aux Africains leur histoire glorieuse et leur potentiel. Bien que controversé, ce monument symbolise l’unité, la résilience et la fierté africaines.
Le panafricanisme, porté par des leaders comme Kwame Nkrumah, Thomas Sankara et Patrice Lumumba, reste plus que jamais d’actualité. Ces figures rappellent que l’Afrique n’a pas besoin de maîtres, mais de partenaires respectueux. La souveraineté africaine ne se négocie pas ; elle s’exige et se défend.
Aujourd’hui, les Africains doivent continuer à s’inspirer de ces figures pour construire un continent où la jeunesse, les ressources naturelles et les talents sont mobilisés au service de leur propre développement. Les propos de Macron, bien qu’inacceptables, doivent être l’occasion de réaffirmer notre dignité et de renforcer notre engagement envers un panafricanisme authentique et opérationnel.
La voix de l’Afrique, forte et digne
L’Afrique ne demande pas de leçons, encore moins de tutelle. Elle exige du respect, de la reconnaissance et une coopération équitable. Le temps des discours paternalistes est révolu. A Emmanuel Macron et à ceux qui partagent cette vision dépassée, nous répondons par les paroles de Aimé Césaire : «Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.»
L’Afrique n’a pas besoin de sauveurs. Elle a besoin de partenaires.
Moustapha SENE – Moustapha.sene@dauphine.eu