Laissez les journalistes travailler sans entrave !

Tous les gouvernements, toutes les nations du monde sont mobilisés pour vaincre la pandémie du coronavirus. Pour parer au plus pressé et pour tenter de sauver le monde, la plupart des gouvernements des Etats ont décidé de mesures de confinement ou de restriction des déplacements des populations. L’objectif légitime est de contenir la chaîne de transmission du virus. Ces mesures sont à observer strictement par tout le monde. Il reste que les professionnels des médias, à l’instar des professionnels du secteur de la Santé, demeurent les plus concernés. En effet, il nous est difficile, du fait de la nature de notre mission, de rester totalement confinés. Les journalistes sont astreints au devoir de rechercher les éléments d’informations afin de mieux sensibiliser le public sur les mesures et les attitudes pertinentes dans une telle situation de péril. La guerre mondiale contre le coronavirus ne pourrait être gagnée par les humains sans l’engagement massif et soutenu des acteurs des médias.
Les journalistes sénégalais ont pris la mesure de la situation et se sont fortement impliqués pour sensibiliser le public, informer sur les bonnes pratiques et tenir la population en alerte quant à l’évolution de la maladie. Ce rôle est irremplaçable. Il est heureux que le Président Macky Sall l’ait compris pour saluer leur contribution et exhorter, dans son adresse à la Nation du 24 mars 2020, les journalistes à prendre leur place fondamentale et déterminante dans la lutte contre la nouvelle pandémie. Il a salué l’engagement des journalistes. Seulement, dans la mise en œuvre des décisions, on va encore déplorer l’incohérence du gouvernement du Sénégal.
En effet, la liste exhaustive dressée par le ministre de l’Intérieur, des personnes autorisées à circuler aux heures du couvre-feu, omet les journalistes. Un anachronisme incompréhensible. Dans tous les autres pays du monde où des mesures de confinement ou de couvre-feu ont été prises, les professionnels des médias ont été autorisés à circuler, munis de leur carte professionnelle ou d’une attestation professionnelle délivrée par l’employeur. J’ai personnellement consulté le réseau de l’Union internationale de la presse francophone, pour savoir comment s’organisent les déplacements des journalistes dans les différents pays ayant décidé de confinement général de la population ou de couvre-feu. Les réponses parvenues sont unanimes, venant de France, de Tunisie, de Monaco, du Maroc, de Mauritanie, de Madagascar, d’Albanie, d’Italie, du Burkina, du Rwanda, où «tous les métiers liés à l’information, la communication et les médias continuent leurs activités sans encombre». Les journalistes sont logés à la même enseigne que les professionnels de la santé et les éléments des forces de sécurité. Les journalistes n’ont besoin de présenter aux postes de contrôles que leur carte professionnelle ou l’attestation délivrée par l’employeur. Il n’est pas sûr que tous ces pays soient plus regardants que le Sénégal sur les droits et libertés des journalistes.
Quelle est la situation au Sénégal ? Il aura fallu que les médias se rapprochent de leur ministère de tutelle, en l’occurrence le ministère de la Culture et de la communication, pour s’entendre dire, au premier jour de l’application du couvre-feu, qu’aucune disposition n’était encore prise concernant la circulation des journalistes et que le gouvernement fera savoir la conduite à tenir. Quelques heures plus tard, un communiqué informera que les professionnels des médias pourront circuler pendant 48 heures, sur présentation de la carte de presse délivrée par l’employeur. Il y a à souligner que le Sénégal n’a pas encore mis en circulation une carte nationale de presse. Ainsi, à l’expiration du délai, les organes de presse devraient déposer une liste de personnels au niveau de la Préfecture. Des responsables de médias ont eu à se rendre auprès de la Préfecture de Dakar, dans la journée d’hier, pour se voir indiquer que tous les journalistes désireux de circuler, pour des raisons professionnelles aux heures de couvre-feu, auront à faire une demande manuscrite à déposer à la préfecture. Naturellement, les journalistes ont rétorqué que cette procédure lourde et trop bureaucratique constituerait une aberration. La préfecture a alors proposé de remplir un formulaire signé par chaque journaliste pour espérer être autorisé à circuler aux heures de couvre-feu. Les journalistes vont se conformer à cette procédure, on ne peut plus tatillonne. Il est à rappeler qu’en 1988, le régime du président Abdou Diouf, qui ne pouvait pas se vanter d’autant d’acquis que sous le Président Macky Sall, en matière de démocratie et de libertés des médias, laissait les journalistes circuler avec leur carte professionnelle-maison aux heures de couvre-feu, dans un contexte d’émeutes, de batailles rangées et de violences urbaines. Au demeurant, qu’est-ce qui est plus simple, efficace et pratique, que les cartes de presse que le ministère de l’Intérieur et même la présidence de la République acceptent tous les jours ? Ce n’est pas maintenant, dans cette situation de crise et d’urgence, que le gouvernement de Macky Sall chercherait un moyen détourné pour mettre de l’ordre dans les médias. Si tant est que le gouvernement voudrait savoir qui est journaliste et qui a la latitude d’exercer ce métier, il avait tout le temps pour le faire et pourra aussi le faire après cette crise. Comme pour en rajouter aux incohérences et absurdités, dans la soirée d’hier, le ministre de l’Intérieur a eu à rectifier son arrêté, pour ajouter les avocats, les notaires, les huissiers et les commissaires-priseurs, à la liste des personnes autorisées à circuler aux heures de couvre-feu. On peut bien se demander en quoi ces catégories professionnelles seraient plus nécessaires que les médias dans la lutte contre la pandémie ? Levons les entraves faites contre les médias pour nous mettre ensemble pour juguler le Covid-19. Il n’y a point un autre combat qui vaille en ces temps de péril !