Nouvellement installé comme président de la République, Donald Trump ne s’ennuie vraiment pas à la Maison Blanche. Les premiers décrets qu’il a pris sont en droite ligne de ses engagements électoraux. Ainsi, les Usa sont sortis de l’Accord de Paris sur l’environnement, de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), et ont décrété la fin du wokisme, désormais le gouvernement américain ne reconnaît que deux genres : homme et femme. Trump a également restreint la citoyenneté de naissance, c’est-à-dire qu’une personne née sur le territoire américain n’aura plus forcément la nationalité américaine par le droit du sol.
Mais la décision qui impacte le plus le Sénégal est la suspension provisoire de l’intégralité des aides de développement américaines aux pays considérés comme pauvres, principalement de l’Afrique. C’est-à-dire la suspension des projets essentiellement financés par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid). En effet, tel qu’il l’a promis, le Président américain entame le démantèlement de l’une des plus célèbres agences dans le dessein de recentrage sur l’Amérique et les Américains. Il a toujours souhaité que l’argent des contribuables ne soit pas gaspillé dans des pays qui, selon lui, ne rendent rien en retour. Le milliardaire Elon Musk, bras armé de Trump, l’homme qui n’est arrivé aux Etats-Unis qu’à l’âge de 24 ans, est allé jusqu’à qualifier l’Usaid d’«organisation criminelle», déclarant : «Il est temps qu’elle disparaisse.» Donald Trump a qualifié les membres de l’agence de «radicaux lunatiques».

L’ «obligation morale» de Kennedy, c’est «jeter de l’argent» pour Trump
Faut-il le rappeler, l’agence américaine existe depuis novembre 1961. Elle est créée par le Président John F. Kennedy, avec comme objectif de projeter l’influence américaine, stabiliser les alliés et contrer la propagation du communisme par l’aide économique et humanitaire. Kennedy, dans son message au Congrès sur l’aide étrangère, avait présenté cet effort comme une nécessité stratégique, et non comme un simple acte de charité : «Nous ne pouvons échapper à nos obligations : nos obligations morales en tant que leader éclairé et bon voisin dans la communauté interdépendante des nations libres ; nos obligations économiques en tant que peuple le plus riche dans un monde largement pauvre ; et nos obligations politiques en tant que principal contrepoids aux adversaires de la liberté. Ne pas les respecter maintenant serait désastreux ; et, à long terme, plus coûteux.» Aujourd’hui, plus de 60 ans après, Trump semble dire qu’aider les pays pauvres, c’est jeter de l’argent par la fenêtre.
L’idée que les Etats-Unis jettent des milliards à des nations ingrates est une vision très simpliste. Car derrière l’écume des vagues, cet argument ne résiste pas. En effet, l’aide étrangère n’est pas un acte de charité ; c’est une transaction commerciale, un outil diplomatique et une stratégie économique. Elle profite bien plus au donateur qu’au bénéficiaire. Ainsi, les pays recevant de l’aide américaine sont bien plus enclins à soutenir les politiques des Etats-Unis dans les forums internationaux, à accorder un accès militaire et à signer des accords commerciaux avantageux. En Afrique, par exemple, les programmes de l’Usaid sont souvent assortis de conditions plus ou moins explicites (s’aligner sur Washington lors de votes-clés aux Nations unies, accepter certains partenariats militaires ou ouvrir leurs marchés aux entreprises américaines). Sous Wade, le Sénégal, qui a ratifié le Statut de Rome (reconnaissance de la Cpi), a signé un accord de non-extradition. Le problème, c’est que les citoyens ordinaires des pays donateurs, y compris les Etats-Unis, ne perçoivent que rarement comment ce système enrichit leur propre économie, soutient leurs industries et étend l’influence mondiale de leur pays.
C’est clair qu’en coupant leur aide, les Américains, qui pensent «économiser de l’argent», affaiblissent leur capacité à influencer les événements mondiaux, laissant le champ libre à des concurrents (Chine, Russie, Turquie, pays du Golfe) qui, eux, ont bien compris la véritable valeur du pouvoir économique. Au-delà de la diplomatie, l’aide étrangère est un acteur-clé du commerce international. Une grande partie de l’argent alloué par l’Usaid ne quitte jamais le sol américain. Il finance plutôt des industries américaines qui fournissent de la nourriture, des médicaments et des infrastructures aux nations en développement. Pour l’aide alimentaire, le programme «Food for Peace» fait don de ses surplus agricoles à des pays étrangers. C’est une façon bien indirecte de soutenir les agriculteurs américains, car les excédents de blé, de produits laitiers et d’autres denrées sont achetés chez les agriculteurs puis envoyés à l’étranger sous forme de don. Cela garantit la rentabilité des exploitations agricoles tout en inondant les marchés étrangers de produits américains.

L’aide maintient des milliers d’emplois américains
Il en est de même du domaine de la santé, où une part importante de l’aide sanitaire américaine finance des entreprises pharmaceutiques qui fabriquent et distribuent des vaccins, des traitements antipaludéens et d’autres médicaments. L’aide suspendue de l’Usaid dans le domaine de la santé va certainement rendre nos populations vulnérables, mais elle va aussi nuire aux entreprises américaines qui dépendent des contrats signés avec le gouvernement américain.
L’aide étrangère est aussi un des moteurs de l’emploi aux Etats-Unis. Le budget de l’Usaid finance un vaste écosystème d’Ong, de sous-traitants privés et de fonctionnaires chargés de concevoir, mettre en œuvre et surveiller les programmes d’aide. Ces emplois bien rémunérés concernent des ingénieurs, des analystes politiques, des professionnels de la santé et des spécialistes du développement. A titre d’illustration, le Plan d’urgence américain pour la lutte contre le Sida (Pepfar), qui a investi plus de 100 milliards de dollars pour combattre le Vih/Sida dans le monde. Ce programme a certes sauvé des millions de vies, mais il a aussi maintenu en activité des milliers d’emplois dans la santé publique, la logistique et la gestion des chaînes d’approvisionnement. L’aide étrangère n’est pas un acte de charité ; c’est une stratégie économique et politique. Plus vite les Américains comprendront cela, plus vite ils verront que démanteler l’Usaid n’est pas une victoire, c’est une perte pour l’Amérique elle-même.
Une illustration encore plus forte pourrait en venir de la Colombie, pays du sous-continent américain. Pour lutter contre la culture de la coca, plante dont est dérivée la cocaïne, les Etats-Unis, à travers différents programmes financés à travers l’Usaid, investissent plus de 400 millions de francs Cfa pour détourner les paysans de cette culture qui est à la base de la floraison des cartels de la drogue. Si le gouvernement américain investit autant de moyens, ce n’est pas seulement pour soutenir les pauvres colombiens. C’est surtout parce que les jeunes et dynamiques compatriotes de Trump sont les premiers consommateurs et les principales victimes des méfaits de la cocaïne. Abandonner la lutte contre cette drogue pourrait porter préjudice aux Colombiens, mais tuerait encore plus d’Américains.

Au Sénégal, notre duo fuit ses responsabilités et rejette toujours la faute sur l’ancien régime
Quoique personnalité hors norme et pleine d’excentricités, Donald Trump s’inscrit dans la logique de ce qui est appelée «America first», une idéologie déjà développée il y a plus de 100 ans par le «Ku Klux Klan», relancée par le candidat malheureux Pat Buchanan en 1992. «Quatre formidables années nous attendent, nous allons redresser notre pays, ça va être vraiment quelque chose de spécial. Notre pays avait perdu ce qui le rendait spécial et on va rendre notre vie spéciale. C’est le plus grand, le meilleur pays au monde, et de loin. Nous allons retrouver sa grandeur.» Voilà ce que disait Trump après les élections Us.
Il faut dire que le Président américain est quelqu’un qui ne se plaint pas, qui ne se lamente pas, mais qui donne de l’espoir et de la fierté aux Américains. Il est à l’opposé de nos gouvernants au Sénégal, qui se distinguent par des discours alarmistes (Sonko) ou défaitistes (Diomaye). Trump est prêt à assumer son rôle de chef de guerre. Au Sénégal, notre duo fuit ses responsabilités et rejette toujours la faute sur l’ancien régime à cause de son incompétence. Trump ne parle pas beaucoup, notre duo est beaucoup trop versé dans les effets d’annonce. Trump fait ce qu’il dit. Aussitôt aux commandes, il met en œuvre son programme, tandis que chez nous le nouveau pouvoir se cherche, et est en train de s’engluer dans une dynamique de règlement de comptes avec des hommes d’affaires (Khadim Ba, Samuel Sarr) ou avec des acteurs politiques (Farba Ngom, Lat Diop, et peut-être demain Amadou Ba). «Si nous avons la majorité à l’Assemblée nationale, la loi criminalisant l’homosexualité sera l’une des premières que je ferai voter», disait Ousmane Sonko dans une série de tweets. Jusqu’à présent, personne ne voit ce projet de loi.
Quelque part, c’est normal : Trump était un vrai businessman avant de faire de la politique, même si son côté bourrin fait défaut. Au Sénégal, notre duo, à part être confortablement assis derrière un bureau en train d’encaisser des fonds communs et se partager le foncier le plus stratégique de Dakar, n’a jamais dépassé le niveau de chef de service et ne doit sa propulsion qu’en politisant un fait divers qui a causé des morts. Notre duo n’a jamais rien fait pour son pays. Il n’a participé à aucun combat pour la justice ou la démocratie, il n’a jamais investi au Sénégal, il n’a jamais créé des emplois.

Quelle souveraineté voulons-nous réellement pour le Sénégal ?
La seule chose que notre duo a en commun avec Trump, c’est leur comportement face à leurs déboires judiciaires. Trump et Sonko, dans leur logique populiste implacable, «ne sont coupables de rien et sont victimes de tout le monde. Tout le «système» est mis en place pour freiner leur montée politique et les combattre par l’usage détourné des lois. Au Sénégal, ce scénario a été éprouvé pendant trois années de procédures judiciaires qui ont visé un homme dont l’irresponsabilité n’a pas de limite. Si Marine Le Pen, par exemple, fait l’objet d’accusations concernant l’usage de fonds publics au préjudice de l’Europe, notre bonhomme, lui, a été sous le coup d’affaires toutes privées.» (Hamidou Anne)
Le nouveau positionnement américain devrait nous amener à poser les bonnes questions : quelle souveraineté voulons-nous réellement pour le Sénégal ? Une indépendance totale, assumant les sacrifices qu’elle implique, ou une souveraineté partielle qui tolère certaines dépendances stratégiques ? Il est temps d’unir toutes les forces souverainistes du pays autour de principes clairs et cohérents. La souveraineté ne doit pas être une posture de circonstance, mais un projet réfléchi et assumé. La suppression de l’aide américaine ou de toute autre aide ne doit pas être vue comme un problème, mais comme une opportunité historique. L’opportunité de démontrer que nous sommes capables de prendre notre destin en main, de mobiliser nos richesses et nos talents, et de faire du Sénégal une Nation véritablement souveraine.
Par Bachir FOFANA