Ils sont rares, les pays qui ont pu atteindre l’émergence en se servant d’une langue étrangère. Pourtant, le Sénégal continue d’utiliser la langue d’autrui, donc la civilisation étrangère, pour prétendre être émergent. Face à cela, loin d’être des nationalistes au sens étroit du terme, des personnes se battent pour l’enseignement du wolof dans l’école de la République. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la publication du livre «Yaayu cééx yi» aux éditions Papyrus. Ce conte éduque et invite à la réappropriation de la langue pour conserver notre identité.
La 3ème édition du Ndaajé ak binde kaat (rencontre avec l’auteur, en wolof) tenue à Jokkolabs a été samedi passé le point de convergence des défenseurs de la langue wolof. L’auteur Jeewo Guèye présentait son livre Yaayu cééx yi (la mère des jumeaux, en wolof) paru aux éditions Papyrus Afrique. Ce livre de poche est en réalité un conte destiné aux enfants.
C’est l’histoire d’un roi qui ne vit que pour sa 2ème femme, entraînant ainsi tout le royaume à se liguer contre sa première. Une situation qu’accepte la première sans broncher. Elle qui avait l’habitude de se faire bichonner par les serviteurs du roi se retrouve à s’occuper des chevaux et à labourer les champs du royaume. C’est sa coépouse qui avait exigé du roi qu’il punisse sa première femme parce qu’elle n’avait pas la capacité de lui donner un successeur. Elle, non plus, n’a pu atteindre cet objectif.
En sortant de la cour du roi pour rejoindre l’écurie devenue sa chambre, la première épouse était enceinte et l’avait caché. Elle ne s’est jamais plainte de ses nouvelles conditions de vie. Elle s’occupait avec passion des chevaux et labourait les champs avec une dextérité impressionnante, malgré son état de santé. Elle ne mangeait pas à sa faim et ne prenait pas de douche parce qu’en étant privée. En résumé, elle est passée de reine adulée à une boniche salle et méprisée. Sa grossesse arrivée à terme, elle met au monde des jumeaux sous un arbre, sans assistance. Ayant peur qu’on lui vole ses enfants, elle les met dans un trou et part leur chercher à manger. A son retour, elle s’aperçoit que ses enfants ont disparu. En réalité, c’est un serpent qui les a emportés, guidé par la peur qu’une personne fasse du mal aux nouveau-nés. Le serpent va les élever jusqu’à l’âge d’adulte.
Devenus des hommes, les deux princes entreprennent un voyage pour retrouver leur mère. Ils étaient tellement élégants que toute femme voulait être leur mère. En quittant leur famille adoptive, les deux princes savaient qu’ils étaient nés sous un arbre appelé karajuwo. Avec cette indication, ils demandaient à toutes les femmes qui prétendaient être leur mère leur lieu de naissance. Et aucune des prétendantes n’a su donner la bonne réponse. C’est ainsi qu’ils ont parcouru tout le royaume sans trouver leur mère, jusqu’au jour où une personne a demandé au roi de faire revenir sa première femme pour savoir. Une fois la première épouse du roi sur les lieux, la magie opéra. Dès que les princes ont aperçu la dame, un frisson parcourt leur corps, sans même poser la fameuse question. Une fois faite, la première épouse prononce le nom de l’arbre. Personne n’en revenait : comment cette boniche pouvait-elle être la mère de ces deux vaillants hommes ? Le roi qui n’était obnubilé que par sa succession n’aura aucun scrupule à remplacer sa 2ème épouse par la première dans l’écurie et les champs. Comment la vie se fera dans le royaume ? Quel sera le sort de la seconde épouse ? Comment vont se comporter les princes avec ceux qui ont marginalisé leur mère ? Voilà autant de questions dont le lecteur va chercher les réponses dans Yaayu cééx yi, un livre entièrement écrit en wolof et disponible dans toutes les librairies ou presqu’au Sénégal.
Derrière cette histoire et sa morale se cache un combat noble : comment dans cette mondialisation galopante et outrancière conserver notre identité ? Pour cette ancienne assistante de direction, la réponse est toute simple : «Il faut revenir à la source.» Mais utiliser le livre qu’on sait bousculé par l’avènement des technologies de l’information et de la communication peut paraître un peu paradoxal. Jeewo Guèye, elle, y croit fermement. «Même si la lecture n’est plus ce qu’elle a été, il faut l’adopter à côté des Tic. Il faut pouvoir faire revenir le conte dans une forme moderne et se positionner dans la guerre des contenus sur le net.» Pour celle qui s’est fait aider dans cette entreprise par le Professeur Amsatou Sow Sidibé, l’usage de la langue wolof est le meilleur outil pour l’éducation des enfants. Aussi plaide-t-elle pour l’enseignement de cette langue dans l’école de la République. Un combat qu’elle compte mener en n’écrivant désormais qu’en wolof.
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