L’apologie d’un Conseil constitutionnel inclusif : Pour le retour des professeurs de Droit et l’entrée des anciens présidents de la République

La composition du Conseil constitutionnel sénégalais n’est souvent évoquée que lorsqu’une nouvelle nomination est effectuée dans le cadre d’un renouvèlement, soit après la fin de mandat, soit lorsque le décès d’un membre survient.
C’est un sujet qui fait également couler beaucoup d’encre et de salive si la représentation n’est pas équilibrée, comme on y a assisté récemment avec l’absence de professeur de Droit dans l’effectif des Sages.
Il s’agit dans cette contribution d’aborder la problématique de la constitution du Conseil sous le prisme de la constatation (I), mais également prospectif en suggérant, et ce point forge à certains égards le cœur de cette réflexion, l’institutionnalisation des membres de droit (II).
I. Contre une judiciarisation du Conseil constitutionnel
Commençons par l’absence de diversité qui règne au Conseil constitutionnel. Rien d’étonnant qu’une juridiction soit composée de magistrats ayant, c’est un truisme de le rappeler, une formation judiciaire certaine. Mais, une telle configuration dans laquelle on ne retrouve que des «puristes», peut interpeller, et ce, à juste raison lorsqu’elle touche une juridiction chargée de trancher les litiges liés au manquement avec la Constitution,
Dans sa formation, une instance constitutionnelle doit éviter la sur-représentation. Elle doit plutôt être diversifiée. Qu’il y ait, entre autres, des professeurs de Droit, magistrats, avocats ou pourquoi pas des membres appartenant à des domaines peu ou prou politiques, ou encore le milieu syndical.
Cette démarche est pour le moins observable dans plusieurs pays qui constituent vraisemblablement des modèles en termes de justice constitutionnelle. En France par exemple, le Conseil constitutionnel a longtemps abrité des médecins, des sociologues, des enseignants, des hommes de lettres, des politiques. Cela n’a véritablement pas, même s’il faut reconnaître quelques critiques marginales, remis en cause sa nature juridictionnelle. Dans d’autres juridictions constitutionnelles, à l’instar des Etats-Unis, les juristes qui y siègent, ceux y ayant siégé, ont pour la plupart eu à exercer des fonctions politiques au cours de leur carrière. Le Japon également s’illustre dans cette lignée de juridictions à la composition non forcément marquée par le sceau de l’exclusivité juriste. L’Arménie, la Turquie, le Liechtenstein peuvent être cités pour compléter les exemples de juridictions à la formation très variée.
Il va donc sans dire que le Conseil constitutionnel sénégalais gagnerait à s’ouvrir pendant ses renouvellements afin de se départir d’un corporatisme utilitaire, mais aussi favoriser une interprétation plus diversifiée de la Constitution. Ne pas enfermer celle-ci dans un juridisme inextricable et éluder, ce faisant, une spécialisation trop poussée de ce qui semble être un pacte entre gouvernants et gouvernés.
L’article 4 de la loi organique du 14 juillet 2016 énumère très clairement les potentiels membres de la rue Saint-Jean. Il s’agit des magistrats figurant dans des catégories spécifiques, des professeurs titulaires de Droit, des inspecteurs généraux d’Etat et des avocats. Il est impératif d’avoir, toujours au sens de la disposition précitée, une ancienneté de 20 ans dans la Fonction publique ou le même nombre d’années dans la pratique pour les professionnels. Ceux-ci qu’ils soient en activité ou à la retraite.
Malgré la représentation des différents corps (magistrats en surnombre, avocats et inspecteurs généraux d’Etat), exception est faite à celui des professeurs de Droit. Lors du dernier renouvèlement, cette absence n’a pas tardé à être remarquée. Cependant, certains professeurs, par presse interposée, ont promptement réagi pour relativiser ce manquement, en se fondant particulièrement sur la préposition adverbiale «parmi» dont on ne fera pas l’injure d’insister sur son acception. On se permet l’apologie à une présence même marginale de professeurs de Droit, on objectera que l’accès à la titularisation est un chemin de croix de plus en plus inaccessible. Toutefois cela ne saurait être une raison puisque nombre de professeurs titulaires, au risque de les nommer, sont recevables à ce poste de membre du Conseil constitutionnel.
La présence de professeurs de Droit ne peut qu’être bénéfique pour le rayonnement, mais surtout l’indépendance tant décriée de l’institution. Ainsi que le soutenait l’éminent constitutionnaliste Louis Favoreu dont l’ingéniosité est mondialement reconnue, «c’est dans leurs rangs que l’on a plus facilement trouvé des personnalités indépendantes lors du passage des régimes autoritaires aux régimes démocratiques»1. L’indépendance du statut de professeur est inéluctablement de nature à favoriser un meilleur exercice de la fonction de juge constitutionnel qu’on lui attribuerait. Par conséquent, consacrer la présence des professeurs de Droit ne ferait que contribuer au renforcement de l’indépendance de la juridiction constitutionnelle, de plus en plus contestée au regard de certaines nominations.
En dehors de la présence des professeurs de Droit, il serait également opportun d’ouvrir les portes du Conseil constitutionnel en reconnaissant l’accès aux membres de droit, à savoir les anciens présidents de la République.
1) Pour une institutionnalisation des membres de droit à vie
Les juges constitutionnels ont diverses missions. Ils sont appelés à examiner la conformité des lois avec la Constitution, à vider le contentieux électoral, référendaire et peuvent être sollicités par le président de la République aux fins d’avis.
On voit aisément à la lumière de leur compétence que s’il est vrai que l’expertise juridique est nécessaire, il n’en demeure pas moins qu’une expérience de l’Etat est utile pour un meilleur exercice de la justice constitutionnelle. Le droit certes, mais l’adjonction d’autres types de savoirs moral, éthique et même religieux compte tenu de la physionomie sociétale ne serait pas négligeable.
C’est pourquoi il pourrait être envisagé un élargissement de la composition du Conseil constitutionnel dans l’optique de reconnaître un siège dédié foncièrement aux anciens présidents de la République. Cette possibilité ne serait pas singulière dans le monde car des pays comme la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Cameroun, la France, le Gabon, le Kazakhstan l’appliquent déjà. Elle renfermerait éventuellement des vertus d’ordre sociologique et rentrerait dans la détermination d’un statut valorisant d’anciens présidents de la République.
D’abord, il est de coutume que les anciens présidents sénégalais ne résident pas dans le pays à la fin de leur règne. Certains ont préféré s’installer en France pour profiter de leur retraite politique. L’autre, s’agissant du cas de Abdou Diouf, il a poursuivi une carrière internationale, monnayant ainsi son expertise au service de la Francophonie. Sauf retournement de situation, l’actuel Président est un «futur» ancien président de la République. Il pourrait, à cet effet, bénéficier d’un siège au Conseil constitutionnel, ce qui l’inciterait à rester au Sénégal. Qui plus est, demeure son souhait. Tenant à des considérations similaires, mais surtout relativement au «souvenir héroïque de l’abandon» ainsi que l’affirmait Raymond Aron, la France a institutionnalisé les membres de droit. Ce qui a initialement fait de René Coty et Vincent Auriol des membres du Conseil constitutionnel. Cette disposition est tant critiquée. Des initiatives ne manquent d’ailleurs pas de vouloir la supprimer. Cependant, elle est toujours présente dans le corpus juridique français.
Ensuite, on pourrait exciper l’argument qui consiste à dire que le Président actuel, par défaut d’avoir un cursus en Droit, ne dispose pas de la qualification requise pour siéger au Conseil constitutionnel. Cet argument n’est pas convaincant pour deux raisons. Premièrement, son expérience d’homme d’Etat lui permet d’avoir indéniablement une culture constitutionnelle puisque selon les termes de l’article 42 de la Constitution, il en est le gardien. Deuxièmement, la loi organique portant sur la juridiction constitutionnelle prévoit ce qu’on qualifierait d’assistants juridiques : des magistrats et enseignants des facultés de Droit. Ces derniers pourront, comme ils le font pour les membres dans les décisions qu’ils prennent consécutivement à une saisine, assister l’ancien Président dans les tâches qui lui seront confiées ou avant les délibérations. Ces différents points de vue font, par voie de conséquence, sauter les verrous susceptibles d’être opposés à l’acceptation des membres de droit au Conseil constitutionnel.
Dans l’optique de garantir les conditions d’une justice constitutionnelle équitable, d’autant que le juge constitutionnel sénégalais connaît désormais l’exception d’inconstitutionnalité (qui permet à tout justiciable au cours d’un procès devant la Cour d’appel et la Cour suprême de contester la constitutionnalité d’une loi avec la Constitution), il serait envisageable d’établir conjointement une mesure de déport et de récusation.
Pour le déport, il consisterait lorsqu’une question constitutionnelle est portée devant le Conseil constitutionnel, à ce que le membre de droit s’abstienne de participer à la délibération pour les cas dans lesquels il aurait initié ou participé au vote de la loi mise en cause. Concernant la récusation, elle octroierait la possibilité pour le justiciable de s’opposer à la participation du membre de droit à l’examen de constitutionnalité de la loi soupçonnée, s’il doute de son impartialité.
En somme, l’institutionnalisation du statut de membre de droit à vie, en plus d’ouvrir la composition du Conseil constitutionnel, s’accompagnerait des précautions à même de garantir un meilleur exercice de la justice constitutionnelle. Elle conférait aux anciens présidents de la République, un statut particulier et profondément utilitaire.
Souleymane NDOUR
Doctorant Ater en Droit public à l’Université de Reims
1. Louis Favoreu, «La légitimité du juge constitutionnel», Revue internationale de droit comparé, vol. 46, n°2, 1994, p.578.