Le chef de l’Etat a appelé, le jour de la Tabaski, à un énième dialogue politique national pour, soi-disant, «réinstaurer un consensus de la classe politique sur le processus démocratique».
La classe politique et l’ensemble des citoyens ayant affirmé des positions de principe quant à la transparence de toute élection et, singulièrement, en vue des prochaines échéances électorales, il semble évident qu’une discussion préalable sur l’ordre du jour d’un tel dialogue n’est point nécessaire, compte tenu des attentes connues, portant sur les questions de l’audit indépendant du fichier électoral, de la réforme de certaines dispositions controversées du Code électoral, de la neutralité de l’institution ou de l’autorité qui devrait organiser les élections, du statut de l’opposition et de son chef, ainsi que de la modernisation de l’organisation et du financement des partis politiques.
Comme chacun le sait, si le dialogue est certes un moyen de renforcer la cohésion sociale et d’éviter de compromettre la paix et la stabilité d’un pays, sa pertinence, dans le cas du Sénégal, est cependant basée sur l’anticipation pour pouvoir forger le consensus indispensable, capable de pacifier l’espace politique et de baliser la route des prochaines échéances électorales, en particulier celle de la Présidentielle de 2019.
Pour aller à de futures élections dans les meilleures dispositions et conditions possibles, il faudrait donc pouvoir se faire confiance. Si la confiance n’est pas au rendez-vous, il sera très difficile de créer les conditions pacifiques de restauration des capacités de choix du Peuple sénégalais. Malheureusement, les nombreux manquements relevés, lors des dernières élections législatives du 30 juillet 2017, ont renforcé les doutes des acteurs politiques et des citoyens quant à la volonté réelle de l’Etat d’organiser des scrutins transparents et fiables. De même que les actes posés dès le lendemain de cet appel par le chef de l’Etat, notamment à la faveur du dernier remaniement ministériel et de la nomination de membres de sa famille et de quelques «inconditionnels» et «irrédentistes» à des postes de responsabilité hautement stratégiques sur les plans politique et électoral, ont fini de convaincre les plus circonspects ou réticents qu’il est plus préoccupé par son maintien au pouvoir que par la consolidation de l’Etat de droit, le renforcement du processus démocratique du pays, les dramatiques conditions de vie des populations et les défis du développement.
C’est en cela que l’appel au dialogue ne devrait pas être qu’un simple «effet d’annonce» de plus et qu’il devrait surtout, pour avoir toutes les chances d’aboutir à des mesures et dispositions consensuelles sur les différents points soulevés, bannir les arrière-pensées et calculs politiciens, ou les fixations sur des agendas partisans voire personnels, comme c’était le cas lors du pseudo-dialogue politique lancé l’année dernière, en mai 2016.
Il convient de se demander, au demeurant, si le nouveau dialogue attendu pourra être suffisamment inclusif, en y associant une frange suffisamment représentative des organisations de la Société civile, plutôt qu’en ciblant exclusivement les partis politiques, qu’ils soient «les plus représentatifs» ou «légalement constitués», comme cela semble être l’orientation première du nouveau ministre de l’Intérieur. Au sujet du rôle que l’on veut d’ailleurs faire jouer à ce nouveau ministre, il faudrait rappeler le déni unanime essuyé par son prédécesseur et questionner pour les mêmes raisons, sinon ses capacités, du moins sa crédibilité pour conduire et arbitrer les débats d’un tel dialogue, en toute impartialité et avec le doigté nécessaire.
Aussi, pour autant que cet appel au dialogue soit réellement sincère et ne participe pas d’une certaine fourberie, appartient-il à l’Etat d’en clarifier au préalable les termes de référence ou le cahier des charges, de rédiger ensuite différentes solutions alternatives découlant des questions inscrites à l’agenda, avant d’identifier et de désigner comme médiateur une personnalité indépendante de haut niveau, assistée de deux juristes spécialisés en droit public et/ou sciences politiques, pour conduire les discussions entre les plénipotentiaires des trois camps -à savoir la majorité présidentielle, l’opposition et la Société civile élargie- et rendre un rapport public à l’issue de ces discussions.
La balle est donc dans votre camp, Monsieur le Président !
Mohamed SALL SAO
Expert international en gouvernance administrative et politique
Membre fondateur de la Plateforme «Avenir, Senegaal Bi Ñu Bëgg »
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