Sadio Mané, Neymar, Karim Benzema, Riyad Mahrez, Kalidou Koulibaly, Firmino, Edouard Mendy, les stars du football mondial qui se joignent à l’aventure du championnat saoudien, la Saudi Pro League, se multiplient depuis que Cristiano Ronaldo a fait le pari osé de finir sa carrière au Moyen-Orient. Les transferts de ces joueurs et l’engouement que suscite le championnat de football du royaume wahhabite ces dernières semaines, sont symboliques d’une diplomatie d’influence, activement menée dans le sport et les divertissements. L’Arabie Saoudite a opté depuis quelques années pour la mise en œuvre de sa stratégie Vision 2030, qui vise à ouvrir davantage une société conservatrice avec une population en majorité jeune en misant sur les divertissements, les sports et la culture. On assiste à l’œil nu à une stratégie de rebranding d’un pays qui veut changer le regard que le monde lui porte. La lucarne du sport est idéale pour mettre en place un soft power culturel.

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Avant le football, l’Arabie Saoudite s’est attaquée à des sports majeurs ayant de larges audiences. C’est ainsi que le plus grand Rallye raid au monde, le Dakar, se déroule dans le désert saoudien depuis 2020, après une décennie en Amérique du Sud. La Formule 1 a également fait ses quartiers en Arabie Saoudite avec un bail de dix ans, pour que des courses de ce Championnat du monde se tiennent chaque année dans le circuit de Djeddah. Cela, pour la rondelette somme de 650 millions de dollars. Il faut ajouter, toujours dans l’opération de charme saoudienne au monde de la F1, le gros contrat de sponsoring de la compagnie pétrolière nationale, Aramco. Tout récemment, ce mois de juin 2023 a vu la fusion dans le monde du golf du circuit européen Dp World Tour, du circuit américain Pga et le circuit Liv Golf (sous perfusion saoudienne). Ce conseil suprême du golf nommera à sa tête le président du Fonds d’investissement saoudien, Yassir Al-Rumayan.

L’accueil de grands combats de boxe (le fameux «Clash of Dunes») et de Mma, ainsi que l’organisation de compétitions continentales en Asie concourent à cette logique de mettre le royaume saoudien sur la carte des places culturelles du monde. Des compétitions européennes de football comme les supercoupes d’Italie et d’Espagne se sont déjà jouées en Arabie Saoudite, attestant de la volonté d’exposer le pays à plus de monde possible. La prochaine Coupe du monde des clubs de la Fifa, prévue en décembre 2023, se jouera en terre saoudienne.

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La Mecque suffit à donner toute une force à une diplomatie religieuse et une position pivot dans le monde musulman, le virage d’une promotion de la culture mondialisée à travers le sport, révèle la vision d’un pays qui veut impacter les consciences en allant là où se tourne toute l’attention des jeunes du monde entier.

Le royaume saoudien agit de façon offensive, voire agressive, par le biais de son fonds souverain, pour se donner une place de Nation centrale. Les exemples dans l’histoire sont nombreux : Hollywood a consolidé la superpuissance américaine, l’Afrobeat vend le Nigeéria partout dans le monde, les telenovelas, à côté des exploits de la Seleçao, n’ont de cesse d’attiser une curiosité autour du Brésil. Le Public Investment Fund (Pif) opère ainsi dans le monde du football pour matérialiser deux objectifs de la Vision 2030, à savoir la multiplication des partenariats internationaux et la diversification approfondie de l’économie du pays. Avec méthode, le fonds souverain saoudien s’est invité dans tous les débats, en rachetant le club de Premier League, Newcastle United, pour s’inscrire dans la voie déjà tracée par ses rivaux régionaux (le Qatar détenteur du Paris Saint-Germain et les Emirats Arabes Unis propriétaires de Manchester City). Après ce coup d’éclat, la stratégie est passée à l’exposition du championnat saoudien, en obtenant la signature de grands noms du football mondial et en offrant des matchs capables de concurrencer les grands championnats européens en termes d’audience. Cristiano Ronaldo débarquera en décembre 2022, et son arrivée sera le prélude à une répartition de grands noms du football entre les différentes écuries de la Saudi Pro League.

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Tout le développement dans le football n’échappe pas au pouvoir central, car les quatre grands clubs du championnat saoudien que sont Al-Ahli, Al-Ittihad, Al-Hilal et Al-Nassr, sont depuis juin 2023, sous le contrôle du fonds souverain saoudien, le Public Investment Fund. Les chaînes de télévision s’arrachent les droits de retransmission des matchs du championnat saoudien. On attendra de voir les résultats sportifs pour tous les joueurs qui ont opté pour ce choix osé. Mais en termes de prouesse diplomatique, on ne peut que tirer notre chapeau aux Saoudiens. Une amie australienne m’annonçait, quelques mois plus tôt, qu’elle émigrait en Arabie Saoudite. Elle expliquait avoir obtenu un mandat pour organiser une vie nocturne ouverte et agréable à Djeddah. Pour dire que rien n’est négligé dans la conquête des esprits de ce monde.

En Afrique, le Rwanda s’essaie comme il peut à mettre en avant une stratégie de branding national en empruntant la même démarche que les Saoudiens (sponsorisation de clubs de football majeurs comme Arsenal et le Psg, accueil de compétitions internationales comme la Basketball Africa League et l’Afrobasket…). Ces efforts sont à saluer et doivent nous pousser, au Sénégal, à beaucoup d’interrogations pour vendre un pays qui ne manque pas d’atouts.

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Sur un autre registre, j’ai parcouru avec beaucoup de joie le net ivoirien à l’occasion de la mise en service du Pont Alassane Ouattara, partie intégrante du programme d’aménagement de la baie de Cocody. Des Ivoiriens de tous âges et beaucoup d’influenceurs de ce pays se félicitaient de cette infrastructure, en saluant sa vocation utilitaire et le prestige qui l’accompagnait. Je pense que sur l’amour de son pays, nous avons beaucoup à apprendre de nos cousins ivoiriens. Les milliers de Sénégalais qui iront à la prochaine Can en janvier 2024 pourront en profiter pour bien prendre des notes.

Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn