La sobriété dans la parole est le sens même de la philosophie. Socrate n’a jamais aimé parler, il a passé sa vie à écouter plus qu’il ne parlait. Ouvrir sa grande gueule, surtout quand on est très loin du sujet et/ou même parfois hors du sujet, est la plus belle bêtise humaine que beaucoup d’entre nous se donnent aujourd’hui comme un art, pour être un peu provocateur, je dirais comme un luxe. Mais l’art, qu’est-ce que c’est d’ailleurs ? L’art c’est une technique, une façon de faire, une manière d’extérioriser ses idées. Au vu du nombre de «connaisseurs passe-partout ou les bons sur tous les sujets», qu’on peut également appeler élégamment des omniscients, la question de l’art de fermer sa petite gueule se re-pose urgemment. Qui parle ? Au nom de quoi parle-t-il ? Est-il celui qui doit parler ? Est-il dans le bon endroit pour parler ? Ce qu’il a à dire est-il si utile pour le moment ?

Tous les grands hommes avaient peur de la parole ! Elle est libre mais dans sa liberté elle peut faire des dégâts qui privent la liberté à son maître ! Elle a séparé des gens qui s’aimaient, a brisé des couples, a mis à feu et à sang des pays entiers, a créé de la division entre des frères, des sœurs de même conviction politique ou religieuse. L’art de fermer sa petite gueule s’impose ! Si parler quand c’est nécessaire est un devoir d’un côté, la fermer pour éviter les dégâts désastreux est d’un autre côté un engagement humanitaire…

Certes, elle ne cause pas que des maux, elle fait aussi beaucoup de bien si on sait l’utiliser, bien évidemment. La parole douce, sensuelle, sensible peut faire oublier à n’importe qui ses soucis de la vie, noyer les douleurs de la vie. La parole encourageante, motivante, incitative peut alléger des tonnes de souffrances portées par un individu. Mais faudrait-il encore savoir où, quand, comment et avec qui la prendre ? D’où l’art de fermer sa petite gueule avant de raconter des choses qui peuvent bouleverser complètement la vie d’une personne…

La parole, quel charmant paradoxe !
La parole douce rompt la colère, atténue la tension, dissipe la frustration et peut garantir l’accalmie même si celle-ci n’est pas synonyme de paix. Mais il faut noter que la parole dure non seulement excite la fureur mais peut créer des litiges intempestifs et provoque des malentendus, d’où la nécessité de fermer sa gueule lorsqu’on n’a rien à dire dans une situation de tension. En effet, si on projette notre regard sur ce qui se passe dans nos télévisions, on a l’impression que la recherche d’audimat et d’audience prime sur la qualité des débats télévisés. De ce fait, les thèmes d’émission de certaines chaînes de nos télévisions sont anodins et les débats tournent pour la plupart du temps autour du sexe, du viol, de la politique, etc. C’est dans ce sens que nous comprenons pourquoi Cheikh Mouhamadou Djimbira avait intitulé son livre : «Télévision au Sénégal : entre désert de contenu et sécheresse intellectuelle.» C’est pour dire de manière substantielle que ces thèmes sont vides de sagesse et pauvres d’enseignement. Grâce à la télé, tout le monde est célèbre, disait Andy Warhol. C’est pourquoi tout le monde court vers les instances audiovisuelles pour se faire voir et se faire valoir. A quel prix ? A la recherche effrénée du buzz, à l’exhibition, à la quête de notoriété… La parole n’est plus contrôlée, la diffamation est devenue une règle générale. Or toutes ces mauvaises attitudes, à l’instar du dénigrement, avec un fatras de préjugés, de l’insulte, de l’outrage, étaient l’arme des faibles et des gens sans arguments.

Tout le monde parle pour ne rien dire ou trop en dire. Tout le monde parle avec légèreté et inconscience. Et pourtant la parole est un don quasi divin.
Au commencement le verbe comme l’introduit la bible. Le verbe a un pouvoir à la fois physique, mental et spirituel. Mais peu de gens attachent une signification créatrice à ce qu’il énonce, comme l’écrit Georges Barbarin, mais nombreux encore sont ceux qui s’en servent comme «d’un soc pour labourer l’humanité».

Alors quelle attitude adopter face à ces nouveaux comportements déviants ? Il faut aller vers la réhabilitation de nos systèmes de valeurs à travers les mêmes circuits de transmission de contre-valeurs  qui commencent à gagner du terrain.

La parole est sacrée!
Si chacun soupçonnait la valeur d’une arme aussi puissante que la parole, il changerait toute sa vie et celle des êtres qui l’entourent.

Alors parler ! Mais pas pour ne rien dire. Mesurons nos paroles, pesons-les, choisissons nos mots, car parler c’est une responsabilité.

Apprenez à la fermer, ou disons plutôt apprenons à la fermer. Arrêtons nos futilités, de grâce, arrêtons ! Apprenons à fermer nos petites gueules, car la vie tourne et personne ne sait sur quelle route l’angle de sa boussole va s’arrêter demain. Vous ne pouvez pas tout dire, on ne peut pas tout dire. La parole, elle est sacrée. Elle n’est pas donnée à tout le monde. Elle est l’arme la plus puissante, qui peut même détruire un pays, transformer la mentalité d’une communauté entière, poignarder un individu sans bruit, en toute discrétion. Tout le monde pense savoir parler mais tout le monde ne sait pas parler. Cela peut offenser l’idéologie de la démocratie, je sais ! Mais la réalité nous l’oblige. La liberté d’expression, oui ! La liberté de pensée, oui ! Certes, tout le monde a le droit de parler mais tout le monde n’a pas l’art de parler. La parole c’est comme la musique, si elle est bonne, l’auditif l’accepte mais quand elle est mauvaise, il la rejette sans hésiter. Avec la mondialisation de la communication, si tous les peuples parlaient d’une même langue, on verra bien dans ce cas des sociétés qui se tairont à jamais, et j’ai bien peur de nous exclure de cette liste.
Les gens les plus suivis, les plus appréciés sont ceux qui, dès qu’ils ouvrent la bouche, c’est pour dire des bêtises (je pense à Cheikh Ahmed Cissé par exemple). Cela traduit combien notre société est malade de mentalité : nous avons une société qui crétinise sans cesse, une société foutue. Apprenons à la fermer si ce n’est pas pour dire de bonnes choses. La crétinisation de la parole fait que maintenant il est très difficile de reconnaître le moine. Tout le monde ne peut pas être moine, on le sait ; tout comme tout le monde ne peut pas être con aussi. Quelle est la finalité de dire des bêtises ? La recherche du buzz peut-être ? Parce qu’apparemment, dire des bêtises fera de nous une star, et attire l’attention de tout le monde sur nous. Tous les médias veulent nous rencontrer, tout le monde veut nous avoir sur son plateau, même pire, on nous paye pour faire une publicité sur un produit ou encore on nous embauche pour une série télévisée. Toute la  jeunesse se tourne vers eux, en fait de vraies idoles. Dommage qu’il n’y ait pas une loi pour faire taire ces idiots. Nos esprits sont maintenant malades à cause d’une propagande pourrie de ces sales gueules. Il ne reste que très peu de gens qui ont encore un cerveau et nous qui relatons encore les bassesses de cette vie, je suppose qu’on en fait partie. A force de crier avec le cœur, on pourrait se mettre sur leur logique sans le sentir ou même être pire qu’eux. Mieux vaut qu’on se taise nous aussi (un peu provocatrice ! Oui, je sais !)

La parole, cette écorche qui s’appelle bavardage dont la chair est nommée éloquence par Hampâté Bâ, et le noyau bon sens, est un outil puissant qui possède une double facette. Telle l’épée de Damoclès pour rendre lugubres des vies ; telles les «khassaides» de Cheikh Ahmadou Bamba qui apaisent et embaument les âmes. Cela dit donc, que la parole, avec la même puissance qu’elle peut déconstruire, elle peut également construire. On peut comprendre aisément à ce niveau le sens des différentes recommandations du silence. Apparemment, notre époque ne supporte pas le silence et par ricochet, les silencieux. Elle les condamne avec beaucoup d’acariâtreté. Maintenir le silence ou garder pour soi et au fond de soi quelque chose est assimilé à une espèce de pusillanimité, voire de lâcheté. Doit-on dire qu’ils ont tort de penser ainsi ? Est-il faible celui qui se maîtrise et fait du silence son compagnon permanent ? Tout le monde attend impatiemment l’arrivée de l’élu, du plébiscité : le bavard. Ce bavard n’a jamais été à Harvard (conçu ici comme un endroit privé où on doit plus apprendre à se taire qu’à parler). Le loquace parle sans arrêt, sur tout et sans invitation. Il attire dangereusement l’attention et ne fait attention à rien. Il pense avoir raison sans réellement faire usage de sa raison dans le but de savoir qu’il fait quelque part l’objet d’une dérision. En parlant trop, sur tout et à tout moment, qu’est-ce qui se vide de sa substance : la parole ou le parleur ? Pourquoi doit-on parler même ? Certains esprits répondront hâtivement : «Pour parler !»

Toutefois, la théorie du QOCQ (Qui ?  Où ?,  Comment ?, Quand ?), nous enseigne une pédagogie comportementale, laquelle nous oblige à scruter les bons locuteurs, bonnes circonstances et les bonnes manières. Cette pédagogie nous encourage à travailler à ordonner son discours, à l’encadrer et à lui donner du sens. L’actuel état du monde avec les réseaux sociaux semble démunir les gens de certaines attaques tels le bavardage, l’excitation inutile. Tout le monde pense avoir droit à la parole. Mais non ! Je souhaite partager la remarque de l’essayiste italien Umberto Eco : «Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.» Le prochain enseignement ne doit-il pas consister à apprendre comment lutter contre la logorrhée, à être le moins prolixe possible. Car trop parler traumatise. Désormais, on sait comment éviter le traumatisme.
Abdou DIAGNE, étudiant aux Métiers de l’Enseignement, de l’Education et de la Formation à l’université Grenoble Alpes,
Pape Daouda NGUER, étudiant en Langue, littérature et Civilisation à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis,
Mborika SECK, étudiante en communication à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et
Amadou SANE, étudiant à l’université de Paris