Une image particulièrement tragique a attiré mon attention : le président de la République du Sénégal, élu démocratiquement et flanqué d’une légitimité populaire incontestable, a pris part, dans la plus grande joie, à la cérémonie d’investiture d’un putschiste recyclé en démocrate. Au nom de ce que représente notre pays en matière de démocratie, le chef de l’Etat, loin de répondre à cette invitation, devait envoyer un représentant qui, à son tour, comme l’autruche devant le péril, doit se terrer.

Mais enfin. Avec l’arrivée de Pastef au pouvoir, on assiste à une tentative de réécriture de notre histoire. D’aucuns diront que ces gens-là n’ont pas le sens de l’histoire…

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Le 28 mai prochain, on aura droit à un nouveau Dialogue national sur le système politique. Il s’agira, selon les initiateurs, de discuter sur les problèmes politiques et institutionnels du pays, afin d’y apporter des solutions -peut-être définitives. On rafistolera, entre autres, un système électoral qui a vu accéder au pouvoir un opposant, dans un contexte particulier, dès le premier tour, sans aucune contestation…

Une bonne partie de l’opposition, paranoïaque, a décidé de décliner l’invitation du chef de l’Etat. Pour les opposants, depuis toujours, dialoguer signifie se renier, entrer dans des compromissions. Pactiser avec le diable. L’Apr, qui avait initié les cycles de dialogue interminables, s’est signalé en tête des refus ; Thierno Alassane Sall, le nouvel opposant emblématique, lui aussi, refuse de participer à ce qu’il considère comme une mascarade.

Aujourd’hui, les opposants qui iront dialoguer ne seront pas considérés, sans nul doute, comme des traîtres, des opportunistes qui magouillent avec l’ennemi. Les participants au dialogue seront les grands démocrates qui, dès l’appel solennel du Président de tous les Sénégalais, se sont présentés malgré eux. Au nom de la République. Au nom de la civilisation des mœurs que prône la démocratie.

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Une certaine Société civile, créatrice de crises artificielles, s’est résolument engagée pour que les acteurs politiques, toujours en conflits malgré l’arbitrage du Peuple souverain, se retrouvent autour d’une table pour dialoguer, pour discuter en toute sincérité. A les entendre épiloguer sur la situation politique (jamais sur l’économie !), on a la fâcheuse impression que la démocratie, dans ce pays, n’a pas vaincu la grande insurrection de Pastef et que les crises sont toujours à nos trousses. Pour des gens qui ont assisté motus et bouche cousue à la suppression du Conseil économique, social et environnemental -lieu par excellence de dialogue et d’expression des voix à même de s’opposer au pouvoir politique-, il est indéniable que le vrai dialogue ne les intéresse nullement.

Cette Société civile ne vit que dans la négation de notre pays. Ce sont des pompiers pyromanes. Des gens qui, en présentant notre démocratie comme une poudrière, se donnent les moyens de créer leur propre travail. L’économie, qui est le mal sénégalais, n’intéresse guère ces «rentiers de la tension».
Pour Pastef -qui est arrivé au pouvoir de manière spectaculaire, avec ses promesses, avec sa légitimité incontestable, tous les pouvoirs en bandoulière-, l’heure est au travail, à la mobilisation de toutes les énergies pour un «Sénégal juste, souverain et prospère». Contrairement au Président Macky Sall dont le pouvoir commençait à faiblir, ce régime, fort de l’onction légitimatrice du Peuple, doit mettre les bouchées doubles dans la recherche de solutions aux suffocants problèmes des Sénégalais. Le temps est son pire ennemi. Il ne faut pas en perdre davantage.

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Un pouvoir comme celui de Pastef, qui écrase tout sur son passage, n’a aucun intérêt à se mettre à dialoguer. L’on constate que la brutalité, avec ce régime, est une méthode de gouverner. La violence est consubstantielle à tous leurs actes. Un de leurs ténors ne s’est pas gêné de déclarer à haute et intelligible voix qu’ils sont «arrivés au pouvoir par la radicalité» et qu’ils devraient donc diriger le pays «par la radicalité». Une conception aux antipodes du dialogue. Avec sa majorité mécanique à l’Assemblée nationale, le pouvoir Pastef a exterminé des institutions et voté des lois impopulaires. Des décisions controversées ont été prises au forceps, sans l’art de dialoguer.

L’économie reste l’unique urgence de ce pays. Il faut dialoguer sur l’économie. Le président de la République, quoique sincère dans sa démarche, risque de perdre énormément de temps pour rien, en suivant les tartufferies de cette Société civile porteuse de crises. La meilleure manière de refonder notre démocratie consiste à œuvrer pour la réduction des inégalités sociales qui, on le sait, sont les véritables menaces du modèle démocratique. C’est ce travail que nous devons entreprendre tout en continuant de renforcer et de protéger nos institutions républicaines.

Par Baba DIENG