Le 18 Pastefmaire (Quand Méphisto voit rouge)

Hier [soir], comme à son habitude, Méphisto s’est donné en spectacle. Encore. Cette fois-ci, pour vomir sa bile sur les réseaux sociaux. Ce n’était plus le tribun incandescent des jours de tempête, ni même le chef de guerre. C’était un homme vidé, fébrile, cramponné à son dernier refuge : Facebook. Ce soir-là, Méphisto a fait ce qu’il sait faire le mieux ou le moins mal : un live, flanqué de son équipe digitale, scriptée et servile.
Mais la magie s’est dissipée. L’écran ne reflète plus que les fissures d’un ego nu, la nervosité d’un homme qui sent la terre se dérober sous ses pieds. Il n’avait plus le panache du martyr, ni l’aplomb du tribun. Il bredouillait, invectivait, ressassait, dans un décor de post-vérité, espérant conjurer par l’outrance le verdict qu’il refuse d’accepter.
Méphisto aura tout attaqué : la presse, la Magistrature, l’Etat profond (dont il est un des responsables) et même la veuve noire, qu’il a accusée de conspirer dans l’ombre, oubliant que l’ombre, c’est désormais son seul royaume. Mais ce soir-là, quelque chose a changé. Ce n’est pas lui qui a tranché. C’est la Justice. Et elle ne l’a pas épargné.
Oui ! Le coup est venu d’en haut. Droit. Net. L’institution que certains disaient inféodée, domestiquée, apprivoisée, a eu l’audace de ne pas se coucher. Elle a rendu un arrêt, un de ces arrêts qu’on croyait relégués aux archives d’un Etat de Droit disparu.
C’est un impardonnable crime de lèse-majesté car Méphisto, dans son costume râpé de procureur populiste, s’était déjà hissé sur l’estrade judiciaire comme un gladiateur sûr de son triomphe. Il se voyait déjà lavé de tout affront, auréolé par une Justice à genoux, acclamé par les siens comme le redresseur des torts d’hier et l’incorruptible de demain.
Mais loupé, comme disent les enfants.
Le juge, dans un calme aussi tranchant qu’une lame froide de couteau le jour de la Tabaski, l’a débouté. Sans détour. Sans trembler. Ce fut un camouflet, un retour à la réalité brutale : celle où même Méphisto n’est pas au-dessus des lois.
Alors, dans un mélange de rage et de théâtre, il a bruyamment hurlé à la lune, non pas comme un tribun offensé, mais comme une hyène frustrée à qui le lion, ici le Droit, a ravi la proie tant convoitée. Il s’en est suivi ce vacarme dantesque sur Facebook, ce live en clair-obscur, cette tempête de diatribes où tout était bon pour masquer l’échec : accuser les juges, insulter ses adversaires, maudire les institutions et s’inventer des traîtres sous chaque robe noire.
Chers djolofmen, il faut savoir lire entre les lignes tremblantes de son monologue nocturne. Méphisto était habité par trois sentiments. D’abord, la honte. Celle qui ne dit pas son nom, mais qui transpire dans chaque accusation, chaque rictus, chaque allusion scabreuse à des «complots» ou à des «forces occultes».
Puis, la peur. Celle qui étreint l’ego des déchus, quand la perspective de l’inéligibilité s’approche comme un couperet. On sent l’angoisse d’un homme qui voit son destin lui échapper.
Enfin, la colère. Viscérale, déraisonnée, presque pathétique. Méphisto ne supporte pas que la Justice ait osé tenir tête. Il voulait un Etat miroir. Il découvre un Etat debout.
Donc, hier soir, c’est un Méphisto blessé dans son âme que l’on a vu, et nous allons vous dire tout le danger qui guette Djolof Land à partir de maintenant.
Mais attention ! L’angoisse doit être dans le camp des hommes de progrès, défenseurs de la démocratie et des libertés, car ces trois sentiments (honte, peur et colère) sont nocifs, ils deviennent des poisons politiques lorsqu’ils gouvernent un homme de pouvoir.
En effet, quand un homme de pouvoir est confronté à l’humiliation publique, surtout après avoir construit une image d’invincibilité, il ne l’accepte pas. Il la dissimule sous des couches de mensonges, de gesticulations et de revanches symboliques. La honte non digérée devient un carburant de représailles. Au lieu de l’introspection, il va choisir l’attaque.
Au lieu de reconnaître ses limites, il invente des complots. Chez Méphisto, la honte n’a jamais été et ne sera jamais reconnue : elle a été transmutée en arrogance blessée.
Nous savons également que la peur avilit le jugement et alimente la paranoïa. La peur, surtout celle de perdre le pouvoir ou la face, est l’ennemie de la lucidité. Elle pousse à voir des ennemis partout, à interpréter chaque silence comme une trahison, chaque critique comme un complot. Elle fait vaciller la raison, encourage la démesure. Un homme politique gouverné par la peur finit toujours par vouloir contrôler ce qu’il ne comprend plus : la presse, la Justice, le Peuple lui-même. Méphisto n’a pas peur du juge, il a peur du miroir que la Justice lui tend.
Enfin, la colère aveugle et détruit les digues de la retenue. La colère n’est pas en soi un défaut. Mais lorsqu’elle devient chronique, sourde, obsessionnelle, elle consume la rationalité. Elle pousse à dire ce qu’on regrette, à faire ce qu’on ne contrôle plus. Dans la bouche d’un homme d’Etat, elle devient imprécation, décret hâtif, purge politique. Elle transforme la parole publique en éructation personnelle. Chez Méphisto, la colère devient spectacle, mais un spectacle dangereux. Car dans ses cris, ce n’est pas seulement lui qui se perd, c’est toute la mesure républicaine qui chavire.
Alors, chers amis ! Un peu de discernement pour une fois, car quand la honte empêche de reconnaître ses torts, quand la peur empêche de penser librement et quand la colère empêche de gouverner avec mesure, alors ce ne sont plus de simples émotions : ce sont des armes retournées contre la démocratie.
Donc, hier soir, les djolofmen avaient en face d’eux un homme délabré, un mythe effondré. Ce n’était plus le tribun flamboyant, ni le redresseur de torts autoproclamé. C’était un homme seul, rongé par l’amertume, prisonnier de son théâtre de marionnettes. Il a insulté, caricaturé, inversé les rôles, et il a juré de se venger, de reprendre le dessus, comme un méchant de série B incapable d’accepter la fin de la saison. Mais plus il s’agite, plus son masque glisse. Et l’on découvre ce que beaucoup redoutaient : Méphisto est un danger pour la République et l’Etat de Droit.
Car derrière ce naufrage personnel, se dresse un péril pour Djolof Land. Méphisto ne veut pas perdre seul. Il veut entraîner tout Djolof Land dans sa chute. Quand un homme pense être l’Etat, quand il prétend incarner à la fois le Peuple, la Justice, la presse et l’opposition, il ne reste plus d’espace pour la démocratie. Il n’y a plus de contre-pouvoir. Il n’y a plus que sa voix, ses colères, ses verdicts et ses prophéties fumeuses.
Voilà le vrai danger. Il avance, sûr de son pouvoir sur les institutions qu’il a vidées, sur les médias qu’il a apeurés, sur les militants qu’il a fanatisés. Et pendant ce temps, le silence s’installe, pesant comme une chape sur une République assoupie.
Il ne s’agit plus d’un homme. Il s’agit d’un poison qui s’est installé. Ce n’est plus Méphisto, l’homme, avec ses failles et ses colères. C’est quelque chose de plus sombre, de plus profond. Une manière de penser. Une manière de tordre la vérité, de parler en boucle, de tout salir. Ce n’est plus une personne en crise, c’est un mode d’emploi qui contamine. Une façon de gouverner par la peur, de parler pour diviser, de mentir pour exister.
Et c’est là que le danger grandit : quand la dérive cesse d’être un accident et devient une méthode. Un climat. Une atmosphère lourde où l’on ne sait plus qui commande, ni pourquoi. Où l’on tremble non pas pour ce qu’il va dire, mais pour ce qu’il a déjà fait croire. Méphisto est devenu le pouvoir qui dévore tout ce qui ne se plie pas. Méphisto n’a plus besoin de gagner. Il lui suffit de faire peur. D’occuper le terrain. De brouiller les lignes.
Mais espérons que le verdict d’hier montre que tout n’est pas perdu. Le sursaut est possible. A condition que les hommes de progrès, les démocrates, les lucides, les silencieux aussi, cessent d’être des figurants dans leur propre pays. Car à Djolof Land, ce qui menace désormais, ce n’est pas l’opposition. C’est la résignation.`
Le Veilleur Ironique
(Quand les tribunaux rendent la Justice,
Méphisto crache la foudre)