Le barrage d’Affiniam : l’étau d’étranglement

Au moment où l’humanité entière souffre d’une pandémie (Covid-19) qui a fini d’installer la psychose et l’agonie à l’économie mondiale, une partie de la population du Blouf est alitée par une autre catastrophe d’ordre écologique, due aux conséquences gigantesques et désastreuses du barrage d’Affiniam.
D’abord, un rappel s’impose. Le barrage d’Affiniam, situé dans l’arrondissement de Tendouck, est le fruit des accords de coopération signés entre la République du Sénégal et celle populaire de Chine, le 23 novembre 1973 à Beijing. Abdou Diouf, alors Premier ministre, assure la pose de la première pierre, le 08 mai 1980. Le 30 novembre 1984 marque la date de démarrage des travaux de construction qui s’achèvent le 30 avril 1988, suivie de la réception technique le 10 juin 1988 et de la remise officielle des autorités sénégalaises, le 21 octobre 1988.
C’est sur le marigot de Bignona qui polarise plusieurs rivières, d’une longueur de 88 km, qu’est érigé ce barrage avec un coût global de six milliards de francs Cfa.
Ce barrage, d’après les autorités sénégalaises, a pour objectifs :
Empêcher la remontée des eaux salées en amont de l’ouvrage, tout en permettant l’évacuation vers l’aval, des eaux de drainage issues du lessivage et des eaux de crue des terres salées
Maîtriser les eaux de ruissellement du bassin versant pour l’alimentation en eau des terres «rizicultivables»
Dessaler progressivement les terres (6000 ha de terres de bas-fond), ainsi protégées en vue de leur mise en valeur
Sécuriser et améliorer la production afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire
Limiter l’exode rural
Les populations étaient alors convaincues d’un début de solutions, pour non seulement la valorisation des terres, mais encore pour l’accroissement de la production rizicole afin d’assurer une autosuffisance alimentaire (jadis atteinte par nos parents), après tant d’années de sécheresse.
Malheureusement, la montagne a accouché d’une souris. L’espoir de ces ambitieux paysans s’est réduit en un flot de poussière salée et corrosive, transformant leurs toits de zinc, en rouille et sa luxuriante végétation, en clairières impropres à la culture. Ils se retrouvent alors sans toits pour se protéger contre soleil, pluies et poussières, ni abris auprès de la nature soustraite de ses grands arbres et ses composantes essentielles, sous l’effet conjugué de la sécheresse, des poussières salées et acides et de l’évacuation vers l’aval des eaux de drainage issues du lessivage et des eaux de crue des terres salées au niveau du barrage.
Mais la population du Blouf, en particulier celle de Diatock, par sa jeunesse dynamique, engagée et entreprenante, et ses femmes dévouées, a su, par des actions concrètes (reboisement, entretien de la rôneraie, financement de projets individuels…), de concert avec certaines Ong, telles la néerlandaise Eringha, et tant d’autres, revaloriser l’écosystème. De plus, elle a lutté à relever le défi majeur, celui du développement au cours de ces trente années consécutives, et de souffrance due à l’arrêt des travaux du barrage et ses corollaires.
Il est fréquent de se réveiller attristé, sidéré, effaré, désappointé, au vu de certaines images relatives à la destruction de la flore au village, comme ce fut en mars 2020. Cette destruction, après tant d’années d’efforts de cette jeunesse qui avait bravé vents et marées et renoncé à l’exode rurale malgré une situation économique difficile dans la zone, est une invite à une rétrograde de trente années derrière elle. Et tout cumul fait, nous nous retrouverons environ à un demi-siècle de retard au développement, notre objectif majeur.
A quand alors notre développement, s’il faut rétrograder de trente ans (30 ans) à chacun de nos pas ?
Doit-on accepter cette invite au retour à une vie primitive sans base naturelle ?
Ces interrogations interpellent notre conscience et nous invitent à réfléchir sur les conséquences de ce fléau sur le plan de la santé, l’environnement, l’économie locale, etc. ; et être à même de proposer des solutions ou stratégies adéquates pour endiguer ce fléau.
D’abord sur le plan sanitaire, les masses importantes de poussières, qui s’abattent sur la population chaque année, peuvent être à l’origine de maladies respiratoires récurrentes et graves (asthme, bronchite, rhinites allergiques, pneumopathie, silicose, alvéolite allergique, cancer des poumons ou du larynx, etc.).
Pour preuve, les résultats des consultations gratuites, organisées par l’Amicale des étudiants et élèves de Diatock (Ameed) en collaboration avec Ziguinchor assistance médicale (Zam), ont révélé quelques cas de maladies respiratoires, telles que les rhinites allergiques, les pneumopathies, etc.
Ensuite sur le plan environnemental, l’équilibre naturel est rompu du fait de la quasi disparition de certaines espèces de plantes et d’animaux dans la biocénose locale. Cette rupture de la chaîne alimentaire et des interactions entre êtres vivants et le monde physique, ralentit ou empêche la régénération de cadre naturel. Il est noté dans la zone, la disparition progressive de certaines espèces du règne animal et végétal (les palétuviers, certains oiseaux et animaux marins).
De plus, ces masses de poussières salées sont retenues par les feuilles de plantes, ce qui réduit les échanges entre ces dernières et l’environnement (échanges de gaz carbonique, d’oxygène, l’éclairement…), éléments indispensables à la production de matières (fruits, légumes, tubercules, graines…) par la photosynthèse des plantes vertes, et à la vie des êtres vivants.
En outre, ces sédiments, chargés de sel ou d’acide, issus de poussières soulevées à partir de la langue salée tarie, pourraient être fatals pour certains végétaux à forte exigence d’un pH neutre ou basique. Il serait alors impossible de pratiquer l’agriculture de certaines céréales ou plantes comestibles, qui s’inscrivent sur cet ordre.
Parallèlement, la nappe phréatique subit une baisse, pour la simple raison du premier objectif du barrage sus cité et en partie de la faible pluviométrie. Ce drainage des eaux vers l’aval de l’ouvrage est la probable cause de la disparition en masse de la rôneraie et de la plupart des végétaux, observée sur les photos ci-dessus. Pour preuve, ces dernières années, on a constaté qu’il faut une vingtaine, voire une trentaine de mètres de profondeur, pour atteindre la nappe, contrairement aux années 90 où cette dernière est atteinte pour seulement la dizaine.
Cette importante disparition des végétaux laisserait la porte grande ouverte à l’érosion, qui ne ferait qu’appauvrir les sols par ses agents que sont l’eau de ruissellement et le vent. A titre d’illustration, certaines rizières sont abandonnées, soit pour une teneur en sel et/ou acide élevée, soit pour une dégradation avancée des sols par ensablement.
Enfin, sur le plan économique, vous conviendrez avec moi que l’effet conjugué de la baisse de la nappe, le drainage des eaux en aval du barrage et ces poussières salées et acides auront un incident majeur sur les rendements maraîchers, horticoles, rizicoles, etc., d’où une baisse des chiffres d’affaires des exploitants. Ces manques à gagner peuvent alors favoriser l’exode rural, qui déshérite les campagnes au profil des villes. Aujourd’hui, il est inconcevable de voir des légumes convoyés de Dakar (les Niayes) vers la Casamance, aux terres et eaux jadis propices à plusieurs types de cultures. Malheureusement, nous assistons à présent à ce scénario, du fait des conséquences du barrage.
L’élevage pouvait se développer, si le tapis herbacé n’avait pas subi les mêmes effets de la sécheresse et des activités de l’homme et ainsi conforté non seulement l’agriculture par son fumier, mais encore l’économie.
Je ne peux terminer mon intervention sans proposer des pistes de solutions pour la résolution de ce fléau.
En effet, l’être vivant s’adapte ou périt. S’adapter, fait appel à notre capacité de transformer positivement notre cadre, afin d’améliorer notre vie par la prise en compte des facteurs pertinents. Ces facteurs sont les suivants, dans ce cas d’espèce : l’effet du barrage, la sécheresse, le recul de la nappe phréatique, le flux pluviométrique, etc. Ces deux derniers facteurs étant des corollaires des deux premiers.
Ainsi, pour améliorer notre devenir, il faut :
Changer d’abord les mentalités, c’est-à-dire être apte à convertir une menace en une opportunité,
Adapter les techniques culturales, les semences et les espèces aux facteurs sus mentionnés
Continuer de reboiser et encadrer la nature, afin de lui conférer son pouvoir d’auto régénération.
Eviter tant bien que mal la culture de l’anacarde partout dans les champs, pour permettre un développement du tapis herbacé indispensable pour le fourrage, le ralentissement de l’érosion et la formation d’une couche arable riche en sels minéraux.
Une solution définitive de la part de l’Etat, qui prend en charge la construction des ouvrages secondaires et la création de digues anti-sels.
Une évaluation environnementale du projet qui prendra en charge l’indemnisation des populations affectées, eu égard des préjudices subis durant toutes ces trente années.
Amadou Malang DIATTA
Professeur de Maths / Svt
Ecrivain-poète