Le Care n’est pas une affaire Soft

En l’espace de huit jours, deux communiqués officiels de l’Agence sénégalaise de réglementation pharmaceutique (Arp) se sont succédé, se contredisant presque point par point. Le premier, daté du 8 décembre 2025, alertait sur la présence de matières premières périmées dans le circuit de fabrication des couches et serviettes hygiéniques Softcare, entraînant un retrait du marché pour raisons de santé publique. Le second, publié le 16 décembre 2025, affirmait au contraire que ces matières périmées n’avaient pas été intégrées dans la production, et que les produits étaient conformes et pouvaient à nouveau être commercialisés.
Huit jours. Huit jours pour passer du danger sanitaire à la conformité totale. Huit jours pour rassurer… sans expliquer. Pendant ce temps, les femmes continuent de saigner en silence, pendant que l’Etat communique. Ce qui interroge, ce n’est pas seulement le fond, mais aussi la forme. Le premier communiqué émane clairement de la Direction de l’inspection, service technique compétent sur ce type de contrôle. Le second, lui, est porté par la Cellule de communication de l’Arp. Dès lors, des questions simples se posent : Comment une information sanitaire aussi grave peut-elle être corrigée sans que le service technique initial ne s’exprime à nouveau ? Comment a-t-on vérifié que les matières périmées n’avaient effectivement pas été utilisées ?
C’est précisément ce flou que nous prenons ici comme point de départ pour poser une question plus large, trop souvent évitée : celle des serviettes hygiéniques, de leur qualité, de leur accessibilité et des risques réels qu’elles peuvent faire peser sur la santé des femmes. Loin de nous l’idée de hiérarchiser les usages ou de minimiser l’importance des couches pour bébés, leur qualité nous préoccupe tout autant, car ce sont aussi nos enfants qui les utilisent. Mais nous faisons ici le choix assumé de mettre l’accent sur les serviettes hygiéniques, parce que les menstruations restent un sujet tabou, relégué au silence, alors même qu’elles concernent la moitié de la population.
Les interrogations soulevées par ces communiqués contradictoires doivent être prises en charge avec sérieux par les autorités compétentes, qui ont le devoir de mener un travail rigoureux, indépendant et transparent. Car des produits menstruels de mauvaise qualité peuvent provoquer des infections, des irritations chroniques, des déséquilibres de la flore vaginale, des troubles gynécologiques durables, et exposer, à long terme, à des pathologies graves, y compris des risques accrus de cancers liés à l’exposition répétée à certaines substances toxiques. Et, comme trop souvent, ce sont les femmes qui se retrouvent au cœur de l’incertitude, contraintes de continuer à utiliser ces produits et à en payer le prix dans leur propre corps.
Avoir ses règles est déjà, en soi, une charge économique, sociale et psychologique. Mais être contrainte d’utiliser des produits chers, souvent inaccessibles, et désormais suspects, relève d’une violence structurelle pleinement intégrée à notre quotidien. D’autant plus que, dans le même temps, le préservatif masculin est subventionné et largement disponible gratuitement, alors que les serviettes hygiéniques répondent à un besoin naturel, récurrent et non optionnel, contrairement à la contraception. Ce déséquilibre révèle une hiérarchisation des priorités publiques où la santé menstruelle demeure reléguée au second plan.
Cette situation met en lumière une autre faille majeure, trop peu débattue : l’absence d’une véritable charte nationale des serviettes hygiéniques de qualité, capable de garantir à toutes des produits sûrs, contrôlés et financièrement accessibles. Aujourd’hui, les rares protections menstruelles présentées comme «de qualité» sont proposées à des prix excessifs, hors de portée de nombreuses femmes et filles. La protection menstruelle cesse alors d’être un besoin fondamental pour devenir un privilège, un luxe réservé à celles qui peuvent se le permettre.
Ce que les femmes attendent aujourd’hui, ce n’est pas un communiqué de plus, mais des normes claires, publiques et contraignantes, appliquées avec rigueur et transparence.
Pour de nombreuses filles et femmes, acheter des serviettes hygiéniques signifie choisir entre se protéger… ou manger. Deux paquets par cycle. Parfois plus. Un coût mensuel invisible, jamais intégré dans les politiques publiques, jamais compensé, jamais reconnu.
Face à cette réalité, des alternatives dites «réutilisables» sont souvent mises en avant comme solution miracle. Pourtant, elles ont aussi leurs limites : elles supposent un accès constant à l’eau potable, à des conditions d’hygiène adéquates, à de l’intimité pour le lavage et le séchage ; autant de prérequis loin d’être garantis pour toutes. Elles exigent également du temps, de l’espace et une charge mentale supplémentaire, qui reposent encore une fois sur les épaules des femmes.
La question que l’on refuse pourtant de poser collectivement est simple : quand est-ce que la question des protections menstruelles sera enfin mise sérieusement sur la table des politiques publiques ? Une femme utilise en moyenne entre 10 000 et 15 000 serviettes hygiéniques au cours de sa vie. Ce n’est ni marginal ni occasionnel. C’est une réalité biologique partagée par la moitié de l’humanité, pendant des décennies.
Présentées sans réflexion structurelle, les alternatives réutilisables risquent alors de déplacer le problème plutôt que de le résoudre, en individualisant une responsabilité qui devrait relever des politiques publiques, alors même que l’ampleur de l’usage des protections menstruelles devrait imposer des normes strictes, accessibles et universelles.
Dans le jargon féministe, le care renvoie à l’attention, au soin, à la considération portée aux corps et aux vies. Mais ici, le nom Softcare sonne presque comme une ironie cruelle.
Car il n’y a rien de «soft» dans un système qui expose les femmes à des risques sanitaires, communique de manière contradictoire et attend d’elles qu’elles continuent à consommer, à faire confiance, à se taire. Le care doit être une exigence politique, une responsabilité institutionnelle, une éthique du vivant.
Car quand l’Etat traite les menstruations comme un détail, il dit exactement ce qu’il pense du corps des femmes. Et on ne protège pas une société en exposant ses femmes.
Par Fatou Warkha SAMBE



