Khalifa inculpé, la classe politique divisée sur la perception des choses, la société civile ébahie par des révélations bouleversantes de la gestion de nos deniers a une lourde et délicate mission d’appeler les Sénégalais à plus d’exigence vis-à-vis des responsables qu’ils investissent ; des responsables religieux comme à leur habitude prennent position à des conflits dont leur talibé ou proche est acteur.
Un pays qui a plus de politiciens que d’hommes politiques subit quotidiennement les indélicatesses et les prévarications de responsables qui se servent au lieu de servir la République. Il est tautologique de dire que les Sénégalais haïssent les politiciens qui sont des anti-modèles achevés, adeptes de frasques et scandales indignes d’un élu. Un pays orphelin d’hommes politiques serviteurs de la cause publique ne peut atteindre l’émergence qu’on lui promet.
L’épisode Khalifa Sall renseigne sur le manque de sérieux d’une partie de la classe politique qui vogue à l’encontre de l’intérêt général. Le débat sur les caisses d’avance appelle de la part de tout un chacun un certain nombre d’observations et pose la légitimité des dispositions qui la permettent. L’amalgame autour de cette caisse mérite d’être élucidé, et un glissement sémantique de mauvais aloi tend à assimiler cette caisse d’avance à des fonds politiques admis dans tous les régimes, lesquels fonds sont soustraits des règles de la comptabilité publique et de tout contrôle juridictionnel.
La vocation d’une caisse d’avance est noble, elle est justifiable au regard du pragmatisme et de la diligence de l’action administrative et parfois des cas urgents et sensibles qu’elle est censée régler comme c’est le cas à la commune de Dakar. Détourner la caisse d’avance de ses objectifs est une pratique constitutive de délit répréhensible quel qu’en soit l’auteur. Les pratiques illégales quelle que soit leur durée ne sauraient blanchir un prévenu accusé sous ce chef d’accusation. Que monsieur le maire Khalifa Sall le comprenne ainsi et que les maires adeptes des mêmes pratiques rompent avec cela et fassent de la jurisprudence Khalifa Sall un point de départ d’une rupture dans leur gestion !
La conquête du pouvoir, viatique de tout parti et de son leader, ne saurait s’accommoder avec certains comportements et pratiques aux antipodes de la bonne gouvernance, de la moral et de l’éthique tout court. Les indélicatesses financières, les frasques qui perlent la vie et le quotidien de beaucoup de leaders politiques, parfois candidats à une Présidentielle, sont autant de clichés lugubres et déformants qui créent un écart et un dégoût entre eux et les Sénégalais dépositaires des suffrages dont ils ont besoin. Une poursuite controversée, mais légale.
L’épisode Khalifa Sall, perçu à travers deux prismes, trouve deux justifications antinomiques, mais défendables. Il est juste et légal de poursuivre tout ordonnateur de crédits qui outrepassent les règles et dispositions de la comptabilité publique. Et cela, au nom de la bonne gouvernance et du souci et préoccupation du juge de défendre les libertés individuelles et deniers publics.
La reddition des comptes est une demande sociale dont beaucoup de leaders avaient fait un thème de campagne. En matière de gestion financière et de gestion tout court, le tort que nos responsables à des niveaux très élevés (directeurs généraux, ministres, maires etc.) font est inversement proportionnel au rendement qu’ils nous procurent ; la responsabilité doit être une occasion pour s’illustrer utile et patriotique pour son pays, hélas au Sénégal elle devient un raccourci pour assouvir illégalement des prétentions matérielles. Le temps matériel, relativement court pendant lequel certains ordonnateurs s’enrichissent, heurte la sensibilité des Sénégalais qui nourrissent un sentiment de dégoût à l’encontre de ces prévaricateurs qui ignorent le registre de la morale et de l’éthique où ils doivent inscrire leur actions.
Les justificatifs d’une caisse d’avance restent les factures, et à la requête du juge ou de l’enquête préliminaire, l’ordonnateur doit les présenter. Il n’est pas demander à monsieur Khalifa Sall de décliner dans la presse le nom des bénéficiaires de sa caisse d’avance, mais les nécessités de l’enquête et de la justification des dépenses commandent qu’il le fasse à la requête du juge ou des enquêteurs qui travaillent comme le médecin sous le sceau de la confidentialité. Contrairement à ce qu’il veut nous faire croire avec ses partisans, taire le nom des bénéficiaires n’est ni de la loyauté ni de la discrétion, encore moins du «ngor» ou du «soutoura», c’est plutôt manquer de réponses à la question du juge instructeur. Le maire de Dakar, avec son expérience administrative et politique, ne doit pas prendre les pratiques illégales de ses prédécesseurs comme des moyens de défense. Quand on sollicite les suffrages des électeurs pour diriger le pays, on doit être d’une certaine probité et d’une élévation d’esprit qui interdit la malversation dans la gestion ou ce qui lui ressemble.
Le juge étant saisi «in rem verso», le traitement du dossier qui lui est soumis ne se soucie point de la météo politique, car n’étant pas partisan et ce qu’il faut comprendre et admettre est que le contexte d’analyse des acteurs politiques ne lie pas le juge. Dans le cas de monsieur Khalifa Sall, le contexte politique et son statut de potentiel adversaire à la  prochaine élection présidentielle semblent gênants pour certains. Face à cette situation, la séparation des pouvoirs va arbitrer les choses. Le juge, équidistant de Khalifa et de Macky, dira le droit et condamnera ou blanchira notre prévenu. Le Peuple invite le juge à agir selon son intime conviction.
L’amalgame dans cette affaire est qu’il y a une caste de politiciens qui veulent faire croire que dans les affaires Bamba Fall et Khalifa Sall, la justice est instrumentalisée. Une telle attitude est un manque de respect à notre Magistrature qui, depuis un certain temps, montre par ses sorties qu’elle tient à son indépendance ; l’Union des magistrats s’est montrée intransigeante quant à la revendication de son indépendance et de son autonomie par rapport à l’Exécutif. Et cela, à juste raison.
Quand Tanor Dieng ou le Parti socialiste porte plainte avec constitution de partie civile, en quoi l’Exécutif est-il responsable ? Quand la Dic ou le juge est saisi d’un rapport de l’Ige, en quoi cela est-il une traque à un opposant qui est présumé fautif ? Sachons raison gardée. Non à une reddition des comptes à géométrie variable. Ce qui est impardonnable à l’Etat est de faire de la reddition des comptes une action orientée vers les ordonnateurs opposants, cela est une discrimination injuste et indigne d’un Etat. L’ap­partenance au camp présidentiel ne doit pas conférer une immunité, tous les cas de malversation signalés doivent être poursuivis et réprimés au nom de la justice sociale et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Qu’ils s’agissent des cas de malversation antérieurement signalés, la sanction doit tomber ; sinon c’est créer une catégorie d’intouchables au moment où d’autres sont sanctionnés pour les mêmes fautes. La traque et la reddition des comptes ne doivent épargner aucun délinquant, qu’il soit opposant ou membre du camp présidentiel. Les Sénégalais élisent leurs responsables pour une réelle rupture qui commence par une égalité de traitement de tous les citoyens ; y manquer est une pure trahison de l’idéal politique et citoyen qui structure leur adhésion à l’offre politique qui leur est soumise et qui fait de la bonne gouvernance et de la justice sociale son credo et l’appât par lequel ils captent les suffrages.
Au Président Macky Sall, je rappelle que beaucoup de Sénégalais ont combattu l’injustice à ses côtés, ces mêmes Sénégalais refusent d’avaliser que l’injustice émane de vous en réservant un traitement diffèrent à une même catégorie de personnes accusées de mauvaise gestion par les corps de contrôle. Il faut refuser que l’Apr soit le repère ou le refuge de bandits financiers, prétexte de toutes les attaques de ses détracteurs. Le bilan positif à travers la Cmu, le Pudc, les bourses familiales, la politique de forage etc. est suffisant pour un second mandat, mais la reddition des comptes à géométrie variable risque d’estomper l’estime que les Sénégalais vouaient au patron de l’Apr, et qui cesse d’estimer cesse d’obéir.
En matière de demande sociale, Macky a mieux fait que ses prédécesseurs, l’eau, le courant, la santé ont enregistré des améliorations qui ont largement concouru au bien-être des populations. La maturité politique des Sénégalais est telle qu’au-delà du bilan, les électeurs font du respect des droits des citoyens et de l’égalité de leur traitement un sérieux critère de choix. L’insolence, l’arrogance et la mégalomanie ont été des comportements déterminants dans la perte du pouvoir de Wade, il faut que notre élu évite de mécontenter les Sénégalais qui jusqu’ici restent acquis à sa cause. Khalifa et son camp théorisent la thèse du harcèlement de l’opposant, ce qui n’est pas tout à fait vrai, car les charges du ministère public n’ont pas trouvé de réponses satisfaisantes ni à l’enquête préliminaire ni à l’instruction. Il faut que les délits des hommes politiques cessent de passer par pertes et profits, notre justice doit cesser d’être la protectrice des célébrités et des leaders politiques ; et pour l’illustrer, nous pouvons évoquer le cas d’un éminent musicien dans une affaire de faux billets, d’un promoteur de lutte dans une affaire de drogue, de fils d’homme d’affaires qui défient la police en conduisant sans permis.
Des présidentiables, auteurs de deals ou présumés fautifs dans la gestion de caisse d’avance, enrichis indûment, ne rendent-il pas perplexes ceux qui attendaient autre chose d’eux ? La timidité avec laquelle la société civile a pris part dans ce débat en mettant le focus sur l’aspect «opposant gênant à la prochaine Présidentielle» autorise à rappeler que la préservation des deniers publics est aussi nécessaire que la protection des libertés et droits du citoyen. Le contexte préélectoral et le statut du mis en cause ne doivent pas absoudre celui sur qui pèsent de si lourdes charges. Heureuse­ment, le juge s’intéresse peu au profil politique du prévenu, ni au contexte et aux enjeux du mo­ment pour le même prévenu ; il agit en tant que protecteur des deniers publics et des libertés individuelles qui restent présentement les deux composantes du débat. Le silence n’est pas la meilleure forme de défense et quand on se dresse en challenger devant un candidat président, il est recommandé de ne pas prêter le flanc.
Les soutiens, quels que soient les fiefs d’où ils émanent, fussent-ils religieux, ne doivent pas doper Khalifa au point de ne pas fournir les preuves qui le blanchissent. Je doute que 70% de Sénégalais accepteraient de suivre en prison un guide religieux en guise de soutien ; ce serait du fanatisme assez idiot. Et depuis quelque temps, les fidèles ont appris à faire la différence entre religion et politique. Il y a un rubicond que le fidèle refuse de franchir et il peut suivre son guide dans la voie de Dieu et non dans celle de la prison. Les révélations d’un maire favorable à Khalifa sur l’utilisation de la caisse d’avance pour accueillir les hôtes du président de la République sont choquantes, car la Présidence dispose de budget et de fonds politiques pour les événements de cette nature. Et la question qui se pose est de savoir si le Président Sall en a bénéficié quand Obama, Mohamed VI et Hollande nous ont rendu visite.
Dans les démocraties anglo-saxonnes, tous nos présidentiables qui traînent de si troublants dossiers seraient recalés, car chez eux la morale et l’éthique ont une certaine valeur et une certaine signification chez quelqu’un qui aspire à les diriger. Dommage pour nos démocraties et nos pays !

Ibrahima KA
Militant Apr