Le chemin de l’espoir

Hegel, dans un aphorisme de la période de Berlin, écrivait qu’«un grand homme condamne les humains à l’expliquer». Affirmation qui, il faut le reconnaître, s’applique ô combien, rétrospectivement, à son auteur.
En effet, les travaux sur le professeur de Iéna s’accumulent depuis plus de cent soixante-quinze ans. Comme pour donner raison à Jean-Luc Gouin qui, dans le Prologue de son ouvrage, «Hegel, ou, la raison intégrale», écrivit : «Pas un soleil qui ne se lève sur l’horizon de Gaïa sans qu’une publication ne rappelle sa mémoire, telle une offrande à l’humanité pensante.»
Aussi, reprenant mon propos de départ, il faille préciser qu’«expliquer», ici, consistera pour moi, à montrer en quel sens le président Moustapha Niasse (puisque c’est de lui qu’il s’agit ici), héritier du défunt poète-Président, et donc produit pur du Ps, est devenu, par la force des choses, une pierre angulaire, nécessaire, vivante surtout, et qui a poursuivi son chemin seul, en bâtisseur, afin d’assurer à notre pays une stabilité politique.
Un regard sur l’histoire politique de notre pays révèle que nous venons de loin ! En effet, confrontés à la logique de la «realpolitik« pendant une période, nous avons assisté à des changements qui traduisaient en même temps des relations peu faciles entre leaders politiques devant participer à l’organisation et au bon fonctionnement du paysage politique avant et après l’indépendance.
Ces mutations n’ont pas ainsi épargné l’ancien Bds (Bloc démocratique sénégalais) devenu Ps sous la bannière du poète-Président, lorsque le Président Abdou Diouf s’est évertué à mettre en selle son ancien conseiller diplomatique, le défunt Ousmane Tanor Dieng, propulsé à la direction du parti socialiste comme Secrétaire général.
Pour rappel, les choses se sont obscurcies à partir de ce moment qui consacre une sorte de «désaveu« des ténors du Parti comme Djibo Kâ, Robert Sagna, mais surtout celui qui, à juste titre, on considérait jusque-là comme étant le digne héritier du poète-Président, Moustapha Niasse.
Ainsi, s’amorça la rupture, clairement formulée dans un texte intitulé «Je suis prêt», où Moustapha Niasse annonce sa démission du Ps en même temps que sa candidature à la Présidentielle de février 2000, sous la bannière de son nouveau parti, l’Afp (l’Alliance des forces de progrès). Mais, cette rupture, on peut le dire ici, consacrait un moment essentiel de la dialectique politique. Parce que le constat était général que notre pays risquait de glisser vers l’abîme, hors de l’horizon conférant à l’aventure d’un Peuple le visage de l’espoir.
Et, pour que tout ne s’abîme pas, pour que l’espoir renaisse, il a fallu qu’un homme vienne se tenir là, en cet espace absolu de la médiation où les choses germent dans le silence, aurait dit Hegel.
L’Afp, qu’est-elle, sinon l’esprit d’un idéal cristallisé au sein des alliances qui ont jalonné et renforcé notre démocratie ? C’est à mon avis, à cela que nous devons réfléchir, nous, jeunes et cadres du parti. Nous devons être conscients qu’au-delà de nos pures volitions, nous avons un héritage à sauvegarder, et cet héritage est digne d’un pays devant retrouver la sève qui l’a toujours entretenu, pour lui assurer une vitalité qui le maintienne debout, en toutes circonstances.
Celui qui a des yeux pour voir saisira la position hautement significative qu’a toujours occupée le Président Moustapha Niasse, celle de la médiation dans tous les grands moments de notre histoire politique. Même s’il n’a pas été élu président de la République, on a toujours compté avec ses voix, au rythme des deux alternances politiques que nous avons connues. Pareille position ne relève nullement du hasard. Et je défie quiconque le penserait en l’exhortant à lire le mot de Einstein : «Le hasard est le nom qu’emprunte Dieu, quand il veut rester anonyme.»
Comme l’affirmait du reste mon ami, le défunt professeur Augustin Dibi Kouadio, en parfait hégelien : «Dans la vie des peuples, en temps de détresse, la bienveillance amicale du destin parvient à susciter la venue d’un grand homme pour préparer une aube nouvelle, pour que renaisse le printemps de la vie.»
Homme remarquable, parfait lettré qui a eu le privilège de dialoguer avec les grands esprits de l’histoire politique du monde, le président Niasse a le cuir épais. Il a résisté à tant d’attaques qui n’ont pas su flétrir son parcours exceptionnel, tirant sa force de cette dunamis grecque qui toujours a orienté ses convictions.
Quel personnage ! On comprend, en s’abreuvant à la source de sa trajectoire, que cet homme est d’une autre étoffe.
Son entrée dans le microcosme politique sénégalais fit l’effet d’une bombe. Et la liesse populaire mémorable qui accompagna sa venue préfigurait déjà la naissance d’une aube nouvelle. Ce fut l’espoir, pour nous, jeunes étudiants, qui avions accompagné son cortège de Dakar à Kaolack, où dans la chaleur de cette mémorable journée de juin 1999, devait se dire le mot de rupture d’avec le parti géniteur, le Ps. Mais, il est remarquable de constater que ce mot consacrant la rupture était sorti de la bouche d’un bâtisseur. Il a su travailler à laisser surgir ce que son parti pouvait donner de meilleur à notre histoire politique, indépendamment de la satisfaction personnelle que confère l’expression du pouvoir symbolisé par le prince. Il a réussi, dans le temps qui sans cesse fuit, à maintenir une réalité dans l’ordre de la permanence : la logique de la coalition politique, incarnée par Benno Siggil Senegaal, d’abord, puis par Benno bokk yaakaar.
Tandis que d’autres auraient produit pour immédiatement consommer, dans la frénésie d’une jouissance stérile, Moustapha Niasse a su imaginer, créer et offrir, jusqu’à l’oubli de sa singularité.
De quoi faire frémir Machiavel qui avait fini de nous persuader que morale et politique étaient difficilement conciliables.
Sagar SECK