Le complexe de Dieu rencontre la servitude volontaire
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C’est mon placide confrère, Mohamed Kandji d’Iradio, la semaine passée, qui me balance finement cette évidence en pleine émission, histoire de créer une embrouille en direct à la radio : «Le complexe de Dieu habite-t-il nos leaders politiques ?»
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Cette question-piège me renvoie à l’une des répliques les plus célèbres du «Bébête Show», une émission de télévision des années quatre-vingts, animée par des marionnettes caricaturant la vie publique française. Michel Rocard, alors Premier ministre trop empressé, représenté par une figurine, ne se lasse pas de cirer les pompes à François Mitterrand, le président de la République, caricaturé en une grenouille. Il le bombarde de superlatifs et de titres, plus flagorneurs les uns que les autres… «Sa Lumière Divine», «Sa Divinité», etc. Et tombe la réponse de Mitterrand, faussement modeste : «Restons simples, appelez-moi Dieu !»
Ce chenapan de confrère m’oblige ainsi à réviser mes gammes, replonger dans ma rude adolescence, aux temps où l’on croit tout savoir parce qu’on dévore quelques p’tits résumés des ouvrages de Freud, Nietzsche, Marx, Hobbes, Machiavel et quelques autres sales gosses de la comprenette qui scannent l’âme humaine comme jamais auparavant.
Aujourd’hui, c’est plus facile, il suffit d’un clic…
Et donc, je tombe pile sur cette définition : «Le complexe de Dieu n’est ni un trouble qui peut être diagnostiqué ni un terme clinique reconnu par la communauté scientifique. Le terme a été employé pour la première fois par Ernest Jones, qui le décrit comme une croyance que l’on est Dieu. Une personne atteinte du complexe de Dieu se croit incapable de connaître l’échec. Elle refuse d’admettre la possibilité d’erreur, même devant des preuves irréfutables. Une personne avec ce complexe prend ses propres visions du monde comme étant une philosophie, une vérité absolue et vit dans une illusion d’une toute-puissance. Parfois sophomaniaque, la personne considère ses opinions personnelles comme étant incontestables. Il peut également lui arriver de n’avoir aucun respect pour les codes sociétaux. Selon le site académie, on détecte le complexe de Dieu chez une personne quand elle a une confiance inébranlable en elle, dans ce qu’elle dit, pense et fait ; quand elle est incapable de se remettre en question, et n’admet pas ses erreurs. Et surtout quand elle prétend avoir des solutions ultimes à des choses, aussi difficiles qu’elles soient, sans être même briefée sur la question. (…) Contrairement à un mégalomane qui surestime ses capacités et qui a une forte estime de soi, le complexé de Dieu, lui, croit qu’il peut accomplir plus que ce qui est humainement possible et que ses opinions sont supérieures à celles des autres. Les médecins et psychologues souffriraient assez du complexe de Dieu. On le rencontre également chez les chefs d’entreprise, les politiciens, ainsi que des personnes qui, face à un monde incroyablement compliqué, sont malgré tout absolument convaincues qu’elles comprennent la façon dont le monde fonctionne.»
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Bon, assez vagabondé dans le monde et retour au Sénégal, pays béni de la servitude volontaire, de la sur-obéissance, dont les habitants sont si prompts à vous confier leur sort, sur terre et dans l’au-delà, pourvu que toute responsabilité leur soit enlevée… Chez nous autres, Sénégalais ordinaires, ce sont les photos de la lignée de notre marabout qui tapissent nos murs, depuis le couloir d’entrée jusqu’au salon, et leurs prénoms qui retentissent quand on appelle nos enfants. Si vous êtes l’intime qui accède à la chambre à coucher du maître des lieux, au-dessus de la table de chevet où s’entassent les philtres d’amours, les amulettes pour faire fortune sans trembler, les décoctions contre le mauvais œil et les langues pendues, trône la photo du guide protecteur de la famille depuis plusieurs générations, dont on n’ose douter de l’efficacité des prières.
Dieu merci, il n’y a pas que la quête de paradis dans la vie.
Et donc, il arrive parfois, quand on habite les Parcelles Assainies, de tomber sur une maison où le dieu vénéré s’appelle Mod’ Lô ; comme à Pikine, il change de patronyme et se nomme Eumeu Sène ; ou alors à Guédiawaye, il répond au nom de guerre de Balla Gaye, deuxième de la série…
Je vous épargne la dévotion de nos teen-agers pour Wally Ballago Seck : un bouquin ne suffirait pas…
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En 2017, cela fait cinq interminables années que Macky Sall, sa famille élargie et ses potes, les nouveaux riches, nous tapent sur le système avec des formules sophistiquées et volontaristes, nous promettant un bonheur qui tarde à émerger.
En 2012, lorsqu’il vire du Palais son ex-mentor, Laye Wade, inusable Pape du Sopi, quatre-vingt-six ans en années Cfa, mais bien plus en temps universel, l’immense majorité de nos compatriotes, qui ont moins de trente-cinq ans, s’imagine qu’on vient d’en finir avec la gérontocratie. Que dans les rangs des officiels, il n’y en aura plus aucun qui s’appuie sur une canne, se promène avec un déambulateur et un pacemaker pour aller au boulot, dont la tension imite les montagnes russes, qui geint en se levant le matin et dont les os craquèlent lorsqu’il s’assoit, et qui examine son courrier avec une loupe.
On a tout faux, et il y en a un peu marre…
Et puis ne voilà-t-il pas qu’on découvre, en cette année miraculeuse de 2017, dans les travées de l’Assemblée nationale, un fringuant député qui sait tout sur tout et dénonce d’entrée les p’tits arrangements entre coquins de l’Assemblée…
Enfin, pour améliorer le sort de la veuve et de l’orphelin, des sans-culottes et des gagne-petit, un honnête homme. C’est un martyr du régime pourri de Macky Sall, un inspecteur des Finances qui entre et sort major de sa promotion à l’Ena, selon les légendes urbaines, que l’on vire de la Fonction publique pour avoir dénoncé des injustices faites à son patron, l’ancien manitou du Cadastre, Tahibou Ndiaye. Mieux, c’est un miraculé : la justice divine le fait entrer à l’Assemblée nationale au plus fort reste, avec 0, 65% des suffrages aux Législatives.
Même si c’est poussif, il est là.
Rien qu’à le voir, on peut avoir confiance : l’honorable député respire la santé, ne crève manifestement pas de faim puisqu’il distribue ses revenus aux démunis, donne son sang aux malades et lance des vacances agricoles… Il a le port altier d’une fashion victime et, surtout, valeur incommensurable, est un polygame dont la barbichette et le point noir sur le front témoignent de sa foi inébranlable dans les valeurs islamiques.
Ça fait si longtemps que ce brave Peuple attend que le Bon Dieu lui envoie un sauveur…
Ben, il est là, c’est un premier de la classe, Ousmane Sonko qu’il s’appelle : les ados ont de quoi se prosterner et les midinettes se pâmer… Son score à la Présidentielle de 2019 est un coup de tonnerre : dans toute l’histoire de notre inébranlable démocratie, il n’y en a que six qui font autant ou mieux que lui… Senghor, Abdoulaye Wade, Abdou Diouf, Moustapha Niasse, Macky Sall et Idrissa Seck. Alors que Macky Sall passe au premier tour à la, euh, surprise générale avec 58%, Idrissa Seck le talonne avec plus de 20%, que piste l’honorable Ousmane Sonko, crédité de plus de 15% des suffrages.
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Comme si ça ne suffit pas comme signe du Destin, le p’tit potentat de Thiès, en principe leader incontestable de l’opposition, transhume pour brouter des herbes plus vertes dans le camp présidentiel, sous prétexte de préserver la stabilité nationale, contre de confortables privilèges.
Défense de ricaner !
C’est sans doute à ce moment-là que l’honorable député arrivé par miracle au Parlement en 2017 devient PROS, comprenez le Président de la République Ousmane Sonko. A n’en pas douter, la Présidentielle de 2024 s’annonce comme une promenade de santé pour Pastef et ses courtisans. Son cabinet s’étoffe : on distingue, dans le désordre, porte-parole, gardes du corps, chef de protocole et courtisans divers.
Si ça n’était que ça…
Ça vient de toutes parts, même s’il n’y a pas que ça, on dénombre dans le fatras : les frustrés, les fâchés, les fauchés, les mécontents, les pubères, les puceaux, les ambitieux contrariés, les nouveaux pauvres, les anciens riches, les enfants de divorcés, les bâtards, les fiancés déçus, les mères célibataires, les chômeurs endémiques et même les cocus fraîchement affranchis…
Tous ceux que la société sénégalaise punit sans raison depuis la nuit des temps trouvent enfin leur justicier. Ça va même plus loin : sur le continent africain, on commence à le regarder comme celui qui va dégager la France…
Et puis, arrive sur la place publique une certaine Adji Raby Sarr. Une masseuse, comprenez un euphémisme pour désigner un morceau de viande tout juste acceptable pour, euh, soulager une épine dorsale promise à la Présidence en 2024.
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Autour du Président putatif de 2024, afin d’ôter tout doute, ça ne parle plus de présidentiable, mais de sainteté : dites dorénavant «Ousmane mou sèll mi», qui dédaigne la Justice corrompue, dénonce la lâcheté d’un président de la République assoiffé de pouvoir, sans scrupule, usant d’expédients pour éliminer ses futurs adversaires de l’élection de 2024.
Le mesquin complot qu’il évente est à échelle d’Etat… Le Président Macky Sall et sa smala multiplient les chausse-trappes, oubliant que «Ousmane Mou Sèll Mi» est l’Elu. Pour contrer la forfaiture présidentielle, les adjoints du Pros deviennent des apôtres de la Bonne Parole : en 2024, ce n’est plus une Présidentielle qui nous attend, mais une sorte d’hégire. Tout ce qui arrive à «Ousmane Mou Sèll Mi» est un signe du Destin. Ses inconditionnels délirent, ses adversaires redoutent le châtiment divin et se terrent…
Nous autres, simples mortels, ça ne l’écoute plus, ça le contemple : lorsqu’il se produit en concert de casseroles, pour ses disciples, c’est un doux hymne de l’émancipation populaire, tandis que pour ses contempteurs, voici sa malédiction qui provoque misère et désolation à travers de sanglants accidents.
Lorsque la Justice convoque Sa Perfection Ousmane Sonko pour s’expliquer des accusations de cette, euh, masseuse surgie des officines de Macky Sall, c’est une insulte à son honorabilité. Rien sur terre et dans l’Au-delà ne justifie qu’il réponde à des questions relevant du dessous de la ceinture. D’ailleurs, le vrai Peuple s’en indigne au point de mettre le pays sens dessus dessous, à feu et à sang. Les quelques cadavres qu’on dénombre dans ces hérésies de l’Etat seront remplacés par leurs mères, si elles ne sont pas ménopausées.
Lorsque, ô sacrilège, Sa Divine Sainteté Ousmane Mou Sèll Mi est condamnée par contumace à deux ans de prison ferme, invraisemblablement pour «corruption de la jeunesse» par un pouvoir corrompu qui instrumentalise un juge imaginatif capable d’inventer des délits sur commande, le Peuple est choqué.
Mais qu’à cela ne tienne, personne n’osera le jeter en prison : il n’est pas fait de la matière qui finit sur la paille d’un cachot.
Et puis, finalement, les suppôts de ce diabolique Macky Sall, ces mécréants, prennent leur courage à deux mains pour en rajouter une couche : appels à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat, accompagnés d’un chapelet de crimes imaginaires dont le vol de portable… Et il est jeté en prison, ô blasphème, comme un justiciable ordinaire. Mais comme il n’est pas comme nous, il exerce son pouvoir de droit divin depuis la télécommande de la prison de l’hôpital. D’ailleurs, en représailles, Sa Divine Sainteté vient d’entamer la seconde mi-temps de sa grève de la faim qui risque de provoquer un déficit vivrier pour la prochaine campagne agricole, la faillite des industries agroalimentaires et peut-être une famine continentale dont on aura du mal à nous remettre. Il nous a pardonné une fois, mais cette fois, il ira jusqu’au bout…
Bien sûr, ceux dont la foi reste inébranlable le crient sur tous les toits : Sa Divinité Ousmane Sonko, qui leur manque cruellement, reste leur candidat, même s’il n’a plus de droits civiques depuis sa condamnation par contumace. Mais ça relève de l’humain simple…
Lui, pour ceux qui savent, Sa Divinité Ousmane Mou Sèll Mi, dont l’eau du robinet est l’équivalent du zam-zam de La Mecque, est bien plus que ça…
Quant à moi, simple mortel, je préfère éviter de rester simple, pour ne pas blasphémer.
Par Ibou FALL