Le défi de Bby : Conquérir l’électeur silencieux

Dans un récent texte paru avant l’annonce du choix porté sur Amadou Ba, nous rappelions le défi de la candidature de Bby, qui doit s’inspirer de la stratégie et du dispositif de l’élection présidentielle de 2019 pour s’imposer en 2024. Nous rappelions que le candidat Président Macky Sall était passé premier dans douze (12) régions sur les quatorze, avec une majorité absolue dans les dix (10). Il était devant ses concurrents partout, sauf au niveau des régions de Ziguinchor et de Diourbel.
C’est dire qu’en 2024, il faudra à Bby beaucoup carburer pour rééditer les résultats de 2019, dans un «contexte nouveau» marqué par plus d’exigences citoyennes, avec un «candidat nouveau» qui doit tirer profit des éléments positifs du bilan tout en tenant compte des reproches (légitimes et souvent infondées) faites à la belle aventure entamée en 2012.
En vérité, au vu des modes (souvent dramatiques et violents) d’expression de «certaines impatiences» citoyennes, notamment au niveau des jeunes, il faudra beaucoup d’humilité, de gages et d’explications pour faire adhérer cette frange déterminante et souvent majoritairement silencieuse.
A la majorité présidentielle, se posent en vérité plus de questions qu’à l’opposition qui a la part belle dans sa posture consistant à faire passer les «trains en retard» pour la règle. A Bby, seront posées les questions essentielles ! Elle doit se les poser d’abord avant qu’on ne les lui pose !
Comment bâtir ou consolider des consensus populaires nécessaires à l’élargissement d’une base affective sociale majoritaire ? Comment être assez en ligne et en phase avec les masses populaires légitimement impatientes et pas forcément au fait des trajectoires faites de la nécessaire patience de germination d’une semence ? Comment bâtir un cadre de réflexions prospectives au-delà des querelles de positionnement et autres calculs ? Comment se départir de l’euphorie du «trop de folklore» avec souvent le bluff des mobilisations factices ? Comment décrypter les codes, les langages et les préoccupations des jeunes générations mouvantes, qui n’ont aucun liant affectif historique avec les «faits de guerre» importants depuis 2012 ? Comment expliquer le bilan du Pse et faire rêver avec le Projet à l’horizon 2035 ? Comment contenir les légitimes impatiences pour qu’elles ne basculent pas dans les bras du discours populistement facile d’une opposition hétéroclite avec des leaders surmédiatisés qui joueront à fond en 2024 leur va-tout ? Comment, au-delà du crédit du Président Macky Sall, garantir une adhésion populaire dynamique autour du choix fait sur Amadou Ba, qui est en vérité le meilleur profil pour Bby ? Comment allier avec un bon dosage le «parrainage du Président Macky» et la touche propre du candidat qui, ne l’oublions pas, ira d’abord à la rencontre de l’électorat avec son style, sa carrure et son parcours ? Quelle forme d’organisation et quels visages rassurants mettre autour du candidat ? Il faudra, avec froideur, éviter que les visages autour du candidat ne soient des boulets, mais des adjuvants qui vont en rajouter en termes de crédibilisation. Il faudra, avec lucidité, «canaliser» certains tonitruants compagnons qui, sans le savoir, pourraient donner une image évidemment écornée au niveau de la perception qu’en aura l’opinion publique. Il faudra accepter la douce tyrannie de l’opinion publique et s’y adapter, puisqu’il sera chronologiquement impossible de tenir dans un «bras de fer» avec cette même opinion.
L’ensemble de ces questions non exhaustives, une fois bien posées et résolues, aideront à mieux éclairer et faciliter le travail de l’équipe de campagne autour du candidat de Bby. Il serait suicidaire de dormir sur les lauriers en pensant que l’élection présidentielle de 2024 est pliée d’avance. C’est méconnaître la complexité de la table de valeurs de l’électeur sénégalais que de se dire que les jeux sont faits. Il est vrai que les inféodés de Bby voteront pour le candidat Amadou Ba. Il est clair que les nihilistes extrêmes voteront contre ou s’abstiendront. Il est tout aussi vrai et complexe qu’une frange de l’électorat non embarquée dans les deux camps précités écoutera, pèsera, soupèsera et procèdera à des choix sur la base de sa propre table de valeurs. Il va falloir décortiquer et connaître les vraies motivations de ces centaines de milliers d’électeurs dangereusement silencieux, surfant en dehors des chapelles politiques. Connaître la motivation de cet électorat silencieux relève de la même gageure qu’un décryptage sans en être formé du beau langage des signes d’un sourd-muet.
En général, l’électeur silencieux place l’aptitude technique et morale du candidat au centre de sa préoccupation. C’est un électeur qui veut la paix, la stabilité et le plein épanouissement. Généralement, il est loin des extrêmes et peut opter pour une logique de sanction d’un leader du fait d’un entourage trop bouillant et bruyant qui donne l’impression de peser dans la marche des choses. Dans le nouveau contexte du Sénégal du pétrole, du gaz et des convoitises de tous ordres, donner les bonnes informations à ce sujet pourrait intéresser l’électeur silencieux qui, avouons-le, a du mal à disséquer le vrai de l’ivraie à cause de la longue cabale contre notre pays. Dieu sait que cette cabale est d’abord le fait de lobbies que dérange la loi patriotique sur le contenu local dans les hydrocarbures, votée depuis janvier 2019, qui fait que notre pays tirera largement profit de cette richesse. L’opposition opportuniste n’a fait que s’agripper à cette cabale avec un brin visible de populisme hélas dangereux, du fait d’un tissu énorme de contrevérités. Bref, la conquête de l’électeur silencieux sera déterminante en 2024. C’est pourquoi, il semble important pour Bby, au vu de la complexité des sujets, de travailler in vitro pour cerner à froid les forces et faiblesses du candidat Amadou Ba, afin d’y travailler urgemment pour élargir les bases des adhésions collectives. En plus du candidat de Bby, il faudra faire le même travail d’analyse des forces et faiblesses des quatre principaux concurrents qui sortiront du parrainage, afin d’avoir un cadre comparatif clair pour affiner la stratégie.
Une candidature à l’élection présidentielle, en plus de la carrure et du parcours, est aussi portée par des propositions concrètes de nature à répondre à des préoccupations majoritairement partagées comme celles relatives à l’emploi des jeunes et à la prise en charge de questions sociales incompressibles.
Pour gagner en 2024, il faudra que l’équipe de Bby pioche au-delà des limites affectives actuelles par des actions hardies du gouvernement d’ici décembre 2023 et avec de nouvelles initiatives annonciatrices du bon amorçage de la troisième phase du Pse à l’horizon 2024-2029.
Le maître-mot doit être la générosité en ces moments où les calculs crypto-personnels n’ont plus de raison d’être si tant est qu’à Bby, il y a une claire conscience de ce qui se joue pour le Sénégal.
«Le silence est la sieste du bruit», disait le célèbre comédien français José Artur. Le défi, pour l’équipe de Bby, est au décryptage froid des messages de l’électeur silencieux qui, en réalité, détient les clefs du succès.
Mamadou NDIONE
Economiste Ecrivain
Maire de Diass