Nous avons assisté à «l’invasion d’un pays par un seul homme». C’est cette phrase sublime de Chateaubriand qui résuma merveilleusement le retour d’exil de Napoléon de l’île d’Elbe et les 100 jours qui lui ont permis de reconquérir le pouvoir. Wade, après des années d’exil, revient au Sénégal pour relever le même défi que Napoléon, à savoir soumettre un pays et institutions pour un seul homme : son fils Karim Wade. En tout cas, il a l’audace de Napoléon, mais il n’a aucune chance de réussir «l’invasion d’un pays par un seul homme» et pour un seul homme. Autant son retour de 2014 était un succès grâce aux maladresses du pouvoir qui voulait lui fermer l’aéroport, autant cette fois-ci le pouvoir a tout fait pour banaliser ce retour.
En aucun cas, ce retour de Wade ne peut être comparable à celui de 2014, car le pouvoir a tiré les leçons de ses erreurs, ou à celui du 27 octobre 1999, qui était le début de l’épilogue de sa longue marche vers le pouvoir. En 1999, le régime socialiste, après 40 ans, était dans sa phase thermidorienne. 1999 marque la fin d’un cycle pour le régime socialiste, alors que le régime de Macky Sall est la continuation d’un autre cycle inauguré par Wade. En deux semaines, on ne voit pas comment Wade peut changer le cours des choses, car il n’en a pas les forces politiques et encore moins sociales. En 1999 et 2014, Wade menait un combat pour le Sénégal, mais aujourd’hui, il mène un combat pour son fils. En lieu et place de Ali Bongo ou de Faure Gnassingbé, Karim Wade risque d’avoir le même destin que le roi de Rome.
Le roi de Rome, le fils de Napoléon, qu’il a essayé jusqu’à la dernière minute de mettre sur le trône. Le 27 octobre 1999, j’avais été chanceux pour avoir décroché la première déclaration de Wade devant le mythique siège du Pds de Colobane. La marée humaine qui avait déferlé à Dakar pour accueillir Wade était un «superbe lever de soleil» qui allait éclairer la marche vers l’alternance. Ce dernier retour de Wade va être un coucher de soleil sur un homme exceptionnel avec un destin exceptionnel, qui a été au centre de la vie politique de notre pays des années 1970 à nos jours. Ce dernier combat risque de connaître le même sort que le troisième mandat : perdu d’avance. Napoléon, c’est à la
fois Austerlitz, le Code civil, mais aussi Waterloo. Pour l’histoire Wade, ce sera l’exception sénégalaise, l’alternance du 19 mars, les infrastructures. Autant de grands combats et de grandes batailles gagnées, mais ce sera aussi les petits combats perdus comme le troisième mandat et la croisade pour imposer au Sénégal son fils. Ce dernier combat de Wade est perdu d’avance, car on ne voit pas comment il va empêcher la tenue des élections.
Wade peut avoir la détermination du capitaine Achab de Moby Dick, mais la baleine qu’est l’Etat aura le dernier mot. Wade ne peut pas gagner, mais il pouvait aider à faire perdre Macky Sall en s’alliant aux candidats de l’opposition qui ont réussi à passer le cap du parrainage et les mailles du Conseil constitutionnel. Mais sa stratégie actuelle affaiblit les opposants, et donc par conséquent renforce Macky Sall, car le noyau dur du Pds qui vote Wade depuis 1978 aurait permis à un candidat de l’opposition de faire au moins 10 points. Ce qui fait que ce noyau dur n’ira pas non seulement à l’opposition, mais Macky Sall va en prendre une bonne partie. Ce qui m’amène à penser que Wade qui est un fin politicien, est soit aveugle par amour pour son fils, son orgueil, ou il a un accord avec Macky Sall. C’est comme la position très byzantine de Aïda Mbodj qui, refusant de prendre parti, renforce aussi indirectement Macky Sall. Mais la position de Aïda Mbodj peut se comprendre après l’ouragan d’indignations suscité par la décision de Aïssata Tall Sall de rallier Benno bokk yaakaar. L’opinion qui n’avait pas réagi de la même manière quand il s’était agi de Serigne Mbacké Ndiaye, ou de Souleymane Ndéné. Cette violence de l’opinion est proportionnelle à la déception et à l’espoir que madame le maire de Podor avait soulevé grâce à ses positions très courageuses.
Les desseins de la Providence sont impénétrables. Ceux de la politique aussi, mais a priori on peut être sûr que Wade va perdre son dernier combat, si celui-ci se résume à empêcher la tenue de l’élection présidentielle. Même si Wade va perdre son dernier combat, empêcher la tenue de la Présidentielle, il aura quand même eu une vie politique exceptionnelle. Il a été au centre de la vie politique quand il était dans l’opposition, a été le maître du jeu quand il a été président de la République pendant 12 ans, et continue d’être un acteur majeur après avoir perdu le pouvoir depuis 7 ans. «Il y a eu des géants, mais Alexandre Le Grand était un colosse.» Ainsi parlait Ptolémée 1er à propos de Alexandre. Sur le plan politique, le Sénégal a eu quelques géants, mais Wade est un colosse. Un colosse dont son fils a été le talon d’Achille. Ce fils qui a été à l’origine de la brouille avec ses meilleurs généraux : le fils d’adoption Idrissa Seck et le fils de substitution. L’histoire retiendra aussi que quand le père Wade, le fils biologique Karim, et le fils d’adoption Idy ont commencé à prendre au sérieux le fils de substitution Macky, il était déjà trop tard.