Le discours non inclusif du Bour Sine Niokhobaye Diouf lors des Journées culturelles et de prières des 121 villages de la Collectivité léboue

Les Journées culturelles et de prières des 121 villages de la Collectivité léboue ont été marquées par un discours du Bour Sine Niokhobaye Diouf Fatou Diène, parrain d’honneur de l’événement qui n’est pas inclusif, n’œuvre pas pour l’unité nationale, ni pour la cohésion sociale et ni pour le vivre-ensemble au Sénégal.
Ce discours est un résumé de la profession de foi du programme des entrepreneurs de cousinage à plaisanterie periphéro-centristes dont l’objet principal serait de déconnecter l’ethnie wolof de l’histoire de la Sénégambie.
Le Bour Sine, comme l’idéologue séréro-centriste Marcel Mahawa Diouf, appelle à une alliance entre tous les non-Wolofs qui ont eu des alliances historiques entre eux…
Dixit : «Notre présence ici témoigne, aussi, d’une vérité fondamentale : Lébous, Sérères, Diolas, Peuls, et je peux même ajouter Mandingues, ancêtres des Guelwars du sine, sont unis par une origine commune.»
Boursine Niokhobaye n’aurait pas dû omettre de citer dans son discours, l’ethnie majoritaire au Sénégal : les Wolofs (53% de la population sénégalaise), surtout qu’il a du sang wolof, étant un descendant direct des deux Bracks wolofs du Walo : Yerim Mbagnick Aram Bakar Mbodj et Kouly Mbaaba Diop.
On a l’impression dans le discours que le seul but de revisiter ces anciennes alliances est de déconnecter les Wolofs et de les déshériter de la région de la Sénégambie et de son histoire. Comme l’indique Etienne Smith dans son ouvrage, La nation «par le côté» : Le récit des cousinages au Sénégal.
Et le Bour Sine d’indiquer : «Par ailleurs, nos ancêtres, eux-mêmes, avaient déjà affirmé cette réalité à travers les grandes légendes fondatrices de nos peuples.
On raconte qu’il y a fort longtemps, quatre sœurs, issues du même lignage, se séparèrent pour donner naissance aux différentes communautés que nous connaissons aujourd’hui :
Aguène, l’ancêtre des Diolas,
Diambogne, l’ancêtre des Sérères,
Debbo, l’ancêtre des Peuls,
Mané, l’ancêtre des Lébous.
Cette légende, comme toute tradition orale, a peut-être son côté irrationnel. Mais elle repose sur une vérité historique qui transparaît encore dans nos pratiques, nos croyances et même nos noms de lieux. Nos cultures ne sont pas seulement proches, elles sont intimement liées.»
Nous apportons beaucoup de réserves à ces affirmations qui relèvent plus de l’idéologie que de la vérité historique.
Au sujet de la légende Aguène et Diambogne
En dehors de la légende Aguène et Diambogne, il serait quasi impossible de citer des faits historiques et des relations culturelles historiques qui lient les différentes tribus diolas et les différentes tribus sérères ? Posons-nous ces questions simples :
A laquelle des sept tribus diolas Aguène ? : Blis, Karoon, Jugut, Jamat, Jiraagon, Kasaa et Bluf ?
A laquelle des 6 tribus sérères Diambogne, la sœur jumelle de Aguène, appartenait-elle : Noone, Safi, Paalor, Ndut, Lehaar, Sine Sigandum ?
Les différentes ethnies séreres ne sont-elles pas plus apparentées, n’ont-elles pas plus d’affinités culturelles et historiques avec les Mandingues (Niominka) et les Wolofs (Baol Baol, Mbalonjaafen et Lébou) qu’avec les 7 différentes tribus diolas ?
Les terroirs diolas et sérères ne sont point contigus et les deux peuples ne sont pas voisins ; ils sont séparés par le fleuve Gambie dont les rives sont peuplées par les Mandingues.
La société sérère, surtout du Sine, est hiérarchisée comme celle des Wolofs, Mandingues et Toucouleurs, contrairement à la société acéphale diola.
Comme pour les promoteurs du cousinage à plaisanterie, notre lointain cousin du Waalo, Bour Sine, parle d’un héritage commun à préserver entre Sérères, Diolas et maintenant avec les Lébous et les Peuls.
Car maintenant, on a inventé pour les jumelles Aguène et Diambogne, de nouvelles sœurs, la Léboue Mané et la Peule Debbo, ce qui en fait des quadruplées, en attentant que leur légende de bric et de broc ajoute une nouvelle sœur socé Naabaa, ce qui fera une sororité de quintuplées. Mais dans cette famille, Coumba la Wolofe n’a-t-elle pas sa place ?
Malheureusement pour ces entrepreneurs du cousinage à plaisanterie, les ethnies des périphéries seules doivent émerger comme les véritables agents de l’histoire de la Nation sénégalaise.
C’est pourquoi l’ethnohistoire léboue est particulièrement valorisée par ces promoteurs dans le récit des cousinages, car elle permet de présenter une coexistence à égalité entre petites patries historiques, alors que l’introduction de l’ethnohistoire hégémonique wolofe viendrait briser cet équilibre.
Il y a une véritable volonté de déconnecter du label wolof les ethnohistoires voisines, ce qui est impossible.
Ce qui est d’autant plus frappant, c’est qu’il existe bien un corpus de mythes disponibles, comme celui de Njaajaan Njaay qui permettrait de connecter le label wolof aux labels toucouleur, mandingue et sérère notamment.
Au-delà du mythe fondateur, toute l’histoire politique et du peuplement de l’aire du Jolof et des royaumes qui en sont issus (Waalo, Kajoor, Bawol) est saturée de syncrétismes wolof, toucouleur, sérère, maure et mandingue.
Pour ces idéologues, les Wolofs ne constituent pas une ethnie, mais une langue, un syncrétisme, un produit final issu de tous les métissages.
Pourtant, le père Henri Gravand, un initié dans la culture sérère, indiquait dans son ouvrage La civilisation sérère pangol que «l’expansion de l’ethnie wolofe a rassemblé autour d’un noyau authentique wolof, de nombreux Sénégalais habitant la vallée du fleuve Sénégal et qui n’appartenaient pas par la naissance à cette ethnie. Ils s’y sont insérés pleinement par la culture».
Le génie wolof a été de rassembler les hommes et de leur proposer une culture accueillant tous les apports et toutes les valeurs.
Cependant, l’ethnie wolofe n’est pas seulement une culture. Elle est d’abord une ethnie…
Dans le discours de ces ethnocentristes, le wolof n’est pas présenté comme une identité distincte, mais uniquement comme le produit final et incontrôlé de cette histoire, vidé de toute substance historique propre et pérenne. Le wolof n’apparaît qu’à la fin et non au début de l’histoire.
Et pourtant les Wolofs, dans leur esprit et volonté d’inclusion et de Yaatal, ont, à travers leur mythe du personnage légendaire de Ndiadiane Ndiaye, cherché à intégrer dans l’unique empire dans l’espace sénégambien, celui du Djolof, toutes les autres ethnies.
Malheureusement, comme l’indique le professeur Makhtar Diouf dans son ouvrage Sénégal, les ethnies et la nation : «En réalité, s’il existe des Wolofs de souche, à partir de plusieurs générations, la grande majorité constitue une sorte de «no man’s land» qui n’est wolof que de façon négative, parce que ne se rattachant de façon précise à aucune des autres ethnies : on n’est ni Haalpulaar, ni Sérère, ni Manding, ni Joola, ni Basari, parce que ne parlant aucune des langues de ces groupes ethniques ; alors on se déclare Wolof.»
Les Wolofs et Sérères ont cheminé ensemble depuis l’Egypte antique, en passant par le Sud Soudan, pour s’installer au Tekrur où leur métissage avec les berbères et les Peuls a produit l’ethnie toucouleur. Continuant leur odyssée, les Wolofs et Sérères se sont installés dans le Nord et Centre-ouest du Sénégal.
Et les Sérères n’ont que les Wolofs comme uniques voisins
Quant à l’ethnohistoire léboue qu’on veut valoriser pour nier subtilement l’identité ethnique des Wolofs, c’est une illusion.
Les Lébous, en tant que sous-groupe de l’ethnie wolofe, partagent avec les Wolofs la même langue, la même culture, la même histoire.
Les plus grandes familles léboues peuvent retracer leur origine en pays wolof. Des exemples parmi tant d’autres : les deux Grands Serigne de Dakar : Pape Diagne (descendant de Maalicouma Diagne de Ndombo Sandjiry) et Abdouaye Makhtar Diop (descendant de Téymour Diop de Guéth au Cayor), et Seydina Limamou Laye de méne Khagane du Cayor.
Les Lébous, malgré une différence d’accent, communiquent avec le reste des Wolofs ; quant aux 7 tribus diolas ou les 6 tribus sérères, elles ne se comprennent pas car ayant des idiomes différents.
On ne peut pas nier l’identité ethnique des Wolofs qui :
constituent la majorité de la population sénégalaise ;
sont parmi les premiers habitants du Tekrur, matrice de la Nation sénégalaise ;
ont créé 4 royaumes : Waalo, Cayor, Saloum, Baol, et l’unique empire, celui du Diolof, dans l’espace sénégambien ;
ont opposé la résistance armée la plus violente, la plus longue face à la pénétration coloniale dans l’espace sénégambien ;
ont créé la civilisation urbaine sénégalaise moderne au niveau des 4 communes : Rufisque, Dakar, Gorée et Saint-Louis ;
ont créé un modèle islamo-wolof à travers les quatre confréries que sont les Layénes, les Mourides, les Tidianes et les Niassénes ;
ont fait de leur langue dérivée de l’égyptien ancien, la lingua franca de Nouadhibou à Bissau ;
ont réussi à faire de leur culture, de leur musique et de leur art, une identité sénégalaise ;
comment peut-on oublier de citer dans un discours, les Wolofs qui ont attribué l’ethnonyme sérère aux six peuples Sine-Sine, Safen, Palor, Lehar Ndut, Noon, selon le Pr Jean Boulegue dans son ouvrage Les royaumes wolof dans l’espace sénégambien (XIIIe-XVIIIe siècles).
Ceux qu’on nommera plus tard, à partir d’une appellation donnée par les Wolofs, les Sérères, furent nommés «Barbacins» aux XVe et XVIe siècles : «Barbacini» de Da Mosto, «Barbaciis» de Pereira, «Barbacins» de Fernandes…
Nous esperons que lors de son prochain discours, Bour Sine, en s’adressant aux descendants de Aguéne, Diambogne, Mané et Debbo, s’exprimera non pas en wolof, mais dans une de leurs langues, et n’utilisera point les concepts de la philosophie morale wolofe, comme dans son discours : «La perte des valeurs de jom, keersa, ngor, teranga, mugne, qui servaient de référents à notre peuple…»
Diawdine Amadou Bakhaw DIAW
1 Comments
Quand on cite un exemple d’appartenance ancrée et de diversité en milieu lébou, un « serigne Dakar » ou un Diop de Témour Diop ne peuvent être des exemples pertinents. Témour Diop n’étant arrivé au Cap-Vert qu’en 1752 sinon un peu plus tard…