De nos jours, le financement constitue un véritable casse-tête pour les acteurs des chaînes de valeurs agricoles et agroalimentaires. La disponibilité insuffisante ou l’absence des ressources financières, combinées aux échecs de nos politiques de crédit dans le secteur de l’agriculture, impactent négativement les performances du secteur et par ricochet notre économie.
A cela, s’ajoutent la faiblesse de la productivité agricole, l’instabilité de la pluviométrie, le manque de structuration des chaînes de valeurs agricoles et agroalimentaires dans certaines zones agroécologiques, l’absence de modèles de financement intégrés, l’absence de garantie, etc. Malgré l’existence de certains instruments de garantie tels que le Fonsis et le Fongip, et d’autres mécanismes mis en place par l’Etat et le secteur privé sous forme de fonds de garantie, le déficit des crédits bancaires dans le secteur demeure une préoccupation pour les acteurs. Parallèlement, le Covid-19 et ses corollaires ont impacté négativement la qualité du portefeuille des institutions financières qui ont comme cible le monde rural. Les producteurs à la base enregistrent une ardoise d’impayés dans certaines institutions financières de la place et occasionnent une rupture de relation et/ou un déclenchement de processus de recouvrement aux contentieux conformément aux principes qui réglementent l’activité bancaire.
Fort de tous ces constats, pour relancer le secteur de l’agriculture, l’Etat devra impérativement trouver, avec les parties prenantes, des moyens pour renforcer les mécanismes de financement des banques parapubliques et trouver une solution aux impayés comptabilisés par les producteurs grâce à l’impact du Covid-19 et de la baisse de la productivité agricole. A cela, s’ajoute aussi son obligation de régler, sans délais, les montants dus aux opérateurs privés stockeurs afin de préparer la prochaine campagne d’hivernage.
Sous ce rapport et dans une perspective d’amélioration de l’efficacité des filières agricole et agroalimentaire, il devient nécessaire et urgent de revoir le système de la politique de financement dans notre pays. Ledit système devra être corrélé avec les objectifs de production agricole et agroalimentaire, tout en intégrant la contribution du secteur privé.
Si nous nous référons aux premières sorties du ministre de l’Agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage, force est de constater que les autorités se sont à nouveau engagées à faire du développement de l’agriculture et de l’agro-industrie une priorité. La finalité de cet objectif est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et de mettre fin à la dépendance du pays aux importations, notamment en riz, et à certains produits horticoles pendant une certaine période de l’année. Parallèlement, certaines industries comme la Sonacos, les agroindustriels dans les chaînes de valeurs riz et arachide en particulier, la Sodefitex, etc., ne parviennent plus à atteindre leurs besoins en collecte et de relèvement du niveau de leur plateau technique. Toutes ces faiblesses expliquent l’absence de performances dans le secteur agricole et par ricochet des difficultés pour assurer un retour sur investissement par les entrepreneurs agricoles.
Pour atteindre la souveraineté alimentaire et contribuer à résoudre la problématique de l’emploi des jeunes à travers le secteur primaire, l’Etat du Sénégal, à défaut de procéder à des réformes qui les regrouperont en un seul instrument fort et performant, doit impérativement promouvoir la mise en valeur du potentiel agricole en appuyant les institutions financières comme La Banque agricole (Lba), la Banque nationale de développement économique (Bnde), la Der-Fj et les autres instruments de financement. Cet accompagnement devra aboutir à la mise en place d’offres spécifiques de crédits à l’investissement pour accompagner le développement d’une agriculture plus performante sur les plans agronomique, économique, écologique, commercial, et plus résiliente face aux aléas, notamment climatiques. En sus, pour minimiser les risques intrinsèques à l’activité agricole, la Compagnie nationale d’assurance agricole doit être accompagnée afin de rendre notre agriculture résiliente et d’inciter les institutions de financement à injecter leurs ressources dans le secteur. Le développement de partenariats public-privé, à travers des fonds de garantie, des lignes de crédit à des taux concessionnels, une organisation des acteurs à la base seraient aussi une excellente opportunité pour minimiser les risques.
Si nous faisons un diagnostic du financement de l’agriculture, nous comprendrons que les crédits de court terme au profit des acteurs des chaînes de valeur ont montré leurs limites et ne sont pas performants face aux nombreux aléas auxquels le secteur fait face. En d’autres termes, toute organisation de producteurs et d’entrepreneurs agricoles qui rate une campagne agricole a moins de chances pour cheminer avec les institutions financières. Certes des mécanismes existent, mais ils ne sont pas performants, sans impact et non pérennes.
A date, quel est le niveau d’endettement des producteurs et des autres acteurs du secteur agricole ? Quel est leur niveau d’impayés dans les portefeuilles des institutions financières locales ? Quelle stratégie pour une reprise de relation entre certains agri-entrepreneurs et les institutions financières de la place ? Quel mécanisme innovant pour toucher tous les acteurs des chaînes de valeur ? En amont du financement, pour assurer un retour sur investissement, quelle stratégie pour rentabiliser la production agricole ? Voilà tant d’interrogations qui méritent une réponse si nous envisageons de développer les chaînes de valeurs agricoles et agroalimentaires à travers l’échiquier national.
Quelques alternatives pour un financement durable du monde rural
Pour pallier toutes ces contraintes relatives à l’accès au financement, plusieurs leviers doivent être actionnés : amélioration de la productivité et de la production agricole, structuration des chaînes de valeur, démocratisation du financement avec des taux concessionnels, financement des jeunes entrepreneurs agricoles, gestion des risques de crédits.
Financement des jeunes entrepreneurs agricoles
Pour améliorer la qualité des ressources humaines porteuses de projet de développement dans le secteur primaire et régler partiellement la problématique de l’emploi des jeunes, les sortants des écoles de formation comme l’Ecole nationale supérieure d’agriculture de Thiès (Ensa), l’Ufr S2ata de Saint-Louis, du Master en développement rural et coopération de l’Ugb, l’Ufr agro de Ziguinchor, les Isep, entre autres, doivent être incubés pendant quelques mois, juste avant ou après leur formation. Des passerelles et canaux de communication doivent être établis entre ces instituts de formation agricole, le secteur privé et les institutions financières pour préparer les diplômés à l’activité entrepreneuriale. Bien entendu, ils devront au préalable être sensibilisés et motivés pour avoir le goût du métier. Plusieurs métiers, depuis la fourniture des intrants jusqu’aux activités post-récoltes, peuvent être créés pour permettre à la jeunesse de régler la problématique de l’employabilité et de l’emploi.
Des mécanismes devraient aussi être mis en place pour assurer leur insertion dans la vie professionnelle, à travers l’entreprenariat agricole et la mise à disposition de produits et services financiers à leur profit. Les Technologies de l’information et de la communication (Tic) constituent aussi une excellente niche à explorer. Cette niche permet de maîtriser l’information agricole et joue un rôle important dans la mise en place de systèmes de marché, de cartographie des parcelles de production, etc. Si tous les préalables sont établis, les institutions financières mettront à leur disposition des produits et services taillés sur mesure.
Le Système de financement décentralisé (Sfd) doit s’impliquer plus activement dans l’accompagnement des petits entrepreneurs agricoles. Cela peut être soutenu par la mise en place de ressources affectées par des structures comme la Fonamif, entre autres. Les banques, quant à elles, devront déployer des ressources pour accompagner les Pme et Pmi, afin de tirer les petits exploitants à travers des schémas intégrant les producteurs, les agrégateurs, les agro-industriels, etc.
Enfin, La Banque agricole, instrument incontournable dans le financement de l’agriculture, doit être fortement renforcée et appuyée pour porter dans ses livres toutes les lignes de crédits et les fonds venant des partenaires financiers et du secteur privé, et destinés au secteur agricole.
Si nous voulons intensifier notre agriculture incontestablement, des mécanismes de financement innovants doivent être mis en place pour permettre aux associations de coopératives d’acquérir de gros investissements comme les tracteurs, les moissonneuses-batteuses, des infrastructures de stockage et de conditionnement, la réhabilitation et l’extension des périmètres irrigués dans certaines zones agro-écologiques du pays.
Enfin, pour accéder aux petits matériels agricoles et faire de gros investissements, les institutions financières doivent être appuyées afin de booster leurs portefeuilles de crédit-bail et de micro-leasing à travers des modèles de financements intégrés.
Djibril BA
Ingénieur Agroéconomiste
Ingénieur Financier
MBA en Finance et Management
Ancien Cadre de Banque
Enseignant Vacataire
Doctorant en sciences économiques et Gestion
Responsable du Parti Fepp Tawfekh à Thies
Sg National chargé de la formation et de l’académie du Parti Fepp Tawfekh
daoudarassoul1@yahoo.fr