On nous avait promis qu’il y aurait un avant 8 novembre, un 8 novembre et un après 8 novembre. Et aucun de ces jours mémorables n’allait ressembler aux autres. La grand-messe du parti majoritaire du pays était si importante pour la suite du mandat que le pays allait ressentir la nouvelle gouvernance de manière fondamentale.
La chose la plus remarquable a été la mobilisation de la foule. Grâce à une météo clémente, et sans doute à une forte logistique, la mobilisation a été notable. Des vues aériennes des masses qui se dirigeaient vers l’esplanade du Stade Léopold Senghor ont rappelé quelque part les haies qui se sont formées pour l’accueil de l’actrice indienne rendue célèbre en Afrique par la série «Vaidehi». Mais ce n’était pas du tout comparable au défilé triomphal des «Lions de la Teranga» avec leur premier trophée continental. Cette mobilisation des foules est tellement accessoire qu’elle n’en finit pas d’être oubliée. On sait que tous les chefs d’Etat sénégalais n’ont jamais eu des problèmes à mobiliser les foules à chaque demande. On savait dès le départ que cela n’allait pas être l’élément fondamental du Tera meeting du 8. Tout le monde, y compris les militants les plus convaincus, s’attendait à un discours encore plus rassembleur. Et sur ce point, on ne peut prétendre que ce fut un triomphe, loin de là.
D’abord, le discours ressemblerait plus à un thriller américain, avec beaucoup de séquences retour. Le président de Pastef, qui a pris des jours de congé pour préparer un «Tera meeting» annoncé de longue date et planifié avec soin, n’a rien apporté de nouveau. Spécialiste d’attaques ad hominem, il n’a pas retenu ses coups quand il s’est agi de tenter de régler des comptes, virtuels ou réels, et de donner des coups à ses «punching balls» habituels : Macky Sall et des membres de sa famille, Mame Mbaye Niang, à qui Sonko doit de ne pas avoir été candidat à la dernière élection présidentielle, ainsi que d’autres dont … bizarrement, des proches du pouvoir, comme le ministre de l’Environnement. Avec Sonko, on voit un Premier ministre accuser un ministre de son gouvernement de détournement de fonds. Il a dit que c’est ce qui explique le changement d’attribution qui a affecté ledit ministre. Une explication qui a suscité un gros malaise dans son auditoire. Les gens n’ont pas compris pourquoi ce ministre, accusé de mauvaise gestion par son propre supérieur, n’a pas été relevé de ses fonctions et traduit devant les instances judiciaires. Bien au contraire, il lui a été confié un poste non moins important.
Le même malaise a été approfondi avec la révélation de rapports d’audit «découverts» par le Premier ministre, alors que le chef de l’Etat, unique commanditaire et seul destinataire des rapports de l’Inspection générale d’Etat (Ige), était dans l’ignorance totale. Il est vrai que, durant son séjour dans l’opposition, M. Sonko avait l’habitude de se vanter de pouvoir entrer en possession de tous les «secrets» que les tenants du régime de Macky Sall pensaient détenir. L’ennui avec ses documents, est qu’il en parle beaucoup, mais ne parvient jamais à les présenter. Cela lui avait valu une condamnation dans son conflit avec l’ancien ministre de la Jeunesse, Mame Mbaye Niang.
Une condamnation qui lui est restée en travers de la gorge, et qu’il voudrait effacer par d’autres moyens, ayant épuisé toutes les voies de recours judiciaires. La chose n’étant pas aussi aisée qu’il le souhaiterait, il a repris son autre antienne, déversant sa bile devant le corps de la Magistrature. De manière incroyable, comme l’ont d’ailleurs relevé beaucoup de personnes, la seule tête de Turc épargnée le samedi 8 au stade, a été Madiambal Diagne. En aucun moment, Ousmane Sonko ne s’est donné la peine de citer le fondateur du Groupe Avenir Communication et de la Sci Pharaon dans ses diatribes. Est-ce parce que ce dernier, en exil forcé, ne peut être atteint pour le moment par sa colère ? Cela n’a pas empêché le leader de Pastef de demander à Macky Sall de «revenir au pays et d’affronter la Justice», lui rappelant que son pays n’est pas le Maroc, mais le Sénégal, «et sa maison est à Mermoz». Non. Le black-out sur le nom de Madiambal pourrait plutôt être dû aux «révélations chocs» de Madiambal sur les rapports mystérieux entre Ousmane Sonko et l’ancienne tenancière du salon de massage «Sweet Beauté». A coups de fac-similés, Madiambal n’a pas hésité à impliquer la dame dans un contrat d’armement que lui aurait accordé l’Etat, avec le soutien du Premier ministre. Chose inhabituelle au Sénégal, cette «révélation de Madiambal» sur les ondes de la 7Tv et de la Rfm, n’a eu pour écho qu’un turbulent silence. Cela serait-il dû à ce que Sonko avait dit de M. Diagne, que ce dernier «ment tellement qu’il en est tout noir» (dafa fenn bë nioul) ? En d’autres temps, des questions de ce genre auraient suscité à tout le moins une mise au point, ou au minimum, une mise en demeure.
Mais tout ce bruit, tout ce tumulte, a fait ressortir le silence autour des questions qui préoccupent le plus les Sénégalais. Alors que les Sénégalais n’en peuvent plus d’attendre la baisse promise par le chef du gouvernement, des tarifs de l’énergie, que la gestion de la Senelec fait craindre à certains le retour des années de braise, quand la fourniture de l’électricité se faisait de manière intermittente, quand les zones inondées dans certaines régions ne voient pas de programme de pompage des eaux de pluie, on assiste plutôt à des batailles de positionnement au sommet de l’Etat.
Depuis le mois de septembre 2024, quand les «révélations» intempestives du chef du gouvernement ont poussé le Fonds monétaire international à suspendre un programme de 1, 8 milliard de dollars avec le pays, en révélant une «dette cachée d’une ampleur inégalée en Afrique», les Sénégalais semblent entrer sous perfusion. Après avoir assuré que le pays n’avait besoin d’aucune assistance étrangère pour se sortir de l’ornière, le gouvernement est aujourd’hui suspendu à la volonté du Fonds. Et cette institution, comme par plaisir, a trouvé le moyen de faire traîner les choses et de mettre notre chef du gouvernement sur des charbons ardents. Au point que chaque fois qu’il parle de l’institution de Bretton Woods, ce sont nos eurobonds qui perdent en valeur.
Alors que les services du ministère des Finances et du budget demandent à l’Assemblée de voter un budget ambitieux mais raisonnable, le Premier ministre, qui nous promettait, après nous avoir fait plonger au 4ème sous-sol, de nous sortir de l’ornière en moins de deux ans, nous rappelle l’importance de la solidarité. Lui qui, avant son arrivée aux affaires, nous promettait de mettre fin à l’émigration illégale, demande aux Sénégalais de la diaspora de ne pas lésiner sur leurs efforts pour financer les efforts de redressement de l’Etat. L’ironie est que, lors de la pandémie du Covid, Macky Sall avait aussi lancé un Pres -son Programme de relance économique et sociale- qui avait impliqué de mettre 30 milliards de Cfa à la disposition des Sénégalais de l’extérieur affectés par la pandémie. Aujourd’hui, il sera une fois de plus temps de rappeler à ces compatriotes dont l’apport à la victoire électorale du Projet n’est pas négligeable, qu’il s’agit cette fois de mettre encore une fois la main à la poche pour «le don de soi».
Quant à ces compatriotes oubliés des zones inondées, à ces marchands ambulants condamnés au déguerpissement de leurs marchés ou des ruelles encombrées qu’ils squattent pour trouver leur «dépense quotidienne», ces nombreux jeunes pêcheurs qui ne trouvent toujours pas de poisson dans les mers, et qui se trouvent bloqués par les gendarmes et les garde-côtes qui les empêchent de rêver à «Barça ou Barsakh», tout ce monde, hé bien !, le Premier ministre lui a demandé d’être patient. On a tous fini par comprendre que la gestion de Macky Sall a été si catastrophique qu’il faudrait plus qu’un seul mandat pour redresser le pays.
D’accord. Mais qui va pouvoir réaliser ce second mandat, au vu de la situation de l’attelage Diomaye mooy Sonko ? On avait pensé que notre Roi Fainéant, qui encourageait son «Premier Ministre Super-Fort» à bien regarder son fauteuil et ne pas se contenter de le lorgner, allait devoir gracieusement céder son siège à son mentor. Mais au vu du l’évolution des choses, on ne peut même pas garantir que demain Diomaye sera encore Sonko !
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn