Le Fmi, la dette et les agences de notation

Tous ceux qui s’intéressent à l’état de l’économie et de la société sénégalaise prient pour que, le 18 octobre au plus tard, les ministres qui se sont rendus aux réunions annuelles conjointes du Fmi et de la Banque mondiale, à Washington, nous ramènent la bonne nouvelle d’une reprise de la coopération entre le Sénégal et le Fonds monétaire international. Cela serait conforme aux déclarations et engagements de dirigeants du Fonds lors de leurs dernières sorties concernant le Sénégal. Un accord entre les deux parties signifierait que le Fonds a fini par passer l’éponge sur les questions des «fausses déclarations, dettes cachées», qui ont mis l’institution de Bretton Woods dans l’obligation de cesser toute coopération avec nous, plongeant le pays dans un profond marasme. Pourtant, serait-ce pour autant la fin de la traversée du désert pour le pays ?
En dehors des personnes proches du pouvoir, quasiment tout le monde sait que les sources des problèmes économiques du pays sont, la plupart du temps, puisées dans la bouche de nos dirigeants. Une longue habitude d’expression incontrôlée de la part d’opposants a fait que même aux plus hauts niveaux de responsabilité, les gens ne savent pas contrôler leurs propos. On ne peut, devant un parterre de représentants des milieux financiers internationaux, se laisser aller à déblatérer sur les institutions financières, et s’attendre à ce que, le lendemain, lesdites institutions financières vous avancent de l’argent avec le sourire.
Mieux, vous allez auprès de ces institutions, la fleur au fusil et le sourire ingénu, en reconnaissant que vous avez brûlé tous vos vaisseaux et fait de votre navire un nouveau Titanic, et que, pour cette franchise, ils devraient vous récompenser en vous avançant de l’argent, avec pour seul gage votre parole, que vous présentez comme la meilleure des garanties.
Pour faire oublier nos nombreuses déroutes, les autorités nous font miroiter les magnifiques réussites des placements des bons du Trésor sur le marché régional. Il est vrai qu’à chaque fois, le Sénégal obtient toujours plus que le montant sollicité. Cela est jugé comme étant la marque de la crédibilité de la signature du pays. Cela est une belle manière de voir les choses. Il faut juste tenir compte du fait que les bons et les obligations du Trésor placés par le Sénégal sont en majorité rachetés par les mêmes clients, à savoir les banques et les compagnies d’assurance de la sous-région. Ces partenaires savent parfaitement où en est la situation de l’économie sénégalaise. Elles savent que le pays a besoin de faire tourner sa trésorerie, et ne veulent pas la laisser plonger dans la banqueroute.
Mais leur «générosité» n’est pas gratuite. Les bons du Trésor du Sénégal cédés à plus de 6% ne sont pas vraiment «donnés», contrairement à ce que nous laisse croire le discours triomphaliste officiel. Cet argent récolté de cette manière permet à l’Etat de s’acquitter de ses obligations extérieures, notamment en honorant sa signature en ce qui concerne l’encours de la dette, et de payer certains salaires. Mais, ces montants, qui se remboursent quasiment tous les 6 mois, ne peuvent même pas servir au refinancement des projets économiques ou d’infrastructures.
Et l’Etat s’enfonce dans un cercle vicieux qui risque de nous conduire à un niveau tel que le pays n’aura pas beaucoup de ressources pour résister aux exigences de nos partenaires. Si l’on a montré à la face du monde que l’on n’a quasiment plus de marges budgétaires pour mettre en œuvre ses projets, il n’est pas évident que l’on résiste aux contraintes de ses partenaires. Il faudra, dès lors, que le gouvernement rende publics les termes de l’accord de coopération qu’il aura souscrit avec le Fonds. Tout le monde aujourd’hui sait que le Sénégal a besoin d’argent, et n’est pas en mesure, de la manière où vont les choses, de financer un projet quelconque.
On ne peut proclamer son souverainisme avec force, alors que l’on ne peut pas lever au moins un milliard pour des projets d’infrastructures. Les choses se dégradent à une allure telle que bientôt, pour que le pays puisse continuer à produire, il devra prendre de l’argent de partout où il sortira, et aux conditions qui lui seront présentées. De retour de ses voyages de Chine et de Turquie, notre Premier ministre nous a parlé avec des accents triomphateurs, de projets d’infrastructures qu’il a bouclés à des conditions les plus avantageuses pour le pays. Bizarrement, il semble que même les partenaires chinois qu’il a rencontrés à Beijing semblent maintenant hésiter à venir installer ici leur usine de montage. Il en est de même des mirobolants projets que les entreprises turques devaient installer au Sénégal, grâce à des financements avantageux de l’Eximbak turque. Les choses prendraient-elles du temps parce que les financiers de ce pays se seraient mis à l’écoute du Fmi ?
Ce qui est évident, c’est que l’économie d’un pays se bâtit par le travail de ses citoyens. Quand le Président Abdoulaye Wade laissait le pouvoir à Macky Sall, la notation du Sénégal à Standard & Poor’s était à B- avec perspective stable. Au même moment, Moody’s notait l’économie du Sénégal à B1, avec la même perspective stable. Durant son magistère, Macky Sall a pu redresser la barre, au point que S&P le notait à B+, et Moody’s nous plaçait à B1. En moins d’un an, le pays, qui proclamait sa capacité à se redresser en très peu de temps grâce à l’ingéniosité de son Peuple et aux ressources dont la nature l’a doté, se retrouve à se débattre avec l’image négative que lui collent aujourd’hui les agences internationales de notation financière.
Pendant les dernières années de son mandat, alors que tout le monde le félicitait pour les prouesses de son Plan Sénégal émergent (Pse), Macky Sall n’a jamais cessé de dénoncer la manière dont sont notées les économies africaines, en particulier en comparaison avec leurs homologues occidentales. A plusieurs occasions, il a souhaité que ces agences cessent, par leurs perspectives, d’influencer négativement le regard des partenaires financiers, alors même que nos économies africaines n’étaient pas mal gérées. Macky Sall a été l’un des avocats de la création de l’Agence africaine de rating, l’Africa Rating Agency. Pourtant, l’économie du Sénégal, en son temps, n’était pas mal vue desdites agences.
Maintenant que nos adeptes de la transparence économique et politique sont au pouvoir, ils ne semblent pas comprendre ce qui leur arrive. Mais pourront-ils changer leur nature ?
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn