«Le Mage du Kremlin» : Olivier Assayas face-à-face avec Poutine

En se lançant dans l’adaptation du «Mage du Kremlin», le best-seller de Giuliano da Empoli, le cinéaste français signe un grand film sur le pouvoir russe. Parfait candidat pour le Lion d’Or de cette 82e Mostra.
Il signe le film le plus long de la compétition. Mais les 2h 36 du «Mage de Venise», le nouveau film de Olivier Assayas, sont haletantes et sans temps morts. Le cinéaste français nous emmène directement au cœur du pouvoir russe, dans la datcha planquée dans la campagne de Vadim Baranov, l’homme qui murmurait à l’oreille du Tsar Vladimir Poutine. Nous sommes en 2019, ce dernier a quitté le Kremlin depuis plusieurs années et a convié un universitaire américain de passage à Moscou pour lui raconter son histoire. Génial roman de Giuliano da Empoli paru en 2022 (candidat malheureux au Prix Goncourt), Le Mage du Kremlin portait déjà en lui un évident terreau cinématographique : des intrigues, des personnages hors du commun et une vision machiavélienne du pouvoir. Assayas a fait appel à l’écrivain Emmanuel Carrère pour écrire un scénario où tout est faux. Mais totalement inspiré de faits réels : de la chute de Boris Eltsine à la montée en puissance de Boris Berezosky, des bas-fonds moscovites des années 1990 à la villa de Sotchi, sur la Mer noire, et bien sûr de l’avènement du Tsar, Vladimir Poutine, fonctionnaire du Fsb que certains pensaient pouvoir contrôler… Le mage du Kremlin réussit brillamment à mêler grande et petites histoires. La vie intime de ses héros se confond avec le destin de l’ex-Urss, qui a cru, après l’effondrement du bloc de l’Est, que Moscou allait devenir le nouvel eldorado. Mais plus les oligarques s’enrichissaient, plus la Russie perdait de sa superbe. On croise ici Igor Setchine, Garry Kasparov ou encore Evgueni Prigojine, ces hommes avides de réussite, incapables de penser autrement que par eux-mêmes. Assayas filme les échanges tendus au sein du Kremlin, les discussions feutrées dans les restaurants moscovites comme dans un thriller contemporain, porté par l’ombre toujours oppressante d’un Poutine, incarné ici par l’anglais Jude Law.
Impeccable Jude Law
Le comédien dispose de toute la froideur nécessaire pour apparaître comme un chef de l’Etat au sang-froid, rageant contre ses confrères du G20 qui ne l’estiment pas plus que «le Président de la Finlande». Un Président solitaire, méfiant, déportant ou éliminant ses opposants. Le mage lui-même ne peut que constater son échec fasse au monstre qu’il a aidé à mettre à la tête de l’ancienne Urss. Paul Dano campe un impeccable Baranov portant dans son air détaché un bout d’âme russe. Qu’il soit jeune adulte dans le Moscou du début des années 90 ou escogriffe du Tsar, Dano ne quitte jamais son visage cynique, acceptant à peu près tout par loyauté envers un seul homme. Aussi dictateur soit-il. Aucun personnage ne ressort grandi du «Mage du Kremlin», tous à la merci de leur insatiable soif de pouvoir. Le film de Olivier Assayas nous rappelle combien les hommes eux-mêmes sont à l’origine de leurs propres défaillances. Heureusement que le cinéma est là pour nous le montrer.
Paris Match