L’audience spéciale du Tribunal de grande instance de Dakar sur l’affaire Sweet Beauté, qui opposait la dame Adji Raby Sarr au sieur Ousmane Sonko, était une occasion inouïe, pour tout le Sénégal, de se faire une idée de la vérité des faits sur une histoire de fesses qui a tenu en haleine le pays pendant deux ans. Cette affaire aura fait son lot de morts et des dégâts matériels qu’on ne saurait estimer. C’est une balafre sur toutes nos faces qui a ôté, par moments, à notre pays, son voile de lucidité. Il fallait donc bien qu’un procès se tienne pour tirer toute cette histoire malsaine au clair. Je n’ai donc pas hésité à me rendre au Palais de justice de Dakar, écouter Adji Raby Sarr, Ndèye Khady Ndiaye, et espérer avoir Ousmane Sonko en face pour que la sombre valse de fesses et sexes «fous», qui a déboussolé notre République, soit conjurée.

Le principal accusé ne sera malheureusement pas de la partie, donnant un goût d’inachevé et surtout laissant constater une lâcheté manifeste pour se réfugier derrière un pool d’une quinzaine d’avocats quémandant un renvoi pour contraindre à comparaître, ce sont les mots de Me Ciré Clédor Ly, un client qui veut se défendre partout sauf à la barre. N’est-ce pas Ousmane Sonko qui criait partout qu’il avait hâte d’en arriver à un procès pour démonter un complot et crever un abcès infâme qu’on voudrait lui flanquer à la figure ? Sa disparition dans Ziguinchor lors de la première comparution, l’organisation des barricades de fortune par des jeunes dont il ne se gêne de faire chair à canon autour de son domicile et la fuite en avant de son interview télévisé, pour faire un pied de nez à des autorités et exiger des conditions d’une comparution, disent tous un seul mot : la lâcheté. Le choix de ses avocats de quitter la salle, au cas où le juge El Hadj Issa Ndiaye maintenait l’affaire Sweet Beauté, en dit beaucoup sur une défense qui n’a eu droit à la parole que par la «courtoisie» d’un juge se voulant conciliant. Le subterfuge de la défense Sonko, faite d’une logique de rupture, dans un jeu constant de déplacement d’une affaire purement judiciaire entre des justiciables sur les sables mouvants d’une lutte politique, se verra vite noyé. Quand on a crié un complot sur tous les toits et qu’il est offert une occasion de se faire entendre, le bon sens voudrait qu’on se dresse devant des hommes pour dire sa part de vérité, de surcroît si on aspire à les diriger. On ne peut se vouloir sur le trône d’Alexandre le Grand en agissant comme Diogène, encore que ce dernier était doué d’intelligence et de répartie.

Des dames laissées à leur sort
L’abandon de Ndèye Khady Ndiaye par sa défense, y compris son avocat commis d’office, après s’être essayée à un jeu de nouvelles constitutions en pleine audience par des conseils de Ousmane Sonko au profit de la propriétaire du Sweet Beauté, une invocation d’une situation inhumaine pour une femme enceinte, et la quête d’un dilatoire avec la carte d’un report jusqu’à son accouchement, est symbolique d’une logique d’obstruction qui aurait sûrement gardé cette affaire au goût du jour pour encore longtemps. Compte sera peu fait du désordre qui accompagne les comparutions et convocations du citoyen Sonko ! La «finition» est l’étape ultime dans le jargon du Sweet Beauté selon les dames Adji Sarr et Seynabou Ngom qui ont été à la barre. Le juge El Hadj Issa Ndiaye ne s’est pas gêné pour que dans la journée du 23 mai 2023, cette affaire, naviguant entre le porno de mauvais goût et une exploitation de personnes en situation de détresse, soit vidée. La «finition» de ce cauchemar, le Peuple sénégalais l’attendait de toute son âme.

Des personnes en situation de détresse et des petites gens qui se trouvaient lâchement abandonnées à leur sort, il y en a eu dans cette affaire Sweet Beauté. Voir une Ndèye Khady Ndiaye, d’un courage insouciant et d’une témérité ignorante, dire aux juges qu’elle assurerait sa défense avec l’aide de Dieu, après qu’il lui aété signifié que ses avocats avaient «décidé de ne pas plaider», ce qui est bien différent du fait de ne pas avoir d’avocat, a de quoi fendre le cœur. C’est une dame qui a voulu tenir son rôle qu’on a vu trébucher dans ses déclarations, revenir à la barre sur des faits contradictoires à ce qui a pu être dit dans les procès-verbaux d’enquêtes et d’auditions ainsi que les différentes confrontations des prévenus, notamment dans le cabinet du magistrat instructeur. Un avocat à ses côtés lui aurait sûrement demandé d’être prudente, de revoir certaines déclarations et de ne pas se saborder de la sorte. A l’autel de la lâcheté, Ousmane Sonko aura laissé Ndèye Khady Ndiaye se vider de toute son âme pour que le peu d’honneur qui lui restait soit sauf.

Cela ne sera malheureusement pas le cas. Adji Sarr se présentera à la barre et elle exposera tout le mal qu’elle dit avoir subi, dans un langage cru, avec les détails salaces, drôles ou grossiers, en fonction de l’oreille qui apprécie. Il faut l’écouter rejouer à l’audience du Palais de justice de Dakar, les films des différentes dates où elle dit s’être fait violer et abuser par Ousmane Sonko, pour mieux comprendre l’adage qui dit qu’on ne peut vraiment avoir la grosse tête devant une personne qui vous a vu nu. L’ex-masseuse Adji Sarr n’a pas fait machine arrière lors de son interrogatoire. Elle a accusé le tout-puissant Sonko de viols répétés et de menaces de mort. Elle se lancera dans la description des différents massages pratiqués à Sweet Beauté. Les oreilles de l’audience ont sifflé dans l’exposé du «Kamasutra» glauque du Sweet Beauté avec des massages tonifiants et relaxants, où les clients se mettent nu, des séances d’épilation de verge pour des adultes valides, des massages «body-body» caractérisés par une application d’huile sur les parties intimes des clients et le frottement de celles-ci jusqu’à jouissance. Cet exposé glauque se poursuivra avec les vérités scientifiques du Dr Alfousseyni Gaye qui exposera les prélèvements de sperme dans l’organe génital de Adji Sarr, le soir fatidique du 2 février 2021. Il n’est donc pas étonnant que les journaux sénégalais parus le lendemain et les comptes rendus pendant que l’audience se tenait, ressemblent pour une partie à des épreuves du Marquis de Sade. La police des bonnes mœurs pourra foudroyer tout le monde sauf les médias sur ce coup.
Le juge Ndiaye sauvera l’audience d’une diffusion d’images et de vidéos que sollicitait Me El Hadji Diouf, conseil de Adji Sarr, car estimant que cela pourrait choquer. Il sauvera provisoirement le Sénégal de se noyer dans un «porno patriote» que les pires voyeurs auraient honte de mater.

Le pied toujours là où il ne faut pas
La question que tout esprit devrait se poser maintenant que l’affaire Sweet Beauté est connue du monde, est sûrement de comprendre ce qu’un chantre de la droiture comme Ousmane Sonko, qui s’était fendu d’une publication Facebook (supprimée par la suite), au moment de l’éclatement de l’affaire, déclarant n’avoir jamais mis les pieds à Sweet Beauté, faisait dans un tel lieu. L’ex-capitaine de gendarmerie, Seydina Oumar Touré, lors de sa déposition devant le juge Ndiaye, répondra à une question du magistrat lui demandant après sa description des lieux, s’il se permettrait d’y traîner. La manifestation par M. Touré de son refus sera sèche et ferme, mais empreinte d’une gêne que laissent certaines salissures à l’esprit. On pourrait penser que Ousmane Sonko n’avait cure des espoirs de ses militants en lui, pour faire montre d’une légèreté aussi coupable.

Je ne peux parler de salissures sans omettre la dernière sortie en date du sieur Sonko, après avoir brillé par son absence à la barre. Il insultera copieusement la dame Adji Sarr en stigmatisant ses traits physiques. Dis-donc, qu’ils sont bien loin les jours où, selon les dires de la dame Sarr, le chef des patriotes abandonnait sa famille un 31 décembre pour voir vaille que vaille «l’objet de ses désirs». La bipolarité a son nom, si je peux me glisser avec regret dans la brèche ouverte par l’actuel maire de Ziguinchor.

Ousmane Sonko est le seul individu capable de louer une personne devant toute une communauté pour ensuite la vouer aux démons si les postures de cette personne sont contraires à ses intérêts. Au gré de ses humeurs, il n’est pas possible de savoir à quel de ses génies se fier. Adji Sarr, Oumar Maham Diallo, Barthélemy Dias, Aminata Touré, sont quelques-unes des personnes passées de l’ombre à la lumière et vice-versa dans la matrice du chef du parti Pastef. Aujourd’hui, le juge El Hadji Issa Ndiaye et ses assesseurs sont ménagés. Que ne vont-ils entendre avec un verdict défavorable à ce tout-puissant individu ! Lorsqu’il sortait en décembre dernier de la confrontation devant le Doyen des juges d’instruction, Oumar Maham Diallo, il qualifiait Adji Raby Sarr de fille polie et correcte, menée comme une marionnette par les auteurs tapis dans l’ombre d’un complot d’Etat. Six mois plus tard, lorsque cette dame se mettra à la barre du Tribunal pour dévoiler sa part de vérité sur des viols répétitifs, des menaces de mort et toute une intimité salace que le «Patriote» en chef faisait subir à cette «Cosette», Ousmane Sonko la qualifiera de «guenon» ou de «macaque» atteint d’Accident vasculaire cérébral (Avc). Comment un homme peut-il autant dégouliner de misogynie barbare, de haine de soi et manquer aussi cruellement d’empathie ? On ne peut qu’avoir le cœur meurtri en entendant une déclaration si infâmante au vu des ravages que font les maladies cardio-vasculaires sous nos cieux. Il n’y a pas un Sénégalais qui ne connaisse un proche, un ami, une connaissance ou qui soit lui-même exposé à un Avc. Rien ne doit surprendre pour un homme qui se veut champion des peuples noirs, tout en stigmatisant la pigmentation foncée de la peau.

Un jugement pour la dignité
Le ballet des jeunes dames venues témoigner à la barre du Tribunal dans l’affaire Sweet Beauté était fait de personnes vulnérables, menées dans une entreprise de plaisir, dépouillées de tout mot à dire sur l’usage dont leurs corps faisaient l’objet. Si le Sénégal a l’art d’écraser ses petites gens, il excelle à briser et détruire ses femmes. Cela va du refus de parole aux victimes de viol, à l’emprise diabolique sur le corps des femmes. Adji Sarr, Aïssata «Maman» Ba, Seynabou Ngom et leur ex-patronne, Ndèye Khady Ndiaye, partagent toutes le fait d’être les victimes d’une misogynie et d’un empire sur le corps des femmes. On dirait qu’elles ne sont bonnes qu’à donner du plaisir et assouvir les désidératas d’un sexe fort, souvent fait d’hommes d’une couardise sans limite. L’avocate Ndèye Anta Mbaye se fera un point d’honneur dans sa plaidoirie, de demander le respect de la dignité de nos femmes. Leur situation de femmes vulnérables, désemparées en arrivant à Dakar, tiraillées entre faim et lutte pour une survivance, en a fait des proies pour des prédateurs. L’évocation des sommes qu’elles recevaient pour tout ce qu’on leur faisait faire et subir a outré toute l’audience du Tribunal de Dakar.

On peut lire dans la préface des Misérables de Victor Hugo, que les trois problèmes du siècle que sont «la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim» et «l’atrophie de l’enfant par la nuit» justifieront toujours que des voix s’élèvent pour condamner, s’insurger et insuffler de l’humain. Le porno patriote, qui s’est tenu au Sweet Beauté, est l’ultime symbole d’une déshumanisation entière d’une société, avec des femmes laissées comme des proies face à des prédateurs de tout acabit. Des «Cosette», cette terre en pullule, et faire taire de malfaisants «Thénardier» s’impose à tous. Au-delà de viols et de menaces de mort évoqués dans l’affaire, les juges auront la lourde tâche de rétablir une dignité à des protagonistes et de sanctionner des faits odieux. Il en va d’une catharsis nationale pour guérir d’un traumatisme sexuel qui nous aura tous fait perdre la tête et notre humanité.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn