Le Musée des civilisations gratuit pour un mois : Toumaï en attraction

Pour son exposition inaugurale, le Musée des civilisations noires (Mcn) raconte l’histoire de l’espèce humaine, celle du continent africain et des gens qui le représentent. De Toumaï jusqu’à la production artistique contemporaine, dans les méandres des salles du musée, les visiteurs revisitent leur passé et se projettent dans leur futur. Ouvert au public depuis ce 2 janvier, le Musée des civilisations noires sera gratuit durant tout le mois.
Bob est un touriste belge d’une cinquantaine d’années, en séjour au Sénégal. A quelques jours de son départ, il est tout heureux d’avoir la possibilité de visiter le Musée des civilisations noires (Mcn) qui vient d’être inauguré en grandes pompes. A quelques minutes de 16h, heure de l’ouverture, Bob et quelques dizaines d’autres personnes patientent déjà devant l’entrée. Deux heures après, ce sont 512 personnes qui ont franchi les portiques de sécurité du musée, informe le directeur Hamady Bocoum. Après un mois de préparation, le Musée des civilisations noires a ouvert ses portes au public ce mercredi. Pendant tout le mois de janvier, la gratuité est de mise et le public pourra visiter l’exposition inaugurale sans bourse délier. Cette exposition de 1 300 pièces, intitulée «Civilisations africaines : création continue de l’humanité», accueille les visiteurs dès l’entrée avec le crane de Toumaï. Enfermé dans une cage de verre, le crane fossile de ce primate, découvert en 2001 dans la région du Djourab au Tchad et dont les origines remontent à 6 ou 7 millions d’années avant notre ère, est le point d’orgue de l’exposition. «Voir Toumaï dans l’exposition, c’est simplement la possibilité de prendre conscience que l’Afrique est un site pour la recherche et la découverte des hominidés anciens qui racontent l’évolution de l’espèce humaine. C’est d’un apport extraordinaire pour la science et l’humanité aussi», explique Mme Fatima Binetou Rassoul Sy, assistante curatoriale et chargée du développement au Mcn.
L’ancêtre Toumaï
Au rez-de-chaussée de cet édifice construit sur 14 mille mètres carrés, un immense baobab de fer trône au centre. Tout autour, organisées en cercle concentrique, les différentes étapes de l’évolution de l’humanité. Sur un mur, des peintures rupestres retrouvées au Tchad, au Niger ou au Somaliland. Ils représentent des animaux sauvages (antilopes, éléphants et girafes) que les hommes du néolithique ont peints sur des parois de grottes pour témoigner de leur temps. A côté, des silex montés en armes ou objets utilitaires. 10 mille ans avant notre ère, des parures en squelette de poisson font leur apparition, explique le guide au petit groupe qui s’est spontanément formé pour écouter les explications. Au détour d’un autre couloir, un fourneau ancien nous plonge dans ce qui fut l’âge de la métallurgie sur le continent. Ici, l’on nous explique que l’invention du fer a permis de grandes avancées technologiques. Le minerai introduit par le haut du fourneau est fondu à des températures allant jusqu’à 1 180 degrés Celsius, explique le guide François. Il y a 2 500 ans, de telles installations existaient sur le site du village de Dioude Diabe dans la vallée du Fleuve Sénégal. A l’étage, face au stand de Présence africaine, la maison d’édition fondée par Alioune Diop qui propose un large éventail d’ouvrages, un dialogue des masques nous entraîne dans un lointain voyage vers des contrées aussi lointaines qu’exotiques. Ici, le masque du Bénin côtoie celui du Sud canadien. Un fétiche béninois bardé de cauris dialogue avec des masques propres aux tribus canak de Nouvelle Calédonie. Plus loin, des masques du théâtre No font face à des représentations du Bouddha Guanyin.
Tout à l’opposé, le royaume du textile africain montre des tissus kitengue de la Zambie, du bogolan malien ou des leppi guinéens. A côté, de grandes figures féminines sont figées pour la postérité. Elles ont pour nom Aline Sitoé Diatta, Ndaté Yalla ou encore Wangari Mataï. «Il y a plusieurs expositions qui présentent l’Afrique comme le berceau de l’humanité. En arrivant au musée, on explique pourquoi et ça permet aussi d’étoffer le contenu des enseignements dans les écoles. Et c’est pourquoi on attend avec impatience le public scolaire», souligne Mme Sy.
Les religions à la place d’honneur
Mais la salle où l’on pénètre ensuite à pas feutrés résonne de chants khassaides. Ici, les murs sont couverts d’écritures coraniques, d’objets rituels et de vestiges religieux. Au centre, le Coran de Amadou Tall et son sabre. Plus loin, une kora annonce la présence des moines de Keur Moussa. Dans cet espace dédié à la religion catholique défile toute l’histoire de la présence des évangélisateurs blancs venus apporter la bonne parole. «L’appropriation des religions abrahamiques est une exposition qui a été mise en place par le directeur artistique du musée, Babacar Mbow, et par le Pr Mame Marame Seck. L’idée c’était de pouvoir présenter aux Sénégalais et au monde la manière dont au Sénégal on s’est approprié les religions abrahamiques. Et la particularité de notre pays, ce sont les différentes confréries religieuses qui accompagnent cet apprentissage du Coran, le développement et l’érudition qui est aussi le gage de la paix dans le pays. Les différentes tutelles religieuses travaillent ensemble pour une paix durable. C’est un angle de notre culture que l’on veut faire comprendre», explique Mme Sy. Dans cet espace, les objets ont une histoire, mais ils servent aussi à raconter l’histoire. «Les différents artefacts que l’on peut voir dans la salle des religions abrahamiques nous permettent de raconter l’histoire autour des objets qui sont ici. Il ne s’agit pas seulement de présenter des objets qui appartiennent à quelqu’un, ça permet aussi aux médiateurs qui sont dans les salles de mieux raconter tout ce passé», explique la curatrice. «Notre rôle ici au musée, c’est de pouvoir poser les jalons de notre histoire et de faire voir aux Sénégalais, mais pas seulement, aux étrangers, aux Afro-descendants et aux personnes issues du Peuple noir l’histoire du continent africain et des gens qui le représentent. Il est important que les gens comprennent que les objets qui sont exposés témoignent de notre histoire de la manière la plus juste possible», poursuit-elle. Au terme de sa visite, Bob, le touriste belge, est encore pensif. «C’est très beau, c’est très intéressant et on apprend des choses», dit-il, le regard encore tourné vers ce moment d’histoire que propose le Mcn, mais qui se poursuit dans des expositions contemporaines où les sculptures filiformes de Ndary Lô voisinent avec les photographies de Leïla Adjovi. «Dans les différentes expositions, on brosse une grande partie de l’histoire de notre continent. Evidemment, on met en avant les textiles de nos sociétés, le dialogue des masques, la mondialisation de la négritude fait échos à la manière dont les Peuples et les Afro-descendants ont réussi à faire preuve de résistance et de résilience par rapport à ce qu’ils avaient vécu. On essaie de témoigner de plusieurs histoires et d’être le plus juste possible par rapport à elles», souligne Mme Sy.
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