Le noir et le blanc n’existent pas, tout est gris !

J’ai eu la chance d’observer plus d’une trentaine de systèmes de santé différents, d’Afrique, d’Amérique, d’Europe, d’Asie et de pays du Pacifique. Des plus développés aux moins performants, dont les déterminants sont aussi variés que complexes. J’ai ainsi rencontré différents médecins et peuples dans leurs milieux de vie. S’il y a une chose qui s’est imposée à moi à travers les années et les rencontres, c’est bien ma capacité à relativiser toutes les situations et dans mon métier, en particulier, à privilégier la santé sur la médecine. Notons en effet que la santé est un objectif, et la médecine n’est que l’un des divers moyens d’y parvenir.
J’ai très souvent vu des personnes avoir tendance à tout opposer, à créer une dualité radicale entre différentes situations. Alors qu’en réalité, l’idéologie selon laquelle tout est opposable à un contraire n’est pas vraie absolument.
Avant d’en arriver aux questions de santé, portons déjà un regard sur les fondements de notre identité, sur nos origines. La science nous a montré que nul ne pouvait se prévaloir d’une exclusivité d’origine ou d’appartenance à une race ou une ethnie. Le cloisonnement créé à travers les différentes races est fictif et souvent n’existe pas en réalité. Les tests Adn autosomiques, qui permettent de remonter nos origines jusqu’à six ou huit générations, nous prouvent aujourd’hui que nous sommes tous issus de brassages et de métissages de différents peuples, et que chacun de nous possède dans son patrimoine génétique différents pourcentages de plusieurs origines. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, c’est ainsi que l’on verra un Sérère bon teint avec un pourcentage non négligeable d’origine portugaise.
Au-delà de nos origines, il y a nos caractères. Ils sont non seulement dynamiques dans le temps, mais nous hébergeons, chacun en nous, toute la panoplie de traits de caractères existants, dans des proportions et répartitions variables, révélant ainsi la multiplicité de notre nature. Même si certains traits sont infiniment insignifiants et ne s’expriment pas, ils demeurent présents. L’environnement dans lequel nous évoluons, le degré selon lequel la vie nous éprouve ou nous favorise, à certaines périodes de notre existence, contribuent à déterminer l’expression ou non de certains traits de caractères dont nous n’avons jamais soupçonné l’existence.
La dualité entre le noir et le blanc n’existe pas, car tout est relatif et représenté dans différentes nuances de gris. Nous cherchons par convenance ou simplification à toujours tout opposer : le froid et le chaud, la gentillesse et la méchanceté, le silence et le bruit, la joie et la tristesse, le masculin et le féminin, l’esprit et le corps, la prévention et le traitement, la vie et la mort, etc. Quel que soit l’aspect ou la dimension considérée, la vie est faite d’équilibres subtils entre différentes vérités partielles qui coexistent en même temps dans des proportions variées. Tout est gris, avec une infinité de nuances allant du très clair, presque blanc, au très foncé, presque noir.
Plus spécifiquement, concernant le domaine de la santé, je me souviens en 2021, lors d’une conférence animée par un célèbre nutritionniste thaïlandais, la majorité des participants s’attendaient à découvrir deux listes opposées d’aliments, ceux à éviter et ceux à consommer. Mais, à la surprise générale, le spécialiste a axé son intervention sur la modération. Il a pu démontrer qu’il n’y avait pas d’aliments «essentiellement bons» ou d’aliments «essentiellement nocifs». Ainsi, le problème ne se situe pas dans l’aliment lui-même, mais plutôt dans la manière de le consommer. Dès lors, l’équilibre se joue sur le long terme, et non sur un repas. D’ailleurs, un aliment dit «malsain» peut bien avoir sa place dans une alimentation équilibrée, s’il est consommé avec modération.
En ce qui concerne les soignants, à travers leur pratique quotidienne, qu’ils comprennent bien que l’on n’oppose pas la guérison à la mort. Guérir n’est pas toujours possible, et c’est là que des alternatives comme soulager, écouter, accompagner, compatir, etc., prennent tout leur sens et font entièrement partie intégrante de la médecine.
La vie nous montre que rien n’est totalement noir ou blanc. D’ailleurs, nos corps nous le rappellent bien, car par exemple toutes les femmes portent en elles de la testostérone, qui est qualifiée d’hormone sexuelle masculine et produite par les testicules. De même, tous les hommes portent en eux de l’œstrogène, qui est l’hormone sexuelle féminine produite par les ovaires ; les deux dans des proportions différentes, bien entendu.
La nature est faite de nuances et elle nous invite chaque jour à trouver un équilibre. Cet équilibre, parfois fragile, peut être illustré avec ces deux exemples : tandis qu’un usage excessif d’antibiotiques peut affecter l’immunité collective, un manque d’antibiotiques risque de laisser une infection évoluer vers une septicémie. De même, si le repos contribue à la régénération et à la guérison, une inactivité prolongée, en revanche, peut affaiblir l’organisme et favoriser la maladie.
De façon générale, nous devrions aspirer à plus de nuances dans nos rapports avec l’autre. La nuance dans les relations humaines signifie exprimer plus d’empathie, être plus compréhensif, être moins strict et radical envers les autres, reconnaître que nul n’est fondamentalement parfait ou imparfait, bon ou mauvais, par nature ou du point de vue du comportement.
Il est donc important dans notre quotidien, d’arriver à distinguer le bien qui est dans le mal, sans perdre de vue que celui-ci est également compris dans le bien. D’ailleurs, la philosophie chinoise l’explique parfaitement bien à travers le Yin et le Yang. Ces deux forces semblent s’opposer, mais en réalité, elles se complètent et s’équilibrent harmonieusement, résultat de la coexistence et de la complémentarité.
Dans ce monde qui se complexifie chaque jour davantage, il est essentiel que nous acceptions que tout est dans la zone grise, car le comprendre nous permet d’être plus justes, bienveillants et indulgents envers nous-même et envers les autres. La tolérance, l’acceptation et l’assomption de nos différences, de nos imperfections et de nos manquements nous permettent d’être plus souples et mieux préparés face aux défis qui s’imposent à nous en tant qu’individus, mais aussi en tant que communautés.
J’aimerais dorénavant partager régulièrement mes réflexions sur divers sujets, notamment de société, de changement de comportements, de courants de pensée, abordés à travers mon regard de médecin, mais aussi agrémentés par des recherches sur des événements connexes qui se sont déroulés ailleurs dans le monde. Ces échanges nous permettront de croiser nos perspectives tout en suscitant la contradiction.
Je profite de cette opportunité pour rendre hommage à mes collègues et amis qui font preuve de générosité à travers leurs posts sur les réseaux sociaux. Cela demande un effort pour trouver du temps entre les différentes responsabilités d’ordre familial, social, professionnel, etc. A @Boubacar Signate, @Oumoumohamed, @Amadou Sow, @Habiballah, @Abdoulaye Diop, @Mamadou Demba Ndour, @Alassane Tall et tant d’autres.
Clément Diarga BASSE
Médecin